Editorial de Syndicollectif
Mouvement social et syndicalisme : un tournant prometteur ?
L’apparition d’un groupement de forces syndicales et associatives, baptisé « Plus jamais ça, Construire le monde d’après », autour de 18 organisations, étendues à 25 pour le 1er mai 2020, constitue un fait inédit et prometteur.
Avant la crise épidémique, autour du Forum mondial néolibéral de Davos, une partie des mêmes organisations avaient déjà lancé le 20 janvier 2020 un « appel mondial » avec ce constat : « La planète brûle » (lire dans syndicollectif ici : https://wp.me/p6Uf5o-318). Elles dénonçaient déjà « la déforestation à l’autre bout du monde », dont il s’avère maintenant qu’elle peut avoir des effets dans le franchissement de la barrière des espèces par de nouveaux virus. Elles appelaient à une « transformation profonde des façons de produire et de consommer ».
L’appel Plus jamais ça du 27 mars 2020, face au COVID 19, va plus loin encore dans la nécessité d’un tournant radicalement nouveau pour engager un développement social, économique et écologiques (voir texte complet : https://wp.me/p6Uf5o-3d7). Les associations engagées dans les luttes écologistes et les marches mondiales pour le climat le disaient déjà. Ce texte commun explique en effet que « l’enjeu n’est pas la relance d’une économie proprement insoutenable », mais de prioriser les investissements pour la transition écologiques, et même de « désinvestir des activités les plus polluantes et climaticides ». Jamais de telles notions n’avaient été aussi nettement affirmées dans des documents syndicaux soutenus par la CGT (par exemple). Bien sûr, une telle orientation reste à préciser selon les secteurs d’activités, en lien avec les salarié-es. Cela implique sans doute aussi d’amplifier le renouvellement positif apparu dans les pratiques syndicales sur la « démarche travail » et la prise en compte du travail concret. La recherche d’une démocratie syndicale pour s’approprier une telle approche sera décisive pour qu’elle n’apparaisse pas comme « tomber d’en haut ». La Sécurité sociale professionnelle est également une orientation incontournable pour permettre aux salarié-es d’appréhender ces questions sans la menace de perdre son salaire et sa qualification en cas de reconversions nécessaires.
Mais la démarche des « 18 » est également innovante pour une deuxième raison. Il s’agit d’une co-construction d’analyses et d’objectifs revendicatifs entre syndicats et associations, aussi bien sur les questions écologiques que sociales. L’épidémie COVID19 incite à ce croisement des approches. Mais la persistance du groupement en gestation avant l’épidémie, la décision d’une pétition de masse relayée très fortement (plus de 180 000 signatures à ce jour), font penser à une manière de mobiliser qui tient compte de la variété des aspirations d’aujourd’hui. Chaque organisation apporte son savoir-faire. La France a connu ces dernières années plusieurs mouvements sociaux durables, mais différents, sur des sujets décisifs. En plus des mobilisations syndicales sur la réforme des retraites (que le gouvernement aura bien du mal à remettre à son agenda), d’autres mouvements sont apparus simultanément : les mobilisations sur le climat, les mobilisations féministes, et le mouvement des Gilets jaunes. Que la jonction s’établisse entre l’écologie et le syndicalisme est une excellente nouvelle. Historiquement, ce n’était pas acquis. Sur les droits des femmes et contre les violences dont elles sont victimes, la co-organisation de mobilisations communes est déjà ancienne. Elle s’est amplifiée récemment par une pétition commune pour la revalorisation des métiers (voir : https://wp.me/p6Uf5o-3n5) élargissant cette fois l’unité d’action à toutes les organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC, UNSA, FSU, Solidaires, et même la Confédération syndicale internationale-CSI), ce qui est là aussi prometteur. Il manque encore une présence du mouvement des Gilets jaunes dont certaines forces sont tout à fait ouvertes au syndicalisme, notamment celles qui organisent les Assemblées des assemblées. Pour le 1er Mai 2020, un appel encore plus élargi à 25 est sorti. Une large alliance sociale de type nouveau est donc possible. Syndicats, mouvements, associations peuvent mutuellement d’enrichir.
Mais les « 18 » vont plus loin encore en s’adressant aux partis politiques (lire : https://wp.me/p6Uf5o-3kU). Dans leur texte du 27 mars, ils annonçaient vouloir s’adresser « à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société ». Le 21 avril, 15 organisations écrivent une lettre aux forces politiques dans laquelle ils expliquent « que nos points de convergence sont nombreux », et qu’il faut lutter « en commun ». Ils veulent « repenser les formes du débat démocratique et l’articulation entre les mouvements sociaux et les organisations politiques ». Si cela se concrétisait, alors cela signifierait que les forces sociales elles-mêmes seraient à l’initiative d’une convergence avec « le politique », au lieu de la distanciation depuis les années 1990-2000.
Il ne s’agirait certes pas d’en revenir à un temps où les organisations du mouvement social étaient subordonnées aux forces politiques. Mais de tenter une expérience nouvelle où l’action convergente, respectant l’indépendance de tous, enrichit en effet « le débat démocratique » et le brassage des idées sur le futur à construire.
Les 18 : Action non violente-COP21, Alternatiba, Amis de la terre, Attac, CCFD Terre Solidaire, CGT, Confédération paysanne, DAL, FIDL, Fondation Copernic, FSU, Greenpeace, Oxfam, Syndicat de la magistrature, UNEF, UNL, Union syndicale Solidaires, 350.org.