L’Humanité du 15 mars 2021 publie (outre des reportages) une interview de Maung Maung, président de la Confédération des syndicats de Birmanie: « les salariés peuvent bloquer la logistique du pays« .
Birmanie. Malgré la répression, les salariés cherchent à stopper la logistique des militaires
Maung Maung, Président de la Confédération des syndicats de Birmanie (CTUM) défie la junte et salue l’action des salariés dans tous les domaines, clé pour empêcher les militaires d’accomplir leurs forfaits. Entretien
Quelle est la situation des syndicats depuis l’instauration de la junte ?
Maung Maung La répression s’accentue contre tous ceux qui s’opposent à la junte. Ils frappent les membres de nos syndicats, les arrêtent pendant la nuit. Voilà ce qui se passe en ce moment. Très récemment, les militaires ont déclaré « illégales » seize organisations et dit qu’ils allaient procéder à l’arrestation de leurs adhérents et de leurs dirigeants. Par ailleurs, deux fédérations et une confédération ne sont pas encore sur la liste. C’est-à-dire que nous ne sommes pas illégaux. Mais nous nous attendons à ce que la situation ne reste pas en l’état et que nous ne soyons bientôt plus autorisés. Parce que nous avons dit au gouvernement, aux militaires, que nous refusons de travailler avec eux. Nous ne participons pas, et nous ne participerons pas à ce qu’ils appellent le Forum tripartite pour le dialogue parce qu’y siègent des militaires et non pas le gouvernement.
Cela signifie-t-il que vous allez devoir passer dans la clandestinité ?
Maung Maung Pour l’instant, nous faisons ce qu’il faut pour ne pas être arrêtés !
Comment vous organisez-vous avec les syndicats ?
Maung Maung Lorsque Internet est disponible, nous en profitons pour utiliser les réseaux sociaux. Autrement, nous organisons les gens dans des secteurs bien localisés, là où ils vivent, peuvent se croiser et se parler. Nos représentants peuvent ainsi mettre en place les actions avec les communautés locales.
Qui sont les gens qui manifestent ?
Maung Maung Ce sont des jeunes pour la plupart. C’est la génération Z. Ils sont très en colère parce que leur vote n’a pas été respecté. Et les communautés sont également particulièrement remontées parce qu’elles voient leurs jeunes se faire frapper ou tirer dessus par les militaires. Beaucoup sont morts, touchés par des balles. Ce sont donc l’ensemble des communautés dans tout le pays qui se mobilisent actuellement, auxquelles il faut ajouter les syndicalistes, les gens des médias et du monde de la culture. Beaucoup d’actrices et d’acteurs manifestent. Autant dire que presque tout le monde fait partie du soulèvement.
Il semble que la répression se soit accrue et particulièrement contre les syndicats. Pour quelles raisons ?
Maung Maung Ils ont accentué la répression et notamment contre nous, car nous sommes ceux qui peuvent stopper les infrastructures du pays. Par exemple, depuis le 3 février, un seul train est parti de la capitale, Naypyidaw, pour rejoindre Rangoun. Un seul en un mois alors que, normalement, il y en a des dizaines qui relient les deux villes. Autre exemple, dans le secteur de l’énergie, nous avons stoppé les raffineries, empêchant ainsi les militaires d’avoir du fuel. Comme ils n’en ont plus, ils essaient d’en acheter à Singapour pour en faire venir par bateau. Mais, sur les ports, les dockers ont arrêté le travail. Même situation pour le transport aérien. À Rangoun il n’y a qu’une seule plateforme aéroportuaire d’importance. Le personnel ne travaille pas. Les ingénieurs aéronautiques non plus, tout comme les contrôleurs aériens. Les salariés sont donc dans la capacité de stopper la logistique du pays, ce qui signifie que la junte ne peut déplacer ses troupes ni même vendre les marchandises. Donc, les militaires sont particulièrement remontés contre les syndicats.
Quelle est la différence entre le mouvement actuel et celui qui avait pris place en 1988, déjà contre le coup d’État militaire ?
Maung Maung Il a y énormément de différences. En 1988, il s’agissait d’un soulèvement du peuple, mais il n’y avait pas eu d’élections. En 1990, il y a eu des élections, les militaires ont fait un coup d’État mais il n’y avait pas de soulèvement populaire. Cette fois, nous avons eu une élection et les militaires ont perdu. Un soulèvement a lieu, les soldats tirent mais ça n’éteint pas la révolte. Au contraire, il y a de plus en plus de gens qui participent aux manifestations. Et ça se passe dans l’ensemble du pays, pas uniquement dans les grandes villes. Enfin, les communautés sont impliquées. Ce ne sont pas seulement les étudiants. Tous les secteurs sont touchés, qu’ils soient publics ou privés.Mais, dans le même temps, les représentants élus, à Rangoun, ont été capables de former ce qu’ils appellent le Comité pour représenter le Pyidaungsu Hluttaw (le Parlement), le CRPH. Ils sont à Rangoun, et n’ont pas été arrêtés. Ils ont formé une sorte de gouvernement parallèle qui fonctionne maintenant. C’est complètement différent de 1988.
Comment travaillez-vous avec ce Comité ?
Maung Maung Nous travaillons en coordination. Nous avons des rencontres et des discussions via Zoom. Même si nous ne sommes pas ensemble, nous sommes capables de nous organiser au quotidien. Et je peux vous dire que ça fonctionne !
Comment connectez-vous les droits sociaux et les projets démocratiques dans votre lutte ?
Maung Maung Depuis huit ans, nous avons connu des progrès significatifs qui viennent d’être stoppés. Nous nous sommes mis d’accord sur deux points essentiels : le premier est de se débarrasser du régime militaire et ses intérêts économiques. Le second est de mettre en place une union fédérale démocratique.
La solidarité internationale est-elle importante dans votre combat ?
Maung Maung Bien sûr, c’est important. Il y a eu des déclarations. Mais nous avons besoin d’actions internationales pour empêcher que les revenus n’aillent aux militaires. Cela nous aidera à bouger plus vite. Les militaires ayant la main sur tout, s’ils ne perçoivent plus rien, ils s’écrouleront.
Qu’attendez-vous dans les prochains jours ?
Maung Maung Je dirais plutôt : qu’est-ce que nous devons faire dans les prochains jours ? Il faut que les travailleurs et les communautés maintiennent la pression sur le régime. Les représentants politiques doivent agir au niveau de la communauté internationale. Cette dernière doit maintenant agir pour asphyxier la junte. Nous ne pouvons pas nous asseoir et attendre.