Procès France Télécom : interview de Pascal Vitte (Solidaires)

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Merci à la revue Les Mondes du travail d’autoriser la publication de cet entretien avec Pascal Vitte, responsable syndical de Solidaires Orange, qui a joué un rôle clef dans la dénonciation des méthodes de France Télécom. Il tire les leçons du procès historique des responsables de France Télécom, devenu le procès du management néolibéral, aboutissant à la reconnaissance juridique du « harcèlement moral institutionnel« . L’entretien débouche aussi sur un commentaire sur le « travail » aujourd’hui, la baisse du « collectif« , et la fausse « autonomie » répandue par les processus numériques. 

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« Le harcèlement moral institutionnel est enfin reconnu »

Entretien avec Pascal Vitte, responsable syndical de Solidaires Orange et rédacteur du «Et Voilà – santé et conditions de travail» Entretien réalisé par S. Bouquin et J. Pélisse.

L’ex-PDG de France Télécom Didier Lombard et l’ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenès ont été condamnés à un an de prison avec sursis,; une peine moindre qu’en première instance. La complicité de deux anciennes cadres est confirmée. Deux autres prévenus sont relaxés. La cour d’appel de Paris a considéré, vendredi 30 septembre 2022, que le « harcèlement moral institutionnel » est bien caractérisé dans l’affaire dite des suicides à France Télécom. La juridiction a entériné à son tour cette notion introduite dans la jurisprudence par le tribunal correctionnel de Paris en décembre 2019. Les indemnités allouées aux parties civiles en première instance ont été réduites par la cour d’appel, tandis que d’autres parties civiles ont été déboutées de leurs demandes.

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Stéphen Bouquin – Quel bilan tirer du jugement en appel dans le procès Orange/FT ?

Pascal Vitte : Le bilan que je tire du verdict en appel est positif parce que le caractère institutionnel du harcèlement moral est confirmé, et même consolidé selon nos avocats. La défense des prévenus consistait à dire, en gros, « vous nous accusez de harcèlement moral mais quand on regarde la définition de ce dernier – « des agissements ayant eu pour objet ou pour effet la dégradation des conditions de travail, ou la carrière des salariés » – et bien moi, les salariés, je ne les connaissais pas… ». Or, le jugement en appel confirme la réponse faite en première instance. Il s’est appuyé en partie sur des jurisprudences qui montraient déjà que peu importe qu’il y ait ou non une connaissance directe des personnes : il y a bien eu une atteinte à la santé et aux droits à la dignité de membres du personnel et cela dans la mesure où a été élaborée une politique d’entreprise qui avait pour finalité la détérioration de la santé morale et physique des salariés. Et ça c’est suffisant.

Ensuite, leur deuxième ligne de défense consistait à dire que des managers locaux ont exagéré et qu’ils ont mal traduit ce que la direction avait donné comme consigne. Mais les commissions rogatoires des magistrats instructeurs visant notamment à investiguer les ordinateurs des prévenus, avait déjà bien montré que le harcèlement moral avait été préparé au plus haut niveau de l’entreprise et qu’il avait incité les cadres (« managers ») des directions régionales à « consommer le délit de harcèlement moral ». En atteste, notamment, le compte rendu retrouvé de la réunion de l’ACSED (association des cadres supérieurs de France Télécom) de 2006, où l’on découvre le fameux « il faut se débarrasser de 22 000 personnes par tous les moyens, par la fenêtre ou par la porte » asséné par Didier Lombard. D’où la définition du harcèlement moral institutionnel du jugement d’appel : « Le harcèlement institutionnel a pour spécificité d’être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l’absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime. » Donc au final, pour moi, ce verdict permet de renouer avec des conflits de classe qui sont trop souvent étouffés derrière la logique du « dialogue social », laquelle tend à dépolitiser le monde du travail.

Jérôme Pélisse : On a lu différentes choses qui commentent le verdict et on observe quand même deux visions qui ressortent de cela. D’une part, tout le monde souligne combien cette notion est actée et elle l’était déjà par le simple fait qu’après le verdict en première instance, Olivier Barberot et France Télécom/Orange n’avaient pas fait appel. Mais en même temps, on voit qu’en dehors de D. Lombart et L.P. Wenès, qui ont été à nouveau condamnés mais avec des allègements de peine, deux autres prévenus ont été relaxés. Certains dressent des bilans plus amers, ou en demi-teinte, et insistent sur le fait que la dimension dissuasive de ce procès passe un peu à la trappe. Au final, des employeurs pourraient se dire, « finalement,on ne risque pas tant que ça… ». Comment réagis-tu à cela ?

Pascal : Non, cela ne remet pas en cause la victoire, selon moi. Il faut avoir en tête que la peine maximale encourue pour le harcèlement moral était de toute façon très faible. À l’époque des faits, elle était d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Même si, avec le jugement en appel, il n’y a plus que du sursis (certes invoqué pour des raisons discutables qui sont liées à leur âge et à leur retrait d’activité), la peine maximale prescriptible à l’époque des faits est confirmée. De plus, la peine maximale étant d’un an, ils n’auraient pas fait de prison ferme, même avec une condamnation d’un an ferme.

Toutefois, il est vrai que ce jugement en appel fait très justice de classe. Mais cela tient à d’autres raisons à mon avis. Tout d’abord, selon certaines sources, les prévenus ont payé leurs avocats jusqu’à 20 millions d’euros – non pas eux directement, de surcroît, mais leurs compagnies d’assurances (les 20 millions, cela nous vient d’une autre source syndicale, je ne peux pas la confirmer, mais ce qui est certain c’est qu’ils ont déboursé plusieurs dizaines de millions d’euros). Le fait qu’en appel, la juge dise pour les victimes qui sont loin d’avoir les moyens financiers des prévenus, “les honoraires d’avocats, c’est seulement 1500 euros », pour tous ces mois de procès, c’est quand même un message inquiétant qui est envoyé aux salariés et aux représentants du personnel. Cela revient à dire : « Vous avez le droit de contester le fait que certaines politiques d’entreprises relèvent d’un harcèlement institutionnel, mais bon, ce sera à vos frais… ».

D’autre part, en première instance, le tribunal avait accordé la somme de 10 000 euros aux 118 parties civiles qui ont voulu se joindre au fond – c’est-à-dire que, en plus des 39 victimes retenues par l’ordonnance de renvoi (ORTC) des magistrats instructeurs, 118 personnes se sont portés parties civiles s’estimant victimes du harcèlement institutionnel du fait d’avoir travaillé à France Télécom pendant la période des faits. Or, le tribunal d’appel a réduit le dédommagement à 1 euro symbolique. Pour autant, au fond, ce qui compte, c’est que l’euro symbolique confirme le principe du harcèlement institutionnel.

Je comprends donc que, pour toutes ces raisons, le jugement en appel laisse un goût amer. Mais sur le plan politique et syndical, encore une fois, ce qui importe est que ce jugement peut faire avancer notre combat pour une humanisation du travail. C’est à nous d’agir, de nous approprier les implications de la qualification du harcèlement institutionnel.

Harcèlement et organisation matricielle

Jérôme : Dans cette veine-là, comment rendre opérante la catégorie ? Tu as mentionné cet enregistrement où il est dit “ils passeront par la fenêtre ou par la porte”, et cela a été mobilisé à juste titre pour soutenir l’idée du harcèlement institutionnel moral. Mais ce genre de propos et encore moins de preuve (puisque cette expression a été enregistrée et retranscrite), on ne l’a pas toujours en main … Alors comment faire ? On ne peut pas toujours documenter aussi clairement ce type de politique d’entreprise… Est-ce que ça ne risque pas d’être une limite dans la possibilité de rendre opérante cette catégorie de harcèlement moral institutionnel ?

Pascal : Oui et non. Par exemple, dans le cadre de la CSSCT dont je suis membre, j’ai mis en évidence que l’organisation matricielle, qui est la même que celle qui avait cours pendant la période des faits, avait donné lieu à des débats dans l’enceinte judiciaire et avait été pointée dans l’ordonnance de renvoi comme un élément à charge dans la dégradation de la santé mentale et physique des salariés – notamment du fait des injonctions contradictoires provenant de la « hiérarchie verticale », d’une part, et du « chef de projet », d’autre part, mais aussi des réorganisations permanentes qu’elle engendre, d’une mise sous pression constante des salariés avec des évaluations et des entretiens avec des N+1. Tout cela a été considéré lors du procès comme participant du « climat anxiogène ». Cet exemple permet de mettre au travail la définition qui est donnée du harcèlement institutionnel. Celui-ci, je le rappelle, a pour caractéristique « d’être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l’absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime ». Or, dans quelle mesure ce dispositif managérial qu’est l’organisation matricielle, décidé au plus haut niveau d’Orange (comme d’ailleurs de la plupart des entreprises du CAC 40), ne risque-t-il pas d’amener des managers locaux à « consommer le délit de harcèlement moral » ? Bien sûr, on objectera aussitôt le droit d’entreprendre de l’employeur et le fait que l’organisation est dénuée d’intention de nuire. Mais l’important est qu’un dispositif organisationnel jusqu’alors intouchable est mis en débat. D’autre part, cela permet de rappeler que le droit d’entreprendre trouve ses limites dans le respect de la santé des travailleurs, et que l’argument de l’absence d’intention de nuire, comme le rappelle le jugement, n’est pas recevable : seule compte « la conscience » de l’employeur des conséquences néfastes de ses actes ou de ses décisions. Alors, pour répondre à ta question, à nous d’enquêter syndicalement pour constituer les preuves : à partir d’éléments factuels de dégradation des conditions de travail, à nous de montrer que l’organisation matricielle est déterminante, qu’elle est à l’origine d’un « effet de ruissellement » constituant un « facteur de risque » de harcèlement. De plus, en procédant de la sorte, on est au cœur des « principes généraux de prévention » du code du travail sur lesquels, en tant que représentant du personnel, nous avons à nous appuyer. Ces principes de prévention obligent l’employeur à prendre des mesures de prévention dites « primaires », c’est-à-dire qui lui commandent de commencer par « éviter les risques », puis, si cela n’est pas possible, de « combattre le risque à la source » (L. 4121-2). Mais on peut aussi envisager de questionner les possibles « effets en cascade » d’autres dispositifs du néomanagement, comme les « entretiens individuels d’évaluation » des compétences et la « sous-traitance ».

Il faut aussi s’arrêter un peu sur la sous-traitance, qui a pris une dimension exponentielle, « en cascade » (c’est le cas de le dire), avec l’auto-entreprenariat. Je prends l’exemple de là où je travaille, à savoir un centre d’appel technique. Il faut savoir que 92 % des appels des clients Orange sont sous-traités. Les conditions de travail des sous-traitants sont bien pires que les nôtres : statuts précaires, payés à coups de lance-pierres, sans formation, avec des objectifs souvent inatteignables et la peur d’être jetés après avoir été exploités sans vergogne, et obligés de travailler le dimanche. On le voit quand on revient sur le plateau les lundis (lorsque les clients ont appelé le dimanche) : faute de formation, mais aussi de culture technique qui peut donner sens au travail de dépannage, on doit souvent reprendre à zéro le dossier du client. Ce système est inefficace et il participe à la dégradation des conditions de travail tant en interne que chez les sous-traitants ; sans parler de ce que vivent les clients-usagers.

Je fais une autre incise. Suite à la médiatisation des suicides à France Télécom, en 2009, le ministère du travail a imposé l’ouverture d’une négociation nationale. Elle a donné lieu à la création d’un « Comité National de Prévention du Stress » (CNPS) au sein duquel est prévu une enquête triennale sur les risques psycho-sociaux. Elle repose essentiellement sur le questionnaire Gollac de 2011 qui a établi 6 facteurs de risque dits « psychosociaux » : 1° L’intensité du travail, 2°L’exigence émotionnelle, 3° La latitude décisionnelle dans son travail, 4° Les rapport sociaux au travail, 5° Les conflits de valeur, 6° L’insécurité de la situation de travail. Lors de l’enquête CNPS de 2021, la question ouverte située tout à la fin des 70 ou 75 questions a permis d’établir des liens statistiquement significatifs entre, d’une part, l’évocation par les salariés de la baisse des effectifs (le non remplacement des départs) et la dégradation du facteur « intensité du travail », et, d’autre part, l’évocation de la sous-traitance et la dégradation du facteur « conflits de valeur » (plus précisément du « travail empêché » qui en fait partie). On le savait, mais aux moins c’est montré : l’intensité du travail est d’autant plus mal perçue que l’on est en sous-effectif ; travailler quand le cœur de son travail est sous-traité tend à devoir en rabattre sur le niveau de son professionnalisme. Ces exemples, on le sait, avaient déjà montré que ces « politiques d’entreprise » (la politique de l’emploi, de la sous-traitance, de l’évaluation des compétences, des réorganisations successives…) ont des conséquences directes sur les conditions de travail.

Stéphen : D’accord. Mais outre le fait qu’il y a les méandres de la procédure interne à partir du CSSCT, et que l’action sur les conditions de travail n’est plus la même depuis la fusion des instances, il faut pouvoir désigner une pratique managériale comme relevant d’un harcèlement moral institutionnel. Si la définition est restrictive, plein de pratiques managériales pourtant très “toxiques” ne pourront pas être mises à l’index. Si la définition est large et inclusive, cela permet-il encore de gagner un procès ? Par ailleurs, les salariés doivent-ils invoquer des symptômes pour signifier qu’ils subissent un HMI ? Le fait d’être en burn-out par exemple ? Quels sont les indicateurs d’un harcèlement du point de vue des salariés ? Je dis ça parce que les réorganisations en soi ne suffiront peut-être pas pour valider l’existence d’un HMI…

Jérôme: Une autre manière de poser la question serait de se demander si les résultats de l’enquête triennale suffisent pour démontrer l’existence d’un harcèlement moral institutionnel…

Comment améliorer les conditions de travail ?

Stéphen : Je reviens sur deux points. Primo, sur la question de la qualité de vie au travail, il faut quand même constater que le problème ne se limite pas au “harcèlement institutionnel moral” mais que la dégradation des conditions de travail découle d’une variété de politiques, toxiques pour le bien-être des salariés, et qu’elles n’ont pas forcément non plus un lien direct avec le type d’organisation du travail. On peut donc connaître plusieurs modèles d’organisation qui seront dans certains cas source de mal-être mais dans d’autres pas forcément. Deuxio, ne faut-il pas se poser la question de savoir si la judiciarisation ne participe pas à l’atomisation ou au manque de solidarité entre collègues. Je m’explique : quand quelques individus sont en souffrance et entreprennent une action juridique pour harcèlement, cela ne sollicite pas auprès de leurs collègues un élan de solidarité. Ils et elles peuvent même réagir en se disant “bon, et bien moi je ne suis pas concerné, de toute manière je ne suis pas dans le collimateur, donc je me tiens à carreau”. Ces collègues continuent à afficher une loyauté de façade et peuvent s’abstenir d’exprimer leur solidarité envers les victimes puisque le problème doit se régler devant les prudhommes ou une cour de justice… Est-ce que l’action syndicale, en prenant la voie d’un règlement juridique des conflits, ne conforte pas ce type d’attitudes qui au final ne changent pas le rapport de force des collectifs de travail vis-à-vis du management ? Plus largement et pour élargir un peu le débat, on peut aussi se dire que dans un avenir proche, le management sera contraint d’humaniser le travail, faute de quoi, la « grande démission » pourrait vraiment se développer, y compris en France. Dit autrement, est-ce que « exit », les départs volontaires, le refus d’embauche, pour des raisons à la fois liées au montant du salaire mais aussi aux conditions de travail, ne peuvent pas soutenir le « voice » ou la prise de parole, c’est à dire la revendication d’une amélioration substantielle des conditions de travail ?

Pascal : La prise de parole revendicatrice suppose un « désir de politique ». Lutter à l’intérieur de l’entreprise pour de meilleures conditions de travail implique d’abord d’être en mesure de percevoir que la dégradation des conditions de travail relève de choix d’entreprise au service d’un régime politique controversé, le capitalisme, et ensuite d’être motivé par la perspective d’une remise en cause de ce régime qui donne sens à la lutte. Or, la motivation politique et collective est en très net recul et beaucoup plus difficile à susciter dans les services aujourd’hui. Il faut accepter de le reconnaître si on veut orienter efficacement l’action syndicale…

Stéphen : Si je peux me permettre… Le désir de politique est quand-même une idée très abstraite… L’engagement dans l’action collective n’est pas portée que par le souhait d’une transformation sociale d’ensemble. L’action syndicale, c’est aussi améliorer la situation quotidienne pour soi-même et ses collègues. Etre mieux payé et ne pas se faire maltraiter par le management, ça change déjà pas mal de choses au niveau de la vie quotidienne. Sans oublier que ces questions sont avant tout collectives et qu’il faut donc tenter de les mobiliser comme enjeux collectifs…

Pascal : Peut-être, mais il faut admettre aussi que nous ne sommes plus dans les années 1970, voire au début des années 1980 où, aux PTT en tout cas, on parlait du capitalisme, de l’autogestion, etc. Les collègues, sans être hostiles aux mobilisations, préfèrent maintenant beaucoup plus “tirer leur épingle du jeu” individuellement plutôt que de rejoindre l’action collective, le voice. Il serait trop long de reprendre ici tous les changements sociaux à cliquet de quatre décennies de politique néolibérale qui pourraient expliquer ce « recul du politique » dans le monde du travail. Mais pour ce qui me concerne, ayant vécu le passage d’une administration à forte culture technique et de service public à celle d’une entreprise commerciale du CAC 40, je voudrais insister sur deux aspects qui, selon moi, se complètent comme deux étages d’une même fusée : premier étage, la mise en place des dispositifs d’individualisation du travail des années 1990-2000 – comme l’évaluation individuelle et les horaires décalés suite à la loi sur les 35 heures – et puis un second étage, à partir du milieu des années 2000, avec les avancées très rapides du numérique (par exemple, la mise en place d’une gestion administrative du personnel par plate-forme – appelée à France Télécom le CSRH) qui confirment le message implicite du « débrouille-toi tout seul » assumé par le salarié en tant que petit entrepreneur de soi-même. Je pense que ces deux révolutions – la première, organisationnelle et technique, et la seconde, numérique (soutenue par « l’idéologie du progrès ») mise au service de la première –, ont contribué à mettre dans les têtes des “standards” qui rendent ”le collectif” a priori moins légitime qu’avant aux yeux de nos collègues. C’est pourquoi je ne pense pas non plus que « la grande démission », si on fait référence, par exemple, à celle des chauffeurs de bus de la RATP, soit à même de favoriser le retour de la prise de parole dans la mesure où elle relève d’actes individuels non concertés ; et quand l’exit se rend médiatiquement visible, quand il est concerté et devient collectif comme c’est le cas des jeunes des grandes écoles qui refusent collectivement leur diplôme, ou donne lieu à la création d’associations d’aide et de soutien à la « bifurcation » professionnelle – que certains appellent même la « désertion » – , il suppose dans la plupart des cas un minimum de capital économique, mais aussi culturel et social, pour trouver le temps de se retourner. D’autre part, concernant « l’humanisation du travail », le management est passé maître dans l’art de détourner le sens des mots pour justifier ses méfaits. Par exemple, avec Stéphane Richard, qui a succédé à Didier Lombard, Orange a lancé un slogan interne qui était : « Chez Orange on est digital et humain ». Voyant que les deux termes n’allaient pas de pair et que la prise de parole à ce sujet commençait à s’amplifier, la rhétorique managériale s’est empressée de reprendre à son compte la critique montante de la « déshumanisation numérique » pour produire une espèce de sidération de la critique. En réalité, “l’humanisation” du travail est envisagée par le management sous la forme du « modèle Agile », attisant chez les salarié.e.s l’illusion d’une autonomie dans le travail qui se révèle à la longue épuisante et stressante.

Merci pour ces échanges très riches et nous espérons que le débat va rebondir à l’occasion de la publication de cet entretien.

Pour retrouver les éléments du dossier du procès, voir le site https://proceslombard.fr/

Pour retrouver les éléments factuels et juridiques du procès voir le site Editions Législatives 

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