L’Humanité a interrogé les responsables de l’intersyndicale. Objectif : dresser les perspectives de la mobilisation contre la réforme des retraites. Le 23 mai, François Hommeril, président de la CFE-CGC. C’est la cinquième interview.
François Hommeril de la CFE-CGC : « La majorité présidentielle est en panique »
Publié le Mardi 23 mai 2023 Naïm Sakhi
Élisabeth Borne poursuit ses rencontres avec les « partenaires sociaux » et recevait à Matignon, lundi, les organisations patronales, après les syndicats de salariés, la semaine dernière. D’ailleurs, pour François Hommeril, de la CFE-CGC, représentant les cadres, l’exécutif doit produire des actes concrets, dans sa volonté de renouer un dialogue avec les centrales syndicales.
Qu’avez-vous dit à Élisabeth Borne lors de votre rencontre ?
La première ministre veut renouer le dialogue. C’est une bonne entrée en matière, car elle admet que ce dernier s’est rompu, à l’initiative de l’exécutif. J’ai d’abord réaffirmé la nécessité de retirer cette réforme des retraites. Sur cette question nous n’abandonnerons jamais la partie.
Une fois cela évoqué, j’aurais pu me lever et partir. Mais ce n’était pas mon projet. Je suis allé à Matignon avec un mandat : faire avancer les conditions de travail des salariés. Mais je n’accepterai plus d’être celui qui vient pour être sur la photo, sans qu’aucune de mes propositions ne soit retenue.
De quelles propositions avez-vous fait part ?
J’ai dit à Élisabeth Borne qu’elle a une obligation de réponse sur trois sujets. À commencer par les ordonnances Macron. Sans réouverture de ce dossier, la démarche de dialogue voulue par l’exécutif ne serait pas sincère. Ensuite, l’abrogation des mesures de dégressivité des allocations chômage. Elles sont inacceptables, révoltantes et adoptées pour des raisons populistes. Enfin, pour que la négociation entre partenaires sociaux se déroule convenablement, le gouvernement doit rééquilibrer le cadre de discussion entre employeurs et salariés, qui, jusque-là, avantageait toujours le patronat.
L’intersyndicale présentera, le 30 mai, une plateforme de mesures communes. En l’état de la discussion avec l’exécutif, êtes-vous favorable à des rencontres multilatérales ?
Bien sûr. Mais s’agissant des revendications partagées, c’est un travail novateur. Cette synthèse commune aux syndicats doit être un plancher minimal aux négociations. Si le gouvernement ne reprend pas la totalité de nos demandes, nous considérerons qu’il n’a pas été à la hauteur, et nous en tirerons toutes les conséquences. L’exécutif n’a pas d’autre choix que de nous donner raison. Sur l’allocation chômage, par exemple, nous avons la preuve que la dégressivité est inefficace, sauf à taper inutilement sur les demandeurs d’emploi. Je pense que Matignon veut recréer un climat favorable de dialogue, mais le problème, c’est l’Élysée.
La Macronie tente d’activer l’article 40 pour empêcher le débat sur la proposition de loi du groupe Liot visant à abroger la réforme. Pourquoi les députés doivent-ils se prononcer sur cette proposition de loi, le 8 juin ?
Tout simplement parce que les députés n’ont jamais pu voter sur cette réforme. Lors de la motion de censure après l’usage du 49.3, ils se sont prononcés sur la confiance apportée au gouvernement. L’exécutif a triché. La représentation nationale doit se positionner.
J’ai d’ailleurs rencontré le groupe Liot. Son argumentaire reprend celui de l’intersyndicale. C’est une loi verticale, qui n’est pas motivée économiquement et qui engendre des inégalités sociales insupportables. La position d’Aurore Bergé (présidente du groupe Renaissance – NDLR) et d’Élisabeth Borne, expliquant que ce texte serait inconstitutionnel, est intenable.
Le bureau de l’Assemblée s’est d’ailleurs déclaré favorable à l’examen de cette proposition de loi, tout comme le président de la commission des Finances (l’insoumis Éric Coquerel – NDLR). En réalité, la majorité est en panique, car elle ne veut pas que les députés puissent voter. Refusant d’encaisser une défaite, le camp du président utilise tous les artifices pour empêcher un scrutin dans l’Hémicycle. C’est très grave.
L’intersyndicale jouera-t-elle un rôle après la journée d’action du 6 juin et l’examen de la proposition de loi du groupe Liot ?
Sur les retraites, rien ne sera terminé le 8 juin au soir. Notre opposition va perdurer, tout comme notre détermination à obtenir le retrait de ce texte. Je suis favorable à une poursuite du mouvement social, sous de nouvelles formes. Dans la CFE-CGC, il n’y a pas de majorité en faveur de grèves et manifestations régulières. L’intersyndicale restera uniquement sur le dossier des retraites. Il n’y aura pas, par exemple, des intersyndicales sur les salaires ou sur le temps de travail.
Comme dans une lutte dans les entreprises, ces rassemblements se forment à l’occasion de conflits sur des enjeux précis. Ce rapport de force impose un travail commun. Sur l’agenda social à venir, aucun syndicat ne va se défaire de son droit à exprimer sa singularité. Ce qui n’empêchera pas des revendications communes.