Social et politique : paroles syndicales

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Le journal en ligne Cerises-la coopérative publie un dossier sur les enjeux du Nouveau Front populaire en cet automne 2024. Il contient de nombreuses prises de position : politiques, syndicales et associatives. Lire ci-dessous le  numéro complet. Merci à Cerises de nous autoriser à reproduire plus particulièrement les points de vue  de Benoît Teste (secrétaire général de la FSU), Murielle Guilbert et Julie Ferrua (co-déléguées générales de l’Union syndicale Solidaires) et de Karl Ghazi (syndicaliste). Ces réflexions portent aussi sur le rapport entre syndicalisme, mouvement social, et champ politique.

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Benoit Teste, General Secretary of FSU, during the demonstration against the pension reform, on December 17, 2019 at Place de la Republique in Paris. Paris, FRANCE - 17/12/2019//04HARSIN_BENOITTESTEFSUMANIFREFORMERETRAITE001/1912171837/Credit:ISA HARSIN/SIPA/1912171851

Benoit Teste, General Secretary of FSU, during the demonstration against the pension reform, on December 17, 2019 at Place de la Republique in Paris. Paris, FRANCE – 17/12/2019//04HARSIN_BENOITTESTEFSUMANIFREFORMERETRAITE001/1912171837/Credit:ISA HARSIN/SIPA/1912171851

Syndicats, partis, société civile : le NFP peut rebattre les cartes

Drôle de rentrée. Pour commencer par le côté pile, c’est d’abord le soulagement mêlé de fierté d’avoir déjoué les pronostics d’une victoire de l’extrême droite. Premier enseignement : les syndicats et la société civile peuvent participer d’une dynamique, d’un « état d’esprit » unitaire qui pèse sur le réel, il a beaucoup compté que ce soit dans la constitution même du NFP ou au moment de faire « front démocratique » en vue du second tour. D’un point de vue syndical domine le sentiment d’avoir su, devant l’imminence du péril, faire un pas de plus, certes en prenant quelques risques, dans l’implication dans une dynamique politique, celle du Nouveau Front populaire pour ce qui concerne la FSU et la CGT, et aussi dans celle qui a limité ses expressions à faire « front démocratique » contre l’extrême droite, cette fois-ci dans un cadre à 5 syndicats, tout en préservant, c’est du moins ce dont nous avons été soucieux, notre indépendance. Un deuxième enseignement : la période appelle à faire du neuf sur les relations syndicats – partis, qui ne sauraient être l’instrumentalisation des uns par les autres, mais qui ne sauraient être non plus une course « chacun dans son couloir ». Les syndicats partent toujours du point de vue du monde du travail et ont des exigences qu’ils maintiennent quelles que soient les forces au pouvoir, car ils sont fondamentalement des contre-pouvoirs. Il faudra formaliser davantage, sans les figer, les cadres d’échange et les cadres militants partout sur le territoire.

 

Tous les possibles sont ouverts. La victoire relative du NFP confirme l’aspiration d’une part importante de la population à la rupture avec les politiques néolibérales qui, sur fond d’austérité budgétaire et d’injustice fiscale sacrifient les salarié-es et les services publics. Cette victoire a déjà permis des succès, qu’il s’agisse de l’abandon de la réforme de l’assurance chômage, de l’éloignement de la perspective d’une nouvelle attaque contre le statut de la Fonction publique, ou la remise en question, certes très partielle, du « choc des savoirs ». Quand bien même ce ne serait pas un gouvernement NFP qui était nommé (ce qui est inconnu à l’heure où ces lignes sont écrites), de nouveau les leviers existent, cela redonne du courage pour les luttes. C’est bien la grève générale en 1936 qui a permis d’imposer les conquêtes sociales du Front populaire, la victoire de la gauche avait donné confiance, les attentes étaient immenses et la conscience qu’il fallait se battre pour les concrétiser aussi. De ce point de vue, les parallèles avec la situation actuelle sont nombreux.

Mais justement parmi la face sombre de la situation politique de rentrée, il peut y avoir à l’inverse le découragement des salarié-es face à un pouvoir qui, quoi qu’il arrive, grèves et manifestations ou vote, s’accroche et mène inexorablement la même politique. Et le NFP, dans la V° République, n’a « pas autant » gagné que son ancêtre de 1936…

Donner confiance pour que les luttes montent en puissance est donc notre tâche du moment, nous devons, tout au long du mois de septembre, mener tous les combats qui préoccupent directement le monde du travail, par exemple celui contre le choc des savoirs qu’il faut continuer à « enliser ». Tout cela doit préparer une mobilisation d’ampleur au moment du budget, début octobre.

Nous attendons le soutien concret des partis du NFP sur ces luttes, tout comme ils peuvent compter sur une expression positive de notre part sur les mobilisations plus directement politiques auxquelles ils appellent comme le 7 septembre. Les citoyen·nes rassemblé·es, les jeunes, les syndicats, les associations, ceux et celles-là même qui ont permis le succès du NFP, doivent continuer à se mobiliser pour exiger le respect de la volonté des électeurs et des électrices et notamment la mise en œuvre du volet d’urgence du programme du NFP.

Benoit Teste, secrétaire général de la FSU

 

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Indépendance mais pas indifférence

 

 

Si la coalition du Nouveau Front Populaire est arrivée en tête des élections législatives, c’est en partie grâce aux organisations du mouvement social qui se sont mobilisées pour que le scénario catastrophe de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite n’ait pas lieu. Malgré une très forte poussée de l’extrême droite le pire a été évité, mais nous devons considérer ceci comme un sursis. Il est urgent de changer de politique pour éviter que la catastrophe ne se produise en 2027, et les atermoiements actuels de Macron (à l’heure où nous écrivons il n’a toujours pas désigné le ou la première ministre) laissent un flou important et préoccupant sur la politique sociale, environnementale qui sera menée.

L’Union syndicale Solidaires a eu un positionnement lors de cette crise politique qui a consisté à dire qu’elle agira par tous les moyens contre l’extrême droite, en portant notamment des mesures  d’urgences sociales pour arrêter la fuite en avant de plus en plus d’électeur-trices vers le RN. Et en produisant des argumentaires pointant les votes, les actes et les propos du RN pour démontrer à quel point l’extrême droite est une imposture sociale.

C’était une position qui représentait un point d’équilibre interne entre les syndicats de Solidaires qui ont directement appelé au vote pour la coalition du NFP et ceux qui ont fait prévaloir l’indépendance du syndicat vis à vis des partis politiques. Ceci a permis à l’Union syndicale Solidaires d’être active dans les initiatives pré-électorales au côté des organisations du mouvement social dans les différents meetings et évènements et à la fois de préserver notre indépendance vis à vis d’un futur gouvernement.

Certain-es ont pu y voir de la frilosité alors que la CGT et la FSU par exemple ont explicitement appelé à voter pour la coalition du NFP. Il ne s’agit pas ici bien sûr de critiquer le choix des autres organisations, mais d’expliciter ce positionnement.

Solidaires a déjà appelé à ce qu’il n’y ait pas une voix pour l’extrême droite lors des élections présidentielles et la position prise en juin préserve de deux écueils possibles :

– celui de penser que si un gouvernement « NFP » est finalement constitué il suffirait de laisser leur programme se mettre en place pour voir les revendications sociales du syndicat enfin être concrétisées. Or on sait que le patronat et globalement les tenants de ce système capitaliste feraient tout pour mettre des bâtons dans les roues pour l’empêcher. Un rapport de force sera donc encore nécessaire.

– celui de penser que le syndicat peut arrêter d’être un contre-pouvoir : évidemment qu’un gouvernement qui présenterait l’abrogation de la réforme des retraites, l’augmentation des salaires, et reviendrait sur la casse des services publics serait favorable à l’intérêt des travailleurs et travailleuses que doivent représenter les syndicats.

Mais l’échiquier politique confus, ou très éclaté, y compris à l’assemblée nationale peut aussi laisser des compromis voir des renoncements de programme qui iraient au final à l’encontre de cet intérêt… les exemples dans l’histoire sont malheureusement nombreux.

L’existence de contre-pouvoir, syndicats, presse, organismes indépendants, associations, y compris diversité des partis politiques sont les garants d’une réelle démocratie, il est important de le rappeler, particulièrement dans les moments de « crise » et alors que les libertés publiques ont été gravement remises en cause par les derniers gouvernements.

Et maintenant, que faire et quelle voie d’équilibre trouver ?

– il faut que les syndicats construisent un mouvement unitaire dès la rentrée, qui reprend le chemin de luttes gagnantes, en cernant les priorités, gagner l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 qui a mobilisé des millions de personnes dans la rue, gagner sur des augmentations de salaires (privé et public), et revenir totalement sur la casse de tous les services publics : c’est en ce sens que notre comité national de mi-juillet s’est exprimé. C’est ainsi répondre directement aux aspirations de la population pour du changement concret, et instaurer un rapport de force avec le patronat au-delà de peser sur telle ou telle force politique.

– c’est réinterroger nos pratiques et manières de militer :

→ combattre les déserts syndicaux, être présent-es encore plus dans tous les collectifs de travail

→ cela passe par (re-)convaincre de la capacité collective de gagner, et aussi par la pertinence de la lutte au-delà de retrouver une vraie « écoute » des syndicats

→ travailler amplement sur les questions de racisme, et autres formes de domination dont l’extrême droite fait son lit

→ cela passe aussi par essayer de porter nos revendications et nos luttes en intersyndicale large

Solidaires a toujours privilégié les liens avec les associations, organisations et collectifs du mouvement social que ce soit sur les questions féministes, environnementales, du logement, de l’économie… Cette articulation a montré sa grande pertinence particulièrement ces derniers mois. Il s’agit de réfléchir comment le rassemblement peut être plus efficace, respectueux des diversités, et en lien avec des organisations politiques, tout en préservant l’indépendance et le lien direct avec les travailleurs et travailleuses dans la période qui s’ouvre.

Murielle Guilbert et Julie Ferrua Co-déléguées de l’Union syndicale Solidaires

 

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La politique, c’est une chose trop grave pour la confier aux seuls partis !

Une nouvelle Assemblée nationale a été élue le 7 juillet dernier, dont la composition politique a déjoué tous les pronostics. Trois grands blocs s’y distinguent, le premier étant celui du nouveau Front Populaire (NPF) qui comporte 193 députés.

Alors que 289 députés sont nécessaires pour obtenir une majorité absolue, le NPF, s’il veut appliquer son programme, ne pourra pas compter sur ses seuls élus.

Comment faire alors, pour satisfaire les principales revendications exprimées dans le vote et dans les sondages qui ont immédiatement suivi les élections législatives ? Comment surmonter l’arithmétique née d’un front républicain qui a certes jugulé le RN, mais qui a permis le maintien d’un groupe macroniste important ?

Nous faisons face à une arithmétique défavorable, à un calendrier serré et à deux questions importantes : la première, c’est la propension des forces de gauche à la division, qui n’a été surmontée aux législatives qu’en raison de la menace extrême d’une arrivée de l’extrême-droite au pouvoir.

La seconde, c’est que même lorsqu’elle était majoritaire à l’Assemblée, la gauche a capitulé à 3 reprises face au rouleau compresseur néolibéral (1983, 1997 et 2012).

Ces capitulations pèsent aujourd’hui très lourd : ce sont elles qui sont la cause de l’abstention électorale d’une part importante des catégories populaires, qui affaiblissent la gauche et font du RN la force politique la plus importante.

Il nous faut donc parvenir à maintenir l’unité, mettre à l’ordre du jour les mesures contenues dans le programme du NFP et les faire aboutir pour démonétiser le RN. Et si nous n’y parvenons pas, il faudra que ce ne soit ni du fait de notre désunion, ni de notre renoncement. Si nous échouions, mais que notre échec faisait apparaître clairement que le seul bloc politique qui porte les aspirations populaires, c’est le NFP, alors nous pourrions affronter plus sereinement une échéance électorale qui pourrait se présenter dans 11 mois au plus tôt et dans 33 mois au plus tard.

Garantir l’unité, c’est continuer de faire vivre le NFP comme il a vécu pendant la campagne des législatives, comme un véritable front populaire qui entraîne les partis et dans lequel le monde syndical, monde associatif et toutes ces personnes nées au militantisme à cette occasion jouent un rôle essentiel. Livrés à eux-mêmes, les partis politiques seraient à nouveau prisonniers de leur course à l’échalotte pour déterminer qui, parmi eux, serait le nain le plus grand.

Garantir la défense du programme du NFP, c’est organiser tous ensemble, localement et nationalement, la mobilisation pour porter son programme de progrès social et démocratique.

Échaudées par un passé marqué par une trop grande proximité avec les partis, les organisations syndicales avaient poussé trop loin le balancier de la prise de distance, confondant parfois la politique et les partis politiques. La gravité de la situation doit nous inciter à poursuivre dans ce que nous avons, heureusement, initié lors des législatives.

Si, comme le confirment les études et les sondages, les Français ne sont pas racistes dans leur grande majorité (rapport CNCDH de novembre 2023), s’il est vrai que leurs deux principales préoccupations, bien avant les questions d’immigration, ce sont le pouvoir d’achat et le système social (sondage IPSOS-La Tribune Juillet 2024), alors, la balle est dans notre camp.

Sachons la saisir en mettant en place localement un Nouveau Front Populaire qui soit le lieu de rassemblement, de débats, de décisions et de luttes de toutes celles et ceux qui se battent pour le progrès social, l’antiracisme, le féminisme et une démocratie réelle.

Karl Ghazi, syndicaliste

 

 

 

 

 

 

 

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