La question des travailleurs indépendants commence à interroger le syndicalisme. Sur le thème « À néo-salariat, néo-syndicat », la fédération CFDT Communication, Conseil, Culture a invité les travailleurs du numérique à imaginer avec elle le syndicalisme et les protections dont ils ont besoin. Dans la foulée, nous publions une interview d’Olivier Lelong, secrétaire fédéral (parue dans Nouvel Obs-Rue 89).
Barcamp F3C : “Syndicats, que faites-vous pour nous ?”
« Comment représenter les travailleurs indépendants isolés ? Comment collecter des revendications collectives auprès de ces travailleurs et les porter devant l’État et les patrons ? » S’il a répondu à l’invitation de la fédération CFDT Communication, Conseil, Culture – « Créateurs du numérique, construisons ensemble un néo-syndicalisme » –, Hervé, travailleur indépendant d’une cinquantaine d’années, n’est pas du tout convaincu que « les syndicats » sont à la hauteur. « Il faut changer la manière de s’occuper des salariés pour donner envie aux indépendants de participer. Les syndicats doivent aider à faire converger ancienne et nouvelle économies pour que les travailleurs, salariés ou pas, puissent défendre leurs droits. »
Plateformes numérique et hackathon revendicatif
La première barrière est celle des mots. La F3C a fait des efforts : après un meetup (une soirée-débat) le 21 janvier, elle organisait ce 11 février un barcamp (un atelier-débat participatif), le tout au Numa, un espace de coworking au cœur de Paris. « Vous devriez parler d’organiser les indépendants plutôt que de syndiquer. » Mais derrière le vocabulaire se cachent des questions de fond. « Arrêtez de faire comme si tous les travailleurs indépendants étaient précaires et sous-formés », s’exaspère Baki. « Où sont les plateformes numériques pour collecter nos revendications ? Pourquoi ne venez-vous pas voir les indépendants dans les espaces de coworking où ils travaillent ? », interrogent les participants. Leurs attentes sont grandes. Y compris vis-à-vis du futur compte personnel d’activité (CPA) que certains voient comme « la monnaie alternative du parcours des indépendants pour avoir accès » à de la formation ou à du temps. « Et si on organisait un hackathon [concours d’idées] autour du CPA ? », proposent les participants. Si le premier contact est « franc », l’envie qu’il soit suivi d’effets est manifeste.
La CFDT lance une plate-forme (lu sur le site Nouvel Obs-Rue 89)
Une interview d’Olivier Lelong, de la fédération communication, conseil, culture (F3C)
Comment capter les travailleurs indépendants du numérique ? Comment les représenter ? Comment collecter les revendications à porter ? Depuis quelques mois, la fédération communication, conseil, culture (F3C) de la CFDT s’interroge sur ce secteur dans lequel elle admet être peu présente.
Le 29 novembre dernier, la fédération a lancé Union, « première plateforme syndicale de services » à destination des travailleurs indépendants. Pour 1% de leur chiffre d’affaires, Union met à disposition des autoentrepreneurs et freelances des logiciels, une assurance ou encore une protection juridique.
Le sociologue Antonio Casilli y voit là l’exemple d’une tendance. Rue89 a interviewé Olivier Lelong, le secrétaire fédéral de la CFDT qui a lancé Union.
Rue89 : Pourquoi lancez-vous cette plateforme ?
Olivier Lelong : Nous faisons le constat que le monde du travail change et que l’impact du numérique est assez prenant. De nouvelles manières de travailler sont mises en œuvre, contraintes ou non. Il existe des situations hybrides : certains travailleurs indépendants le sont à certains moments de la journée, et sont salariés le reste du temps… On n’est plus une société monolithique.
On a commencé à travailler sur le sujet fin 2015. On a d’abord essayé de comprendre en rencontrant des travailleurs indépendants du numérique lors d’un « meetup » [soirée-débat] et un « barcamp » [atelier-débat participatif] organisés au Numa à Paris.
On a fait le choix d’aborder la problématique par l’offre de services, en permettant aux travailleurs indépendants d’avoir un minimum d’outils à leur disposition. On est quasi les seuls à s’y intéresser pour l’instant.
Le but, c’est de réussir à réunir les travailleurs indépendants pour construire le revendicatif et qu’ils soient représentés. On ne considère pas que ce soit à nous, syndicat, d’établir et de dire ce qu’il leur faut. On veut qu’ils construisent avec nous un outil qui peut les représenter et porter leur voix.
Que propose cette plateforme ?
On apporte une base. Le but du jeu, c’est de construire de nouveaux services. Pour l’instant, est mis à disposition :
- un logiciel pour établir des devis et des factures ;
- un logiciel de gestion de la relation client (CRM) qui permet par exemple de mettre en place une campagne de prospection ;
- l’outil de facturation est relié à un coffre-fort numérique sécurisé (Digiposte) ;
- il y a aussi une assurance responsabilité civile professionnelle, bien souvent oubliée. Notre adhérent paie cette assurance quand il est en activité : ce ne sera pas 300 ou 400 euros à l’année mais elle sera calculée en fonction du chiffre d’affaires.
Ces services sont plutôt conçus pour les personnes qui se lancent dans une activité indépendante. Une des particularités, quand on démarre une activité, c’est de ne pas tout de suite dégager un chiffre d’affaires… Là, les adhérents versent 1% de leur chiffres d’affaires, qui couvre tous les services.
A côté de ça, les travailleurs indépendants ont accès aux autres services proposés aux adhérents CFDT, dont l’accompagnement juridique. On peut apporter une aide juridique pour des problèmes de couverture sociale par exemple.
L’idée, c’est d’apporter des outils qui permettent véritablement d’être indépendants, sans être obligés de passer par des plateformes pour avoir une assurance professionnelle, par exemple. Le but, c’est que les indépendants ne soient pas liés à une plateforme car pour nous, être indépendant passe par la maîtrise de ses outils de travail.
A quels travailleurs indépendants vous adressez-vous ?
Pour l’instant, on a plutôt conçu la plateforme pour les personnes en phase de création, de lancement d’activité : on leur propose une couverture et des outils peu onéreux. On devient un tiers de confiance.
Est-ce que ça concerne par exemple les livreurs à vélo ?
Pour l’instant, non. On s’adresse plutôt aux professions intellectuelles, car l’assurance ne correspond pas à la prise de risques de ce type de prestations.
C’est un « work in progress ». On ne voulait pas apporter un produit clé en main : on souhaite construire cette plateforme avec les travailleurs indépendants du numérique.
Ce qu’on constate, quand on discute avec eux, c’est que les travailleurs sont indépendants mais pas solitaires. Ils sont plutôt solidaires dans leur démarche, ils travaillent souvent de façon collaborative.
En tant que syndicat établi, on a une image un peu vieillotte, on a une longue et vieille histoire… Mais si on veut se faire entendre, il faut se structurer, et ça c’est un peu notre spécialité.
L’idée c’est vraiment de mettre en place un lieu de débat et de construire le revendicatif pour ces travailleurs. On se sent tout à fait légitime pour porter leur voix.
Ce n’est pas évident. On n’est pas tout à fait sur le même mode de fonctionnement… Ça va passer par du dialogue pour mieux se comprendre.
En quoi est-ce que vous n’êtes pas sur le même mode de fonctionnement que ces travailleurs ?
Ils sont indépendants et il y a peut-être une crainte de leur part pour ce qui est structurant. Ils ne sont pas dans une structure comme une entreprise, avec un patron en face, on est sur des problématiques beaucoup plus larges. Des problématiques liées à leur statut, qui n’est pas très sécurisé. On n’est pas non plus sur les mêmes canaux de négociations par rapport aux salariés.
Une des problématiques majeures est celle de la couverture sociale : quand vous êtes autoentrepreneurs, vous cotisez, mais très peu. Et, souvent, le statut ne permet pas de financer sa couverture sociale.
Comment on réinvente un système de solidarité qui permet de prendre en compte tout cela ? On aimerait bien les inviter à réfléchir à ces questions : venez construire avec nous le revendicatif et vos moyens d’action.