Cet article vient de paraitre dans la NVO.fr, bimédia CGT. La lutte des sans-papiers démarrée lundi 12 février est un combat frontal contre le gouvernement Macron et la loi qu’il prépare.
115 travailleurs sans papiers en lutte pour leurs droits
Ce lundi 12 février 2018, dans quatre départements d’Île-de-France, une centaine de travailleurs sans papiers sont entrés en grève illimitée dans leur entreprise pour exiger leur régularisation. Coordonnés par plusieurs structures de la CGT, ils ont simultanément installé leur piquet de grève dans les six entreprises qui les emploient dans divers secteurs d’activités : le BTP chez Defi Technology à Paris ; la collecte d’ordures ménagères chez Sepur à Wissous (91) ; la distribution de colis express chez Chronopost à Chilly-Mazarin (91) ; la logistique-transport chez GLS à Roissy (93 et 95) ; la préparation de plats cuisinés chez Event-Thaï à Chevilly-Larue (94) ; la valorisation des déchets chez STLG à La Queue-en-Brie (94).
En cessant le travail pour une durée indéterminée, ces 115 travailleurs s’engagent dans une lutte potentiellement très longue et particulièrement difficile. D’abord, en raison du contexte politique dans lequel elle s’inscrit. Les projets de loi en cours sur l’accueil des migrants vont considérablement durcir les conditions administratives d’obtention de titres de séjour et rendre quasiment impossible la régularisation par le travail telle qu’elle était pratiquée jusqu’ici.
Pour les droits fondamentaux
« Il est très clair que la priorité politique actuelle du gouvernement, c’est la reconduite à la frontière massive de ces travailleurs », assure Marilyne Poulain (collectif CGT Travailleurs migrants). Elle souligne à ce titre deux articles du projet de loi du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, « Pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », qui remettent clairement en cause des droits humains fondamentaux.
Tout d’abord la circulaire du 12 décembre, dite « de la honte » qui incite les forces de l’ordre à trier les « bons » et les « mauvais » migrants dans les centres d’hébergement d’urgence. Et, plus récente, la circulaire (qui devient l’article no 16 du projet de loi), qui remet en cause la reconnaissance du travail sous « alias ». « C’est un acquis majeur arraché au gouvernement Sarkozy par le mouvement des travailleurs sans papiers de 2008. Le supprimer, c’est nous faire reculer dix ans en arrière », alerte Marilyne Poulain.
Examiné en conseil des ministres le 21 février, ce projet de loi est déjà largement contesté, aussi bien par l’ensemble du mouvement associatif, que par la CGT : « Nous avons déjà fait la démonstration que ces travailleurs, ces femmes et ces hommes en situation administrative irrégulière n’ont souvent d’autre choix que de recourir à l’alias pour survivre », souligne Jean‑Albert Guidou (collectif CGT Travailleurs migrants). Sans compter le fait qu’en affaiblissant les droits déjà très précaires des travailleurs migrants, le gouvernement offre dans le même temps aux employeurs des opportunités supplémentaires de chantage à l’emploi et de surexploitation d’hommes et de femmes en situation de grande vulnérabilité.
Le très légal travail illégal
Rappelons que la majorité de ces travailleurs sont embauchés sous contrat d’intérim par des entreprises qui, par ce truchement, s’évitent de contrevenir à la loi interdisant le recours au travail illégal. Bien conscients de la situation administrative irrégulière des migrants qu’ils embauchent via l’intérim, ces employeurs s’offrent ainsi un moyen « légal » de les exploiter dans des conditions de travail pénibles, dangereuses, souvent indignes.
Un cas typique chez GLS qui propose des contrats journaliers de trois heures de travail et qui, en réalité, contraint ses intérimaires à effectuer jusqu’à sept heures par jour, sans jamais rémunérer les heures supplémentaires. Autre cas flagrant, les intérimaires de Defi Technology, acteur du BTP spécialiste de la démolition qui recourt presque exclusivement à des travailleurs irréguliers en intérim, rémunérés à moindre coût mais exposés à des risques santé majeurs (amiante, plomb, etc.). Dans toutes ces entreprises adeptes du « sans-papiers bon marché », l’argument opposé au travailleur est imparable : « Si t’es pas content, pas de travail ».
Réunis pour la première fois à la CGT la veille de leur mise en grève, les 115 travailleurs sans papiers, tous originaires de divers pays d’Afrique, se sont collectivement engagés à mener leur combat jusqu’à décrocher la victoire. « Notre seule force, notre seule arme, c’est l’union de tous et nous tiendrons [la grève] jusqu’au bout parce que c’est le seul moyen de gagner notre régularisation, et nous la gagnerons ! », lançait au micro un délégué CGT de GLS. Dans ce bras de fer très difficile qu’elle engage avec le gouvernement Macron contre ses orientations politiques en matière d’immigration, la CGT ne se berce pas d’illusions, mais ne renonce à rien : elle réaffirme ses exigences de justice sociale, de conditions de travail décentes et soutenables humainement et de respect des droits humains fondamentaux, par les employeurs comme par l’État. C’est ce que réaffirmera son secrétaire général, Philippe Martinez, lors de sa conférence de presse, le 13 février, à Montreuil.
Négocier en direct avec le ministère
À la différence des précédentes batailles de travailleurs sans papiers, celle-ci s’engage sur de nouvelles bases : « Il n’y aura pas de réclamation de formulaires CERFA aux employeurs pour la simple raison que la plupart s’en servent désormais pour faire le tri parmi leurs salariés, en les accordant à certains et pas à d’autres », explique Marilyne Poulain. Pas, non plus, de réclamations de titres de séjour aux préfectures qui, avec ou sans consignes du gouvernement, se débrouillent déjà pour ne plus délivrer les récépissés ouvrant droit au titre de séjour. Bref, pas de suppliques inutiles. Juste, cette exigence, portée ce matin à la CNLTI (Commission nationale de lutte contre le travail illégal) par Patricia Tejas (pilote du collectif CGT Travailleurs migrants) : ouvrir une négociation avec le ministère de l’Intérieur en vue de régulariser tous ces travailleurs sans papiers, en grève à partir du 12 février 2018, et qui le resteront jusqu’à concrétiser le slogan de lutte « on bosse ici, on vit ici, on reste ici ! ».