La conception sociale de Jean-Louis Malys (CFDT)

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Pierre Lévy nous a envoyé ce commentaire du livre de Jean-Louis Malys, ex-secrétaire national de la CFDT, responsable du dossier retraites en 2003.

Jean Louis Malys, Agir pour un idéal imparfait. Les cheminements d’un syndicaliste entre « loi travail », engagements et bouleversements du monde, Paris, L’Aube, 2017. 

 

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Ancien secrétaire confédéral en charge, notamment, du dossier des retraites, Jean Louis Malys a été promu en 2017 à la tête de l’Arcco, le système de retraites complémentaires obligatoires des salariés non-cadres, après dix ans à la direction de la confédération. Celui qui est présenté comme un ancien maoïste (L’Est républicain du 6 mars 2016) présente dans cet ouvrage le bilan d’une partie de son action à la tête de la centrale réformiste, comme elle se caractérise elle-même. Le livre se décline en quatre chapitres, présentant en quelque sorte un condensé des positions et analyses portées par la CFDT. Il n’est pas inintéressant de s’y pencher de manière un peu détaillée.

Le premier chapitre, de loin le plus polémique, porte l’analyse de la loi travail et des divergences de la CFDT avec la CGT. La philosophie de la CFDT, en ce cas, comme en mille autres, est qu’il ne faut pas s’opposer systématiquement à un projet, puisque le système capitaliste étant l’horizon indépassable de notre temps, il est nécessaire de rechercher les compromis positifs pour les salariés. En effet « l’objectif partagé devrait être que ces entreprises se portent bien afin d’assurer leurs activités ainsi que leur avenir et celui des salariés » (p.22). Partant de ce présupposé, on comprend que la réponse qu’apporte J.L Malys à la question : « Un syndicaliste doit-il haïr l’entreprise privée ?» (titre d’un chaptire, p. 22) ne peut être que négative. Le dialogue social doit s’instaurer et la recherche de solutions négociées doit prévaloir, de solutions, mieux encore, « civilisées » (p. 24), terme qui revient régulièrement, en lien avec le mot : »intelligent ». Le patronat l’a bien compris d’ailleurs : « Le dialogue social est un atout de performance et un acte d’intelligence » (p. 24). Pour réussir au mieux cet exercice d’autant plus crucial que l’entreprise (c’est un scoop) n’appartient pas « juridiquement » à son patron et à ses actionnaires (p. 34), il faut une forme syndicale « relativement centralisée » (ce qu’est donc la CFDT), pour éviter la balkanisation de l’organisation. Faute de cette posture, on obtient une caricature de syndicalisme (la CGT, of course) qui n’a rien obtenu depuis 1968 (cf. p. 60).

D’ailleurs, le second chapitre, largement consacré à sa conception du syndicalisme et à ses défis, ressemble fort à un portrait à charge, digne du discours de la guerre froide. La CGT est une organisation à la dérive, soumise aux humeurs des trotskistes (cf. p. 105).On sait que les extrêmes se rejoignant, « les pires en arrivent même à se trouver en proximité immédiate et complaisante avec les extrêmistes d’en face, ceux de l’extrême droite. C’est là où se mêlent le rouge et le brun, la politique et la haine » (p . 108). Alors, face à cela, « être réformiste, ce n’est pas promettre un monde idéal pour des lendemain sans cesse repoussés, c’est forger jour après jour cette société meilleure dont nous rêvons par notre façon d’agir et de penser »(p. 115). Et là, Malys inscrit l’action syndicale dans une conception du temps où l’on retrouve trait pour trait le temps social-démocrate que Walter Benjamin a pu développer dans ses « thèses sur le concept d’histoire » (1940), un temps lisse, uniforme, sans accroc. Un temps marqué par le rythme lent mais continu du progrès, sans retour en arrière. Notre société, notre monde, se dirigent vers un progrès permanent, continu, « la révolution du possible et du quotidien » (p. 129). Fort de cette conception, il en décrit quelques stations. La mondialisation est une chance, l’Europe un atout ! (titre d’un chapitre, p. 133). L’égalité (est) inéluctable et salvatrice (p. 140) : « Nous aurons été sur le bon versant de l’histoire, celui qui nous mène vers l’égalité si évidente » (p. 147). Ce temps positif que rien n’arrête, que rien n’entrave vers toujours plus de bonheur, vers toujours plus d’égalité, ne peut être évidemment soumis à la prédiction de Rosa Luxemburg :  Socialisme ou barbarie. « Inéluctablement » (p. 153), de nouvelles normes s’imposeront pour faire de notre planète « l’orange bleue à préserver » (p. 147). Cette fascination béate pour le progrès s’incarne enfin pour les progrès du numérique et de la digitalisation, ce torrent vers toujours plus de bienfait technologique : « Ceux qui sont incapables de percevoir ces mutations disparaitront avec les tubes cathodiques, les cassettes VHS et les moulins à café. Ils inspireront un peu de nostalgie, mais si peu de regret »(p. 159).

Cette confiance absolue, irrésolue et sans limite pour l’évolution vers toujours plus de progrès social et de justice justifie le nécessaire recul de l’âge de la retraite pour tous (cf. p. 162 et suiv.), compensé pour les « carrières longues et la pénibilité au travail ». Armé du travail et de la défense de l’intérêt général, les syndicalistes, en particulièrement ceux de la CFDT, peuvent envisager sereinement un avenir positif, dégagé du simplisme. Avec un certain brio (reconnaissons à J. Louis Malys une culture sérieuse et un sens de la formule), l’auteur dresse le portrait d’un possibilisme syndical, qui recueille aujourd’hui un certain succès dans un monde du travail (et syndical) déboussolé. Le lire ce n’est pas partager le diagnostic et le pronostic, mais c’est mieux cerner les racines intellectuelles des divergences.

Pierre Lévy

 

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