Comme nous l’avons dit, le débat a commencé à Toulouse sur l’avenir de l’aéronautique, en raison de la crise sanitaire (les avions sont immobilisés, mais aussi vecteurs d’épidémie) mais aussi en raison de la crise climatique. L’article publié ici (https://wp.me/p6Uf5o-3oK), envoyé par l’Université populaire de Toulouse, était en fait le troisième. Les mêmes auteurs (Pascal Gassiot, Antenne toulousaine de la Fondation Copernic, Pierre Bonneau, Attac Toulouse, Gilles Daré, Université Populaire de Toulouse, Jean-Pierre Crémoux, Amis du Monde Diplomatique Toulouse) avaient déclenché la controverse avec un premier papier le 22 avril 2020 un peu provocateur, comparant Toulouse à la capitale étatsunienne de l’automobile Detroit (ravagée par la crise). Nous en publions ici des extraits significatifs. Suite à cela, un syndicaliste CGT d’Airbus (Xavier Petrachi) et un économiste (Gabriel Colletis), membres de l’Association du Manifeste pour l’industrie, avaient répondu (dans Médiacités) en tentant de nuancer le pronostic pessimiste et en proposant d’autres pistes d’alternatives que nous publions ci-dessous. Il semble certain que ce débat aura encore des suites à Toulouse et dans le syndicalisme.
- Télécharger le premier article paru cette année (Université populaire) : toulouse_un_futur_de_troit–2
- Télécharger l’article faisant réponse (Médiacites) : Lindustrie-aeronautique-doit-changer-de-modele-Colletis-et-Petrachi-_-Mediacites
- Lire des extraits de : « Toulouse un futur Detroit ? »
Crise climatique et aéronautique : Les auteurs commencent par décrire la prise de conscience que les voyages en avions peuvent propager des épidémies mondiales, donc avec des conséquences sur ce mode de transport, il ajoutent surtout la question climatique et pronostiquent un avenir sombre de cette industrie sur Toulouse :
« Et la crise climatique qui est là…
Enfin, question de noircir encore le tableau, se profile une autre crise. En fait, elle est déjà là. C’est la crise climatique. Nul besoin de s’interroger sur son existence. Le consensus scientifique autour des travaux du GIEC est avéré. Nous savons que le maintien de notre modèle de développement et nos modes de production, d’échanges et de consommation (dans lequel le transport aérien prend toute sa place), avec leurs conséquences sur l’écosystème humain, est une pure folie. Ce que nous vivons actuellement dans le cadre de la pandémie liée au Covid-19 n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend si nous ne faisons pas un grand pas de côté, si nous n’initions pas collectivement une bifurcation radicale pour prendre le chemin d’un autre modèle ; modèle qui conjuguera décroissance de certains secteurs (comme le transport aérien – les carburants verts annoncés par certains n’y changeront rien…) avec la mise en œuvre de nouveaux modes de vie et de consommation. Il n’y a pas d’avenir pour le transport aérien de masse (le modèle actuel) dans le projet de société à mettre en œuvre pour espérer un futur qui ne sera pas synonyme de crises à répétition voire de guerres. Et nous n’avons pas 50 années devant nous. L’échéance du basculement, c’est 10 ans !
[…]
Adieu Toulouse 2030. Prenons nos affaires en main.
Revenons au poids de l’aéronautique dans le tissu économique. Comme nous l’avons pointé, la quasi totalité de l‘emploi sur Toulouse et sa région (mais pas que) dépend directement, indirectement ou de manière induite de cette filière.
Bien évidemment, l’alignement mécaniste de chiffres et de données ne suffit pas ; et peut même conduire à des contresens. Quand un emploi disparaît dans la filière dominante, les emplois indirects et induits ne sont pas immédiatement menacés. Il faut un effet de masse pour cela. Et puis, il existe des amortisseurs liés aux systèmes de protection sociale et de solidarité collective. Mais on peut déjà affirmer, sans risque de se tromper, que les pertes d’emplois directs et indirects vont se compter par dizaines de milliers dans les mois et les années qui viennent. Comme nous l’avons déjà dit, on peut craindre, sans trop se tromper et nous le répétons, un scénario proche de ceux des mines et de la sidérurgie dans les années 70 et 80.
[…]
C’est à nous citoyens, avec l’aide de nos organisations, de nos syndicats, de nos associations et collectifs de lutte de prendre nos affaires en main.
Il faut très vite que se coordonnent les initiatives visant à rendre possible un autre modèle. Un modèle qui repose sur un changement de paradigme. Non, la croissance économique (en plus mono industrielle comme à Toulouse) n’est plus l’alpha et l’oméga de notre vie en commun.
Il convient de multiplier les contributions comme celle que nous produisons à travers ce texte pour vérifier la pertinence du diagnostic, en vérifier les fondements, élaborer des pistes, générer des convergences pour préparer l’action.
Il y a urgence. Vraiment.
Les mesures essentielles pour changer la donne
- Arrêter ou geler immédiatement tous les grands projets (3ème ligne de métro, TESO, Tour Occitanie, LGV, Parc des expositions…) et ouvrir un débat citoyen sur leur
- Consacrer tous les moyens au développement du transport ferroviaire de petite et moyenne proximité sans obsession de la vitesse ; mailler et conjuguer tous les moyens de transport qu’ils soient individuels ou
- Initier des assises sur le devenir économique de Toulouse et de sa région pour élaborer une stratégie alternative au tout aéronautique avec l’objectif impérieux de reconvertir les outils de production pour produire des biens en rapport avec la bifurcation écosocialiste rendue nécessaire par la conjugaison de la crise sanitaire et de la crise
- Mobiliser les syndicalistes et les salariés de l’aéronautique en s’appuyant sur leur connaissance « interne » des enjeux et perspectives (réorientation des outils de production en particulier).
- Organiser à l’échelle de la métropole et du département les solidarités pour faire face aux conséquences humaines et sociales de la profonde dépression économique qui s’annonce.
- Coordonner les actions avec l’ensemble des territoires de l’aire urbaine de Toulouse et des agglomérations sous influence de la métropole.
- Profiter des élections municipales pour dégager ceux qui ont construit toute leur politique sur cette impasse de la mono-activité industrielle. […] «
[…]
« Les solutions que nous proposons dans ce texte sont rassemblées ci-après.
Avant de les exposer en les fondant pour la plupart sur l’analyse qui précède, nous voudrions indiquer que si elles peuvent être examinées et mises en œuvre une à une, sur une base individuelle, dans notre esprit elles font système et devraient sous-tendre un grand programme de développement d’une autre industrie aéronautique respectueuse des hommes et des femmes et de la nature.
Voici ces dix mesures :
- Un soutien à la transition écologique aussi bien du côté des compagnies aériennes que de celui des constructeurs. Les aides publiques, quelle que soit leur modalité, doivent être conditionnées à la réalisation d’objectifs de réduction de la consommation de carburant, de baisse de la consommation de kérosène6, d’utilisation de carburants alternatifs, d’augmentation, plus globalement, des investissements de R&D pour des avions plus propres, plus sûrs.
Une incitation au démantèlement des avions de la flotte consommant plus de 30% de carburant de plus par kilomètre/passager que ceux de leur gamme devrait être envisagée. Il s’agit le plus souvent d’avions qui ont déjà 20 ans ou 25 ans de service. Aides et incitations ne devraient cependant être engagées qu’en la faveur des seules entreprises ou groupes ayant renoncé à verser des dividendes à leurs actionnaires.
- Un soutien à la diversification des activités aussi bien des acteurs de la filière aéronautique que de l’ensemble du tissu économique de la région toulousaine. Loin d’être inexistantes, ces activités sont d’ores et déjà bien présentes mais leur développement doit être renforcé et orienté vers la transition écologique et la réponse aux besoins vitaux : santé, alimentation, énergie, etc. L’enjeu est celui d’une écologie industrielle de proximité en même temps que celui d’une autonomie productive plus forte du système économique métropolitain. Combiner développement (et non « croissance) et transition écologique constitue LA priorité.
- Un soutien de la pyramide des fournisseurs de rang 3 et 2 et, en cas de besoin avéré, de rang 1. Le chiffre d’affaires de ces fournisseurs devrait fortement baisser dans les semaines et les mois qui viennent, entrainant des défaillances en cascade. Leur diversification (voir supra) et éventuellement leur regroupement doivent être encouragés.
- Dans cette perspective, la constitution volontaire de systèmes autonomes de PME dans
l’aéronautique capables d’évoluer de la sous-traitance vers la co-traitance. Dans la grande région de Toulouse comme dans nombre de territoires de la région Occitanie et aussi d’autres régions françaises (Nouvelle Aquitaine, Pays de Loire, Hauts de France) existent des systèmes autonomes de PME qu’il convient de renforcer car ils disposent de savoir- faire techniques et organisationnels souvent très anciens et néanmoins parfaitement adaptés aux enjeux de l’industrie de demain. La démarche « Territoires d’Industrie » a d’ailleurs identifié certains de ces dispositifs de PME basés sur la confiance et les relations de réciprocité. Ces dispositifs peuvent à la fois se hisser à la fonction de co- traitants et se diversifier en dehors de l’aéronautique.
- La protection des intérêts patrimoniaux. Un certain nombre d’entreprises de l’aéronautique risque de voir leur situation financière se dégrader dans les prochaines semaines et les prochains mois. Il convient d’éviter que ces entreprises ne deviennent des proies faciles pour des fonds spéculatifs ou des intérêts étrangers qui chercheraient à se renforcer dans le secteur stratégique que constitue l’aéronautique. Interventions en fonds propres et non-autorisation de cession pourraient être utilisés dans le respect de règles communautaires qui devraient évoluer dans le sens de la défense des intérêts patrimoniaux de l’industrie européenne.
- L’activation du devoir de vigilance. Cette loi devrait être largement utilisée pour intervenir sur les conditions de travail effectuées dans l’ensemble de la chaîne de sous-traitance et sur la responsabilité des donneurs d’ordres comme Airbus dans le respect des exigences sociales et environnementales.
- Des mesures de soutien spécifique au personnel intérimaire de l’aéronautique qui risque de faire les frais des décisions de court terme de compression des coûts
- Un soutien aux bureaux d’études travaillant pour le secteur aéronautique de manière à leur laisser le temps de trouver d’autres débouchés.
- L’engagement d’une mutation très profonde du sens et des moyens de la gouvernance des entreprises les plus importantes du secteur.
Il revient à l’État actionnaire de favoriser la transition écologique. Le gouvernement, après avoir fait adopter la loi PACTE qui introduit dans le droit français l’entreprise « à mission » prenant en compte les enjeux de société et environnementaux, peut-il lui-même ignorer ces enjeux ? Ne doit-il pas utiliser tous les leviers dont il dispose et, notamment, sa place d’actionnaire chez un des principaux clients d’Airbus et de l’industrie aéronautique : Air France ? Doit-il renoncer au nom d’une « normalité » qui ne connaît que les seuls intérêts d’actionnaires financiers à peser sur les choix stratégiques d’Airbus, Safran, Thalès dont il est un actionnaire très significatif ?
Mais si l’État actionnaire doit contribuer à fixer un horizon stratégique de long terme, dont on a vu qu’il était celui d’une prise en compte centrale de l’objectif de transition écologique, il n’est cependant pas le seul acteur « partie prenante » à pouvoir s’inscrire dans cette perspective. Les travailleurs et leurs organisations représentatives devront prendre toute leur place dans les processus de décision. Ce n’est qu’alors que l’on pourra penser qu’aura effectivement reculé l’actuel pouvoir actionnarial qui recherche plus le placement que l’investissement.
- L’organisation d’Assises du développement écologique et industriel pour Toulouse et sa région qui associeraient –outre les élus de tous bord- les « forces vives » de l’agglomération. En particulier, les organisations syndicales de salariés, les organisations patronales, les chercheurs, les universitaires ainsi que les représentants d’associations diverses.«