Le secteur international de la CGT (Europe) publie une note de soutien aux syndicalistes réprimés par le régime de Biélorussie. Leur procès s’est ouvert le 20 décembre 2022. Il s’agit d’un véritable « anéantissement« . La question de la guerre en Ukraine, soutenue par le gouvernement biélorusse, est étroitement présente dans ce procès.
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L’anéantissement du syndicalisme indépendant par le régime de Loukachenko au Belarus
Le 20 décembre 2022 s’ouvrira à Minsk le procès des dirigeants du BKDP, Aliaksandr Yarashuk, Siarhei Antusevich et Iryna But -Husaim, arrêté.es le 19 avril dernier[1]. Ils risquent jusqu’à 14 ans de prison et font partie des 37 dirigeants et militants syndicaux du BKDP dont 9 femmes, qui sont actuellement détenu.es dans les geôles biélorusses.
C’est ainsi que le régime de Loukachenko anéantit le mouvement syndical indépendant du Belarus, incarné depuis trois décennies par le Congrès biélorusse des syndicats démocratiques (BKDP[2]) qui voit officiellement le jour en 1993 et dont la liquidation a été prononcée par la Cour Suprême du pays le 17 juillet 2022[3].
La naissance du BKDP, est très étroitement liée à l’exercice effectif du droit de grève et à sa contestation par les autorités biélorusses. Une autre ligne de fracture essentielle avec le syndicalisme officiel[4] passe par le refus d’accepter dans ses rangs la direction des entreprises.
Les militant.es du BKDP ont pris une part active à l’explosion sociale qui a suivi l’élection présidentielle truquée de 2020, et ont animé les comités de grèves qui ont surgi sur les lieux de travail et d’études. Des peines de prison fermes ont été prononcées à leur encontre dès l’automne 2020. En avril 2021, dans la continuité de ces comités de grèves, émerga la coordination Rabochy Rukh (Mouvement ouvrier). Animée par les militants du BNP, un des syndicats affiliés au BKDP, cette organisation est déclarée extrémiste par le KGB biélorusse en septembre 2021, et des dizaines de militant.es sont arrêté.es.
Le BKDP s’est élevé publiquement contre la guerre de Poutine en Ukraine dès le 24 février 2022 en proclamant que « le fait que le gouvernement russe ait déclenché une guerre contre l’Ukraine aujourd’hui ne peut être compris, justifié ou pardonné. Le fait que l’agresseur ait envahi l’Ukraine depuis le territoire du Belarus avec le consentement des autorités biélorusses ne peut être ni justifié ni pardonné »
Le 29 mars 2022, Aliaksandr Yarashuk, le président du BKDP, adresse au pays un vibrant appel à stopper la guerre : « Exigez sur vos lieux de travail, au nom des collectifs de travail : non à la guerre, non à la participation de la Biélorussie à celle-ci ! Exigez l’interdiction d’envoyer des troupes biélorusses en Ukraine, exigez le retrait des troupes russes de notre pays ! Faisons-le maintenant, faisons-le aujourd’hui ! Parce que demain, il sera trop tard ! Parce que demain pour les Biélorusses ne viendra peut-être jamais ! ». Aliaksandr avait déjà tenu ces propos lors d’un webinaire organisé par la CGT le 25 mars 2022 avec des syndicalistes ukrainiens.
Le 19 avril 2022, le régime a répondu par la répression et la violence à ces appels pacifistes en arrêtant la quasi-totalité des dirigeant.es du BKDP. Les conditions de détention des syndicalistes sont inhumaines. Les détenu.es vivent dans des cellules surpeuplées avec la lumière et la télévision constamment allumées, sont réveillé.es 3 ou 4 fois par nuit, sont forcé.es d’apprendre l’hymne national, ne peuvent lire que 30 minutes par jour les livres puisés uniquement dans la bibliothèque de la prison. En parallèle, des centaines de travailleurs et travailleuses syndiqué.es ont été licenciés. Les familles de militant.es sont harcelé.es par les autorités. Les portraits de ces militant.es emprisonné.es sont présentés ci-après. Leurs noms sont donnés dans deux transcriptions : du biélorusse et du russe vers l’alphabet latin car les deux versions sont en circulation actuellement.
La CGT exige la libération de toutes et tous les syndicalistes biélorusses injustement emprisonné.es, la réintégration des travailleuses et travailleurs licencié.es pour cause d’activité syndicale et l’annulation des décisions judiciaires qui ont rendu possible la liquidation des syndicats indépendants !
Les activités du BKDP en exil
Plusieurs dizaines de militant.es ont réussi à fuir vers l’Europe, essentiellement vers l’Allemagne, et ont fondé le BKDP en exil. Le syndicat est actuellement présidé par Maxime Pozdniakov, issu du BNP. Lors de la rencontre internationale de solidarité qui s’est tenue à Brême les 23-25 septembre derniers et à laquelle la CGT a pris part, son nouveau dirigeant a rappelé que le BKDP est engagé dans une vision de la société et du rôle du syndicalisme qui lui fait rejeter à la fois les dictatures oligarcho-capitalistes comme celle de Lukachenko mais aussi les illusions libérales de celles et ceux qui pensent que la démocratie passe par une dérégulation des droits sociaux et syndicaux. « Notre projet est celui d’une démocratie ouvrière et sociale qui garantit les droits de celles et ceux qui produisent et qui redistribue les richesses justement »
Pour la direction en exil du BKDP, le syndicat est par essence et par définition engagé dans une lutte au service des intérêts de la classe ouvrière. Cette caractéristique différencie automatiquement les objectifs et les méthodes que porte le syndicalisme par rapport aux partis politiques. De plus, au Belarus, le champ politique est occupé, au pouvoir par une oligarchie réactionnaire capitalisto-étatique et dans l’opposition, en majorité, par des représentants de courants libéraux qui ne comprennent pas bien le syndicalisme et ne soutiennent pas ses buts profonds. Le fait que l’opposition au régime ait plusieurs visages ne peut être effacé artificiellement. Mais il est clair que le régime dictatorial capitalisto-oligarchique de Loukachenko est le premier ennemi du mouvement syndical indépendant et de lutte du Belarus.
La situation politique, économique et sociale au Belarus rend nécessaire et urgente une réflexion sur la place du syndicalisme dans l’après-dictature. Pour peser sur la trajectoire que leur pays pourrait emprunter un jour, les syndicalistes du BKDP en exil fixent des lignes rouges pour apprécier les attitudes des forces politiques et pour faire pression sur l’agenda social de l’opposition. Ils les ont formulées ainsi lors de cette rencontre de Brême :
- le travail et la nature ne sont pas des marchandises ;
- les moyens de productions doivent appartenir à ceux qui produisent ;
- les ressources naturelles doivent être un bien commun contrôlé par un état honnête au service du peuple du Belarus et pas des oligarchies d’Etat ;
- il en va de même pour les entreprises actuellement qualifiées de champions nationaux qui sont en réalité tournées vers le voisin russe sous contrôle oligarchique ;
- le secteur public doit être préservé des privatisations capitalistes comme des privatisations de facto au profit d’oligarchies capitalisto-étatiques ;
- l’égalité de genre est une vraie lutte et ne doit pas être traitée de façon cosmétique ;
- les biens communs ne doivent en aucun cas être marchandisés;
- les investissements directs étrangers doivent être conditionnés à des considérations sociales et environnementales fixées par les syndicats et ne pas alimenter les réseaux de corruption étatique comme c’est le cas aujourd’hui ; les exemptions de fiscalité actuellement en vigueur pour ces IDE doivent cesser ;
- doit être garantie par l’état l’égalité de tous et de chacun devant la loi : citoyens, responsables politiques, fonctionnaires et entreprises.
[1] Voir les déclarations de la CGT du 20/04/2022 https://www.cgt.fr/comm-de-presse/la-cgt-exige-la-liberation-immediate-dalexandre-yaroshuk et du 03/06/2022 https://www.cgt.fr/comm-de-presse/paix-en-ukraine-libertes-au-belarus-et-en-russie
[2] Le BKDP est adhérent de la CSI et regroupe 4 organisations de branche – SPM, SPB, BNP et REP
[3] Le 10 juin 2022 le procureur général a adressé à la Cour Suprême une demande de mettre fin aux activités du BKDP et de ses organisations membres SPM, SPB, BNP et REP. La Cour a accédé à la demande du procureur et a prononcé les liquidations du REP et du BNP le 12 juillet, du SPB et du SPM le 14 juillet et de la confédération BKDP le 17 juillet.
[4] Le syndicalisme officiel, représenté par la FPB – Fédération des syndicats du Belarus, revendique des liens organiques avec le régime de Loukachenko. La FPB est adhérente de la FSM.