Cet article est paru dans la NVO du mois d’août 2017. Il fait le point sur le projet de fusion des Instances représentatives du personnel (IRP) dans les ordonnances Macron et renvoie vers le contenu d’un colloque de juristes (cercle Maurice Cohen) tenu sur cette question en juillet.
Ce que cache la fusion des instances
Nouvelle chance pour le dialogue social ou opération de communication visant à dissimuler un affaiblissement de la représentation du personnel ? La question de la fusion annoncée des comités d’entreprise, du CHSCT et des délégués du personnel, dans le cadre des ordonnances portant réforme du code du travail intéresse et inquiète. C’est ce qu’ont pu constater les animateurs du Cercle Maurice Cohen, cercle de réflexion (think-tank) consacré aux comités d’entreprises et aux institutions représentatives du personnel, le 20 juillet 2017 à l’occasion de la conférence de presse qu’ils ont organisée à Paris.
Les différents intervenants ont développé leur argumentation en quatre points.
La réforme des IRP repose sur des raisonnements simplistes et des idées fausses
Laurent Milet, président du Cercle Maurice Cohen, a souligné qu’« avant la fin septembre, sans débat parlementaire et sous couvert d’une volonté de « renforcer le dialogue social », se cache une grande réforme de structure qui vise en réalité à réduire les pouvoirs des institutions représentatives du personnel et changer la nature du comité d’entreprise. Le tout pour accompagner la libéralisation du marché du travail. Pour atteindre cet objectif, poursuit-il, et convaincre l’opinion, le gouvernement adopte une communication reposant sur des raisonnements simplistes et des idées fausses« . Il a ainsi critiqué les déclarations de la ministre du travail selon laquelle la présence de quatre instances représentatives différentes dans l’entreprise obligerait l’employeur à répéter quatre fois la même chose aux représentants du personnel et empêcherait les élus d’avoir une vision d’ensemble.Cela est complètement faux car il s’agit de trois modes d’expression distincts : la réclamation pour les délégués du personnel, la consultation pour le CE et le CHSCT, et la revendication et la négociation pour les délégués syndicaux (DS). Ceux-ci s’inscrivent dans des temps différents. Prenant l’exemple des risques psychosociaux se révélant dans une entreprise, l’intervenant fait observer que, dans un premier temps, la question va être évoquée lors de la réunion mensuelle des délégués du personnel. Des solutions d’urgence devraient dès ce stade être recherchées par la direction. Vient ensuite le temps de l’analyse, par le CHSCT (et le cas échéant le CE) pour identifier d’où provient la dégradation des conditions de travail et recommander un certain nombre de mesures pour la prévenir et en contrôler le suivi. Puis, dans un troisième temps, pour sécuriser le tout, un accord collectif pour l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT) sera négocié avec les syndicats . Il existe donc des synergies entre les différentes instances représentatives dans leur objet et dans le temps. Il est donc impossible que l’employeur explique quatre fois la même chose.
Sous couvert de renforcement du dialogue social, se cache une grande réforme de structure consistant à limiter les prérogatives des élus et mandatés, afin d’accompagner la libéralisation du marché du travail
Pour Guillaume Etiévant, expert auprès des comités d’entreprise, il s’agit de briser les synergies entre les différentes instances représentatives. L’objet du comité d’entreprise, c’est d’analyser et, le cas échéant, de contester les choix de l’employeur, de formuler des contre-propositions, sans jamais participer directement à la conduite de l’entreprise. À travers l’instance unique, les employeurs veulent se débarrasser de ce contre-pouvoir. Les ordonnances en préparation entendent associer les élus et les délégués syndicaux à la conduite de l’entreprise pour qu’ils ne défendent plus prioritairement les intérêts des salariés mais plus largement ceux de l’entreprise, actionnaires compris. Il s’agir d’affadir les fonctions du CE pour contenter les grandes entreprises et en faire une chambre d’enregistrement.
Cette réforme dont ne veulent ni certains syndicats, ni de nombreux dirigeants d’entreprise signe la fin des processus de concertation déjà fragiles qui existaient jusqu’alors
Christophe Baumgarten, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et vice-président du cercle Maurice Cohen estime quant à lui que la fusion des instances va nécessairement provoquer une centralisation des instances dans la mesure où le cadre de mise en place qui sera privilégié risque d’être celui de l’entreprise et plus rarement de l’établissement. Il n’y aura plus d’élections de délégués du personnel au niveau local alors qu’ils ont par nature vocation à être au contact d’une communauté de travail assez restreinte avec pour conséquence une perte de contact avec le quotidien des salariés. Les prérogatives des délégués du personnel risquent de facto de disparaître. Idem pour les CHSCT qui sont jusqu’alors une institution de proximité par excellence et qui, de plus, perdra son indépendance en étant fusionné avec le CE et les DP. La fusion risque donc d’avoir pour conséquence une centralisation excessive des IRP pour ce qui concerne les attributions économiques avec des comités d’établissement relégués à la seule gestion des activités sociales et culturelles.
Le système actuel peut toutefois être amélioré, raison pour laquelle le Cercle Maurice Cohen avance plusieurs propositions
Pour les intervenants, l’acquiescement (même critique) des élus et mandatés aux projets économiques et sociaux de l’employeur suppose au préalable un partage de l’information. Or le patronat français est réticent à partager avec les élus une information qualitative comme l’atteste le contenu très pauvre des bases de données économiques et sociales, aujourd’hui appliquées dans les entreprises. Qui plus est, les élus des comités d’entreprise ne demandent pas dans leur grande majorité d’être co-responsables des décisions de l’employeur. En revanche, ils souhaitent que la procédure de consultation, revisitée, instaure un véritable dialogue sur les propositions alternatives du comité, ce qui implique que l’employeur y réponde obligatoirement et de façon motivée avant de mettre en œuvre ses projets, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui.
C’est le sens des propositions faites le 7 juin 2017 par le cercle Maurice Cohen pour donner un nouvel élan au pouvoir du comité d’entreprise, visant notamment le renforcement du droit à l’information et du pouvoir consultatif. Ces exigences demeurent qu’il y ait fusion des instances ou pas.