Comment la CFE-CGC et la CGT voient la Conférence travail emploi retraites : interview dans L’Humanité.
Que peut-on attendre de la conférence travail emploi et retraites ? (2/2)
Début novembre, le ministre du Travail et des Solidarités, Jean-Pierre Farandou, a invité organisations patronales et syndicats à engager une démarche de discussion qui s’est ouverte le 5 décembre. Le Medef n’y participera pas. Christelle Thieffinne, secrétaire nationale de la CFE-CGC, et Denis Gravouil, secrétaire confédéral CGT, livrent leurs attentes.
Il faut reprendre enfin le bon ordre des choses et apporter des réponses structurelles à la précarisation et aux transformations de l’emploi.

Christelle Thieffinne
Secrétaire nationale de la CFE-CGC
Après deux réformes des retraites, la conférence sociale arrive tard, mais elle peut encore remettre les priorités dans le bon sens. Pour la CFE-CGC, il est urgent de parler d’abord du travail et de l’emploi, avant de prétendre réformer la retraite. Cette conférence travail, emploi et retraite intervient après non pas une, mais deux réformes des retraites ratées, l’une abandonnée, l’autre imposée sans consensus. Elle aurait dû avoir lieu en 2023, avant toute nouvelle réforme. Mieux vaut tard que jamais.
Le cœur du sujet, ce n’est pas la retraite. C’est le travail et l’emploi. Ce sont les trajectoires professionnelles, les difficultés d’insertion des jeunes, le décrochage des seniors, les transitions non accompagnées. La retraite n’est que le prolongement des parcours professionnels vécus en amont. Cette causalité est bien illustrée par la situation des femmes.
Leurs pensions plus faibles ne relèvent pas tant d’un dysfonctionnement du système de retraite, mais traduisent des carrières moins ascendantes, plus fragmentées, des salaires inférieurs, des temps partiels souvent subis. Nous attendons que cette réalité soit pleinement reconnue et que la conférence sociale puisse apporter des réponses structurelles en conséquence.
La CFE-CGC attend de cette conférence qu’elle aille au fond des choses. Qu’elle identifie les causes à la racine : précarisation, désorganisation, perte de sens. Elle appelle à des analyses sérieuses, fondées sur des données robustes, avec des références universitaires reconnues.
Le format animé par une personnalité indépendante est le bon. Mais il faut aller partout : risques psychosociaux, qualité du travail, organisation du travail. Pas de zones grises. La France a un vrai problème culturel sur ce plan. Il est temps de le traiter.
Pour la CFE-CGC, une réforme des retraites ne peut être isolée du reste du système économique et social. Les régimes – par répartition ou par capitalisation – dépendent directement des politiques économiques, des conditions d’emploi, des pratiques de rémunération, des évolutions démographiques et des transformations du travail.
Ce que nous attendons, ce sont des évolutions qui fassent système. Sur l’emploi et le travail, les causes sont multiples, les solutions doivent l’être aussi. Et elles demandent du temps. Mais elles doivent répondre aux problématiques du moment et à celles à venir – comme le risque de bouleversement par l’intelligence artificielle.
Nous ne voulons pas d’une solution toute faite posée sur la table. Avant de parler architecture, il faut parler finalité. Quel niveau de pension voulons-nous ? Quelle solidarité ? Quelle justice intergénérationnelle ? Et cela pour toutes les catégories socioprofessionnelles. La conférence ne doit pas refermer le débat. Elle doit l’ouvrir.
Il y a urgence à repenser des relations de travail gravement dégradées. Redonnons au travail son sens, son organisation, sa sécurité et sa valeur.

Denis Gravouil
Secrétaire confédéral CGT
Tous les signaux sont au rouge dans les relations de travail. La perte de sens est immense. D’un côté pèsent les menaces d’une nouvelle automatisation via l’intelligence artificielle au profit d’un capitalisme mondialisé, jamais autant concentré, principalement entre les mains de milliardaires d’extrême droite, climatosceptiques ou juste mus par l’accumulation des richesses à leurs profits, aux dépens de la planète et de ses habitants.
De l’autre, les travailleuses et travailleurs sont de plus en plus à la recherche de sens dans leur travail, pour permettre leur propre accomplissement, de vivre décemment, de penser l’avenir de leurs enfants, d’imaginer le commun. Cette tension dans le travail révélant l’impasse du capitalisme, incarnée par la politique d’Emmanuel Macron, se traduit directement par des salaires insuffisants, des relations de travail dégradées, l’explosion des accidents du travail, maladies professionnelles et risques psychosociaux (qu’il faudrait appeler « risques organisationnels et managériaux »), la précarité sous toutes ses formes (CDI à temps partiel imposés aux femmes, CDD imposés aux jeunes, sas de précarité entre le chômage et la retraite pour les « seniors », recours abusif aux autoentrepreneurs).
Le recul des droits dans le travail est aggravé par le recul des droits à la sécurité (ordonnances 2017 supprimant les CHSCT, alors même que pèsent de nouvelles menaces), des droits sociaux : retraites, assurance chômage, formation, sanctions contre celles et ceux vers qui opère la – trop faible – redistribution via les minima sociaux, confusion entretenue entre fraudeurs et usagers, surtout s’ils sont pauvres ou étrangers.
La réforme 2023 des retraites est emblématique de cette double peine : travail dégradé, recul de l’âge avec pénibilité non prise en compte, augmentation des arrêts maladie. C’est même la triple peine pour les femmes : même après réduction – trop lente – des inégalités, les projections montrent un plafond de verre durable, un écart de 20 % de pensions à leur détriment.
La CGT entend avancer ses propositions et revendications pour redonner au travail son sens, son organisation, sa sécurité et sa valeur : égalité immédiate femmes et hommes, augmentation des salaires, politiques de prévention et de responsabilisation des donneurs d’ordres (comme cela a été fait avec succès lors des chantiers des jeux Olympiques et Paralympiques 2024), reconquête de la Sécurité sociale pour revaloriser le salaire socialisé, répondre à tous les besoins… et démontrer que l’abrogation de la réforme 2023 des retraites est possible, avec de multiples pistes de financement, dans la perspective de la retraite à 60 ans avec départs anticipés, en montrant la supercherie de la retraite à points et par capitalisation.
La CGT a décidé de porter l’ensemble de ces revendications à cette conférence sur le travail et la retraite, en la mettant sous la vigilance des salarié·es.











