CGT : la confédéralisation du RADAR

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Le 18 novembre 2024, la CGT organisait une « journée de déploiement » du RADAR Travail et Environnement, construit comme méthode syndicale pour une action écologique dans les entreprises, publiques et privées. Le vendredi 29 novembre est prévue une soirée de lancement national de l’initiative à Paris.

Visuels rencontres 18 novembre

Avec le RADAR : repérer les failles écologiques

Prises de note et compte-rendu : Jean-Claude Mamet

L’outil RADAR est au départ une initiative de l’Union générale des ingénieur-es, cadres et technicien-nes (UGICT) de la CGT, lancée en 2019, comme l’a rappelé Sophie Binet dans son introduction d’accueil de la journée. L’UGICT avait observé la révolte des diplômé-es des grandes écoles, le refus de se mettre sous la domination des industries fossiles ou de l’agrobusiness. A ce moment de mobilisations importantes de la jeunesse (2018-19-20) sur le climati, se mêlait aussi un refus « du lien de subordination » et la volonté de « faire autrement ». Ce n’est donc pas un hasard si le RADAR s’est construit en commun entre l’UGICT et l’association de jeunes diplômé-es Pour un réveil écologique, partie prenante de cette journée.

Suite au débat du 53ème congrès CGT de 2023, la CGT s’est fixé l’objectif d’un « plan d’action syndicale pour l’environnement et l’industrie », avec plusieurs étapes (dont les « Assises » dont nous avons rendu compte ici : ainsi que la journée « Transports-mobilités » ici …). Comme le dit S. Binet, l’outil RADAR consiste à chausser « des lunettes pour voir » ce qui se passe concrètement dans les environnements de travail, les choix productifs et techniques.

Caroline Blanchot, co-secrétaire générale de l’UGICT CGT explique que le but de la journée est de « promouvoir » l’outil RADAR, d’en déterminer aussi « des améliorations » à partir de l’expérience réalisée, en collaboration avec le cabinet SECAFI et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT).  Aujourd’hui 100 syndicats de la CGT ont adopté cet outil militant, concernant 20 fédérations et 50% des Unions départementales (UD). Il y a donc encore du chemin à faire pour véritablement « confédéraliser » cette méthode, comme c’est prévu. La journée reflétait cette mise en œuvre par les plus motivées des équipes syndicales (une bonne centaine de personnes).

L’outil RADAR se décline en quatre phases, mais la discussion montrera qu’elles peuvent parfois se chevaucher et ne pas être activées au pied de la lettre :

  • Analyser la politique écologique de l’entreprise.
  • Interroger les salarié-es (par un questionnaire).
  • Déterminer des revendications ou propositions.
  • Agir.

La matinée visait à discuter concrètement de ces « quatre étapes » dans les entreprises. Et l’après-midi était consacrée à une table ronde de débats avec Armand Petitjean (SECAFI), Armand Casado (juriste), des responsables nationaux et régionaux CGT, ainsi que Fabienne Tatot, secrétaire de l’UGICT en charge du projet. Et pour finir : de « petites tables » d’échanges interactifs entre les secteurs professionnels représentés.

xw6vb_Ih_400x400ci-contre Fabienne Tatot (UGICT CGT)

Pourquoi quatre étapes du RADAR ?

Vincent Mandinaud (de l’ANACT) pose d’emblée la question du travail, porte d’entrée pour parler écologie. Travailler, c’est « se produire soi-même » et « produire le monde ». Pour les risques professionnels comme pour la bifurcation écologique, il convient « d’enquêter », de « comprendre les savoirs des travailleurs » et « retrouver du sens au travail ». Mais cette entrée en matière par le « travail » n’a pas été véritablement observée dans la suite des débats.

  • Etape 1 : Antoine Trouche, de l’Association Pour un réveil écologique (et syndiqué CGT), décortique l’étape 1 du RADAR : évaluer la politique environnementale de l’entreprise. Il s’agit de tenter d’analyser son bilan carbone, de rassembler des indicateurs, en incluant aussi la biodiversité. Le but est d’avoir une « base sérieuse » pour la suite. L’objectif paraît rude, mais l’entreprise a des « obligations de documentation » à produire, accessible dans les CSE, avec des possibles « pénalités ». Exemples : les rejets dans l’atmosphère, le montant du versement mobilité, les besoins d’eau. Par exemple les énormes quantités d’eau de ST Micro dans l’Isère, mises sur la place publique par la CGT.  En cas de négligence, la mauvaise publicité peut être un atout, explique-t-il.

Cyril (cheminot et UFICT CGT) explique que 1000 indicateurs doivent être fournis par SNCF Réseau dans le CSE et le CA. Et si nécessaire, on peut faire « une campagne publique », y compris avec des usagers, pour obtenir les données.

Bien entendu, rien n’est simple, c’est même « un éternel recommencement ». Mais le défaut (selon Sandra, de la CGT Thalès) serait de vouloir « tout faire bien du premier coup ». Donc avancer pas à pas : « commencer d’abord ». Quitte à « se faire aider », encourage Fabienne Tatot, pilote du RADAR.  Antoine Trouche met le doigt sur le point clef : « l’entreprise a des obligations mais n’a aucun intérêt à ce que les salariés s’en mêlent ». S’en mêler, c’est donc une force possible.

  • L’étape N° 2 revient à faire appel à « l’expertise des salarié-es», par un questionnaire issu des données récoltées, posant des questions très concrètes pour « susciter des propositions et revendications ».

Bernard (banques) décrit un panel de 1200 personnes interrogées avec 100 réponses reçues. Mais pas forcément 100 nouveaux syndiqué-es, répond-t-il à un intervenant ! Il faut aussi ajouter que selon qu’on se trouve dans le donneur d’ordre ou un sous-traitant les questions posées seront forcément différentes. Ce qui permet justement d’attiser la réflexion sur les enjeux importants de cette question aujourd’hui.

Antoine Trouche décrit même un « saut dans le vide » quand on interroge finement ce qui se passe. Quelle légitimité construire pour aller plus loin ? Par exemple dans des collectivités territoriales dirigées par des élu-es politiques. Fabienne Tatot décrit le RADAR comme un « couteau suisse », avec des petits outils intégrés, mais qui ne servent pas tous, et qu’on n’est pas obligé de « respecter ».

o6fkxiwmytxdam7crjx6mzzuakp3ci-contre Antoine Trouche (pour un réveil écologique)

Le « réacteur revendicatif »

L’étape 3 est encore peu atteinte dans les retours d’expériences. 70 syndicats sur 100 en sont seulement à l’étape N° 1. Dans la phase 3, il s’agit de travailler les revendications, de déclencher le « réacteur revendicatif » (explique le cheminot Cyril).

Dans le conseil départemental des Yvelines, Tristan montre comment l’équipe a recueilli 800 propositions après consultation, d’où il est sorti 21 propositions « phares », et finalement 6 « prioritaires ». On voit que le « plan de travail » émerge pour l’étape 4 : l’action. Mais comment passe-t-on de 800 idées à 6 prioritaires ? « On a joué le jeu de la transparence avec des choix ». D’abord de 800 idées à 21 dans un groupe de travail (20 personnes en présentiel, 200 conviées), et une rencontre avec l’équipe Responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Il s’avère que certaines propositions « ne coûtent rien », voire permettent des économies, et de rendre possible une « politique publique ». Par exemple sur « l’artificialisation des sols ».

Dans d’autres situations (Caisse d’Epargne Ile de France), on réfléchit au « co-voiturage » et « les mobilités douces ».

Pour Cyril (cheminot), la méthode RADAR montre la possibilité de donner « une dimension nouvelle au syndicalisme ».

Etape 4 : agir et obtenir « dans la joie »

Sandra (de la CGT Thalès) évoque le contre-projet bien avancé (par rapport à l’armement, métier de Thalès) concernant l’imagerie médicale avec les ressources de Thalès. Elle ajoute que sur la restauration collective d’entreprise, il y a « obligation de passer par des appels d’offre, donc d’imposer des circuits courts » dans l’approvisionnement.

Le débat bifurque sur le passage entre les étapes : 2, 3, 4. Plusieurs expliquent que le passage à l’action (étape 4) est en réalité le même problème, sur l’écologie comme sur tout le reste. Antoine Trouche admet qu’en réalité, « tout peut se mélanger dans le temps » concernant les étapes. Cyril cite un patron du MEDEF expliquant qu’il y avait besoin d’une « CGT du MEDEF » (!). Alors pourquoi pas « une CGT de l’environnement » ?

Agathe le Berder, secrétaire générale adjointe de l’UGICT, appuie l’idée que le RADAR est un outil, mais que  rien n’est figé. « On fait mieux que les patrons, car on a la démocratie » Alors « il faut se lancer pour avancer ». Dans l’étape 1, on « met la honte » dans l’entreprise par le diagnostic et « ensuite on implique les salarié-es ». Et pourquoi ne pas contacter aussi les syndicats de la « concurrence » ? Mettre en valeur « les petites victoires » (on ne le fait pas assez). « Les patrons sont cyniques, il nous faut être dans la joie ».

Table ronde : anticiper, ne pas subir

La Table ronde réunit Franck Perrin (confédération CGT), Fabienne Tatot (UGICT CGT, pilote RADAR), Arnaud Casado (juriste), Alain Petitjean (cabinet SECAFI), Alain Le Corre (CGT Bretagne).

  • Franck Perrin confirme la confédération du projet RADAR, comme « un des outils» mis à disposition pour la bifurcation écologique. Cette journée termine « un cycle d’expérimentations »,  il faut voir comment « continuer, simplifier ». Il faut mettre « la chose environnementale au cœur des entreprises » : cela fait partie de la « double besogne » du syndicalisme.
  • Alain Le Corre (CGT Bretagne) fait état de chiffres inquiétants : 1% du fret seulement passe par le ferroviaire, on produit 20% de l’énergie consommée. Il met en valeur un triptyque : « bien manger, bien produire, bien travailler». Pour les projets alternatifs, il préconise de donner la main aux Unions départementales (UD). Ainsi l’UD CGT des Côtes d’Armor a adopté un diagnostic sur les transports dans les territoires maritimes et ruraux.
  • Fabienne Tatot réexplique que le RADAR est conçu comme « un outil pour faciliter le travail syndical». Nous avons une « expertise du travail », qui permet de proposer des solutions. Et de s’attaquer aux « finalités ». Peut-être faudra-t-il « repenser » les 4 étapes. Et intégrer tout cela dans la formation syndicale. Il peut y avoir des « contradictions entre les branches » et aussi des « synergies » sur un même territoire. Les syndicats peuvent être « submergés » de propositions. Ne pas hésiter à « travailler avec les associations ».
  • Arnaud Casado (juriste) déplore « qu’aucune heure» sur l’environnement n’est spécifiquement attribuée au CSE alors que c’est une attribution. Il préconise d’agir pour intégrer l’environnement dans le droit du travail. Exemples : accords sur les mobilités douces, télétravail, cantines. Mais aussi sur les milliards possibles d’activités culturelles des CSE, qui sont « un déjà-là » de moyens financiers. Pousser à un « droit d’alerte » par exemple sur les risques d’intempéries.
  • Alain Petitjean (cabinet SECAFI) : il n’y pas de droit d’expertise environnement à ce stade. L’enjeu est pourtant de « transformer les productions», et de bâtir des « stratégies » sur les processus, les produits. A peine 1 heure de temps annuelle dans les CSE de grands groupes !

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« Pas d’emplois sur une planète morte » 

Le débat s’anime sur des « accords gagnant-gagnant » que le juriste Arnaud Casado pense possibles, « entre entreprises et travailleurs ». Exemple : la prise en charge des déchets. Il ajoute que toutes les négociations obligatoires peuvent théoriquement inclure la dimension écologique (exemple : les températures). Alain Le Corre (SECAFI) ajoute que dans l’économie circulaire, les « déchets des uns peuvent être le matériel des autres ».

Franck Perrin pointe « l’éléphant dans le pièce » : le rapport de force contre le capitalisme. Un intervenant insiste sur la nécessité de « reprendre le pouvoir sur les patrons, sans les aider à devenir verts » : agir dans une perspective « révolutionnaire ». Un autre pose la question-clef : faut-il accepter des suppressions d’emplois suite à des mesures écologiques ?

Arnaud Casado répond par le fameux mot d’ordre : « pas d’emploi sur une planète morte ». Il peut y avoir du « gagnant-gagnant », car de toute façon selon lui « la temporalité nous impose d’aller vite, plutôt que de dire qu’il n’y a pas d’accord possible ». Il précise : « le droit est un élément du rapport de force. Chaque fois qu’on progresse, c’est un pas en avant vers la mise en cause du capitalisme ».

Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale, conclut la journée. La CGT a pour but de « transformer la société ». Donc « travailler avec les ONG, ne pas se replier sur soi ». Mais faire autrement comme l’a discuté le 53ème congrès confédéral : « notre crédibilité est en jeu ».

 

 

 

 

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