Syndicollectif ouvre une nouvelle rubrique : le droit du travail et la subordination. Vous y trouverez des articles ou des interviews de syndicalistes, de juristes, de chercheurs et chercheuses. Bonne lecture!
Faut-il en finir avec le lien de subordination pour changer le travail ? Même si le lien de subordination tente de se faire oublier par de pratiques managériales prétendument fondées sur le « bonheur au travail », il demeure. Pour le meilleur : comme l’argument principal des travailleurs ubérisés pour être restaurer dans leurs droits de salariés à part entière. Ou pour le pire : comme obstacle à « toute capacité collective des salariés à s’emparer des véritables enjeux du travail », assure la sociologue Danièle Linhart. Comment dépasser cette contradiction ? De quelle manière l’aborder pour, tout à la fois, défendre les droits et garanties collectives et envisager de changer le travail ? Analyses, propositions et expériences…
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CHANGER LE TRAVAIL Un préalable : imposer la responsabilité pénale des employeurs
Qu’ils soient à la tête d’une SA ou d’une SARL, les chefs d’entreprise n’ont pas à répondre de leurs actes. Là constitue le premier abus de pouvoir qui empêche toute transformation du travail. Point de vue de Richard Bloch, défenseur syndical Cgt, ancien cheminot.
« De la reconnaissance du lien de subordination, critère essentiel de l’existence d’un contrat de travail à côté de l’existence d’une prestation de travail délivrée par le salarié en échange d’une rémunération par l’employeur, il en a beaucoup été question ces dernières années, que ce soit à travers les luttes des livreurs à vélo ou des chauffeurs de taxi Uber. Mais aussi essentiel soit-il, ce combat pour la reconnaissance des droits sociaux ne doit pas nous tromper.
« Moi, je commande, toi tu obéis »
En lui-même, le lien de subordination n’est pas un outil suffisant pour défendre le travail. Pas plus que sa reconnaissance ne peut être un passage obligé en la matière, son abolition peut être considérée comme la condition sine qua non à la transformation du travail. En effet, que rappelle d’autre cette notion que le pouvoir de direction qu’exerce un employeur sur les employés ? « Moi, je commande, toi tu obéis » : voilà, ni plus, ni moins, ce que consigne le lien de subordination.
Si, au fil des ans, cette notion est venue enrichir les droits reconnus dans le code du travail en fixant des garde-fous au pouvoir des employeurs, ni le code du travail ni les décisions de justice venues le préciser ne suffisent contrebalancer l’inégalité de la relation entre les deux parties. La jurisprudence existant autour du lien de subordination sert d’abord et avant tout à mettre les employeurs face à la réalité des injonctions contradictoires qu’ils peuvent proférer ; ainsi, l’exigence qu’ils peuvent avoir d’une production de qualité sans assurer aux personnels les moyens de la réaliser.
De peine d’emprisonnement ferme : jamais
Mais elle ne les oblige nullement à assumer la responsabilité de leurs actes. A ma connaissance, la justice n’a jamais décidé une peine ferme d’emprisonnement à l’encontre de quelque chef d’entreprise responsable de la mort d’un de ses salariés. Si le droit dit qu’un employeur a l’obligation d’assurer la sécurité et la santé physique et mentale de ses salariés, il ne lui assigne aucune responsabilité pénale s’il y contrevient.
La raison en est simple : le droit considère qu’une des deux parties, l’employeur en l’occurrence, n’est pas une personne physique. C’est une personne morale qui, à ce titre, ne peut être condamnée à une peine de prison. Elle peut être condamnée à verser des indemnités. Mais rien de plus. Elle ne peut être condamnée à une autre peine et encore moins incarcérée. Et c’est là le nœud du problème. Aucune société n’est anonyme. Chacune d’elle a à sa tête des personnes physiques qui prennent des décisions qui, inévitablement, ont des conséquences économiques, sociales ou financières.
De Total à France Télécom
Total pollue les mers, détruit les écosystèmes, impose à des centaines de milliers d’Africains de quitter leur maison. Et rien. La fortune de Patrick Pouyané, son P-dg, n’en est pas entamée et, jamais, il n’aura à rendre des comptes. Didier Lombard, ancien P-dg de France Telecom, a eu à rendre des comptes devant la justice. Mais pour avoir poussé dix-neuf salariés au suicide et des milliers d’autre à des dépressions, il n’a été condamné l’an dernier qu’à un an de prison. Un an de prison avec sursis pour l’un des plus grands scandales managériaux de l’histoire…
Vouloir changer le travail sans imposer aux chefs d’entreprise qu’ils répondent pénalement de leurs actes devant les tribunaux est illusoire. Sans les contraindre à assumer les responsabilités qui, dans le droit commun, pèsent sur tous les individus, ils peuvent sans crainte mettre en œuvre des politiques contraires aux droits et aux besoins des salariés. Les droits dévolus aux Cse n’y changent rien.
La récidive ? Jamais
Tous les justiciables ont un casier judiciaire. Tous peuvent être soumis à la notion de récidive. Les entreprises échappent à cette contrainte. Et elles y échappent d’autant plus facilement qu’il n’existe aucun recueil des jugements prud’homaux. Devant ces conseils, les défenseurs syndicaux ont bien du mal à démontrer la notion de récidive. Sur un dossier toute récent relatif à l’utilisation d’intérimaires sur un emploi permanent de l’entreprise, pour laquelle le code du travail prévoit, c’est très rare !, une sanction en cas de récidive, je tente actuellement de prouver que la faute commise par l’employeur est répétée. Faute de preuve, elle ne me sera certainement pas reconnue.
Le débat sur la pertinence ou pas de défendre le lien de subordination est à remettre dans ce cadre. Le supprimer ne changera rien aux pouvoirs exorbitants qui sont accordés aux chefs d’entreprise qui concentrent tout à la fois le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Une conjugaison dont disait Montesquieu, seuls, les dictateurs peuvent se prévaloir ».
Propos recueillis par Martine Hassoun