L’affaire du fichier au sein de Force ouvrière est en train de tourner en crise ouverte pour Pascal Pavageau. Ci-dessous une enquête de Médiapart. Et le communiqué du bureau confédéral du 15 octobre 2018, tenu sans le secrétaire général.
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Fichage à FO: haro sur Pavageau
Les révélations du Canard enchaîné sur le fichage des cadres de Force ouvrière n’en finissent pas d’affaiblir le secrétaire général du syndicat. En arrêt maladie depuis ce lundi matin, il avait annoncé le report de deux réunions internes cruciales, qui se tiendront néanmoins. Une alliance de responsables fédéraux pourrait mener à son départ.
Moins de six mois après son accession à la tête de Force ouvrière, la situation se dégrade d’heure en heure pour Pascal Pavageau. Au point que son poste de secrétaire général est désormais menacé. Les déflagrations s’enchaînent depuis la révélation, mercredi 10 octobre par Le Canard enchaîné, de l’existence d’un fichier interne recensant les 127 dirigeants de fédérations et d’unions départementales de Force ouvrière.
Ce fichier a été établi en octobre 2016, alors que Pascal Pavageau était le seul candidat à la succession de Jean-Claude Mailly au poste de secrétaire général. Chaque cadre du syndicat s’y est vu attribuer sa préférence politique, son degré de soutien à Pavageau, parfois son orientation sexuelle supposée, mais aussi d’autres qualificatifs dégradants : « niais », « bête », « ordure », « complètement dingue », « non fiable » ou « collabo »… Interrogé par l’hebdomadaire, le dirigeant de FO a confirmé l’existence du fichier, qualifié de « belle connerie » et de « grave erreur ». « Pour moi, c’était un mémo, de l’ordre de la prise de notes, mais je n’avais jamais vu ni avalisé le résultat, qui est truffé d’âneries, de raccourcis », a-t-il commenté. Le coup est très rude alors que les élections professionnelles dans la fonction publique, où FO est traditionnellement bien représenté, se tiendront le 6 décembre. Quelques jours plus tôt, ce sera à la RATP et à la SNCF.Dans sa seule réaction publique à ce propos, le 12 octobre au Dauphiné libéré, Pavageau a assuré ne pas être « déstabilisé ». Une déclaration exagérément optimiste.
Selon les informations de Mediapart, confirmant celles de France Info, le secrétaire général ne s’est pas présenté au siège du syndicat ce lundi matin et est officiellement en arrêt maladie. Il serait très affecté par les procédures internes en cours à la suite des révélations, procédures qui pourraient aller jusqu’au licenciement. Elles concernent au moins deux de ses collaboratrices, qui ont rédigé et mis en forme le fichier, ainsi que la responsable des ressources humaines.
L’arrêt maladie du dirigeant syndical a été l’occasion pour lui de demander le report de deux réunions très importantes pour son avenir : le bureau confédéral, réunissant ce lundi les treize secrétaires confédéraux, et la commission exécutive nationale, qui rassemble les trente-cinq dirigeants du premier cercle. Mais, fait extraordinaire, malgré sa demande d’annulation, la réunion du bureau (où deux secrétaires confédéraux devaient initialement se plaindre d’être mis sur la touche ou placardisés par Pascal Pavageau) a bien eu lieu.
La commission exécutive devrait elle aussi se tenir, peut-être sans le dirigeant du syndicat. Cette dernière instance est cruciale, car elle a le pouvoir de convoquer le « parlement » de l’organisation, le comité confédéral national (CCN), qui rassemble les représentants des fédérations et des unions départementales… ceux-là mêmes qui étaient la cible du fichage. Le CCN est le seul organe de FO qui peut révoquer le secrétaire général.
Dans un texte cinglant dévoilé par Les Échos, deux hauts responsables du syndicat ont annoncé leur volonté de maintenir le bureau et comité exécutif, dont ils sont membres. Ils dévoilent de fait leur alliance pour contrer Pascal Pavageau et, peut-être, le faire tomber. Il s’agit de Frédéric Homez (numéro un de la fédération de la métallurgie), chef de file du courant « réformiste », très enclin à signer des accords avec le gouvernement, et de Hubert Raguin (numéro un de la fédération de l’enseignement), dirigeant du courant trotskiste, puissant à FO et rassemblé au sein du Parti ouvrier indépendant (POI).
Les deux responsables dénoncent des « problèmes graves [qu’ils ont] déjà signalés, qui donnent lieu à une intense campagne contre FO », et assurent que « c’est la force de la démocratie, de la discussion dans les instances régulièrement élues qui peuvent permettre de surmonter ces problèmes ».
Les soutiens de Pascal Pavageau estiment que c’est avant tout sa ligne politique qui est mise en cause, alors que les discussions sur la réforme des retraites s’engagent et qu’il s’est récemment multiplié sur les plateaux pour dire le mal qu’il en pense. « On est dans une vraie manipulation, on tombe dans la folie », grince un responsable de fédération, qui rappelle que « la ligne politique a été adoptée au congrès, et restera en place de toute façon ».
Frédéric Homez n’a jamais fait mystère de son opposition à la ligne incarnée par Pascal Pavageau, largement plus hostile que Jean-Claude Mailly au gouvernement, et renouant avec les appels à manifester. Durant le congrès d’avril, le chef des « métallos » avait clairement fait connaître son hostilité envers le nouveau dirigeant. Vendredi sur France Inter, il a même réclamé sa démission. « Il doit rendre des comptes, a-t-il déclaré. La meilleure solution en fonction de ce qu’il se passe en interne et avec ce fichier qui est impardonnable, c’est que lui prenne de lui-même la décision de démissionner », invoquant l’« impression d’être dans un système stalinien ».
Deux jours plus tôt, c’est Jean-Claude Mailly qui dénonçait sur RTL « une procédure inacceptable qu’on condamne régulièrement syndicalement dans les entreprises quand ça existe ». Ne supportant pas les critiques de moins en moins voilées de son successeur, il avait déjà évoqué au printemps sa « duplicité » et son « hypocrisie ».
Les deux membres de FO ont été rejoints par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, qui a parlé sur France Info d’« une pratique condamnable qui n’existe pas à la CFDT » et invité son homologue à réfléchir sérieusement à son avenir : « Lorsqu’on n’est pas conforme à l’éthique qu’on s’est fixée, il faut partir », a-t-il déclaré. De son côté, la ministre du travail s’est dite, dimanche sur France Inter, « choquée et scandalisée par cette histoire de fichier indigne ».
Seul Jean-Luc Mélenchon soutient encore Pascal Pavageau. Dimanche sur Europe 1 et CNews, le leader de La France insoumise a carrément expliqué que « personne n’a été fiché » à FO. « Vous aussi vous fichez les gens dans les entreprises, vous les fichez par revenu », grâce aux feuilles de paie, a-t-il déclaré, renvoyant le débat à un affrontement de lignes politiques : « La fédération de la métallurgie qui n’est pas la plus révolutionnaire n’aime pas trop que le secrétaire général de Force ouvrière soit en débat avec la CGT et tout ce qui bouge dans le pays. » Certes, mais cela ne tire en rien le dirigeant de FO de son très mauvais pas.