Nous republions ici un article paru sur le site Rapports de force (3 février 2022) suite au congrès de la FSU (voir ici pour les documents adoptés : https://wp.me/p6Uf5o-4tR). Il montre bien les débats qui ont jalonné le congrès sur de nouveaux rapprochements syndicaux, notamment avec la CGT et Solidaires. Les interventions de Philippe Martinez pour la CGT et des porte-parole de Solidaires Murielle Guilbert et Simon Duteil ont encouragé les débats sur le thème 4 du congrès consacré à ces questions.
« L’unification du syndicalisme de lutte trotte dans la tête de certains responsables syndicaux »
La séance, mercredi après-midi, du congrès de la FSU marquera-t-elle l’histoire du syndicalisme français ? L’avenir nous le dira. En tout cas, les interventions de Philippe Martinez pour la CGT, puis de Simon Duteil et Murielle Guibert pour Solidaires, ont été accueillies par des applaudissements nourris et des congressistes debout. Puis par une « Internationale » chantée avec émotion par toute la salle. Ils étaient les trois seuls invités présents physiquement dans ce congrès. Pour sa part, Jean-François Julliard de Greenpeace, avec qui les trois formations syndicales travaillent au sein du collectif « Plus jamais ça », adressait un message par visioconférence.
« Les salariés se posent et nous posent la question du nombre de syndicats en France. L’unité est une attente forte, mais on doit être capable d’aller plus loin, de discuter, et pas que d’en haut, des rapprochements possibles. On ne sait pas jusqu’où on pourra aller, mais on doit avancer » avait déclaré Philippe Martinez quelques minutes plus tôt. Faisant le constat d’un travail commun avec la FSU et Solidaires, dans les luttes et les collectifs, le secrétaire général de la CGT a évoqué à deux reprises la possibilité « d’aller plus loin ».
Une unification à petits pas
C’est justement de cet « aller plus loin » dont la FSU débat en séance ce jeudi à Metz. Dans son thème numéro 4 « Pour une FSU combative, unitaire et engagée au quotidien » plusieurs paragraphes traitent de cette question. « La FSU confirme […] ses mandats précédents de réunir le syndicalisme de transformation sociale en débattant pour cela avec la CGT et Solidaires des étapes allant dans le sens de la construction d’un nouvel outil syndical, sans exclusive des forces qui seraient intéressées » introduit le texte préparatoire au congrès. Puis il insiste : « il est nécessaire d’œuvrer à créer les conditions d’une reconstruction et d’une refondation du syndicalisme pour les enjeux à affronter au 21e siècle ».
Certes, la question d’une unification syndicale n’est pas nouvelle à la FSU. La fédération est la lointaine héritière de la fédération de l’éducation CGT d’après guerre qui avait préféré une autotomie transitoire, après la scission du syndicalisme français en 1947. Mais c’était il y a 75 ans et le provisoire avait finalement perduré. Depuis, la FSU a essayé dans les années 2000 d’élargir son champ de syndicalisation au-delà de son bastion que constitue l’Éducation nationale. Et ce, afin d’avoir son propre outil interprofessionnel. Mais cette expérience aux résultats limités n’est semble-t-il, plus sa perspective à la lecture de son texte de congrès.
Fin septembre déjà, Benoît Teste, son secrétaire général, adressait un message évoquant l’ouverture de la FSU à des rapprochements syndicaux. C’était à l’occasion du congrès de l’Union syndicale Solidaires qui se tenait à Saint-Jean-de-Monts en Vendée. Une ouverture qui semblait aussi de mise à Solidaires. Dans sa déclaration de fin de congrès, l’union syndicale affirmait que la situation « nous oblige à réfléchir à l’ensemble des réponses pour faire face, notamment aux liens plus étroits à développer avec les autres syndicats de lutte et de transformation sociale, sans présupposés ». Cela en esquissant la nature possible de ces liens : « se fédérer, discuter de la possibilité de la recomposition intersyndicale à la base, dans les territoires et les secteurs, ne doit pas être tabou ». Une petite révolution pour des syndicats SUD fondés, à la fin des années 80 et dans les années 90, après leur exclusion de la CFDT. Et qui en conserve une certaine méfiance vis-à-vis d’un modèle syndical organisé en confédération.
Qu’en est-il à la CGT ? À ce jour, il n’y a pas de prise de position confédérale sur une unification du syndicalisme de lutte et de transformation sociale. Pour autant, cette question existe dans quelques fédérations. Depuis plusieurs années, dans celle de l’éducation, de la recherche et de la culture (FERC), mais également, de façon plus récente, au sein de l’Union des syndicats de l’État (UFSE). Réunie en congrès au mois de novembre, cette fédération écrivait dans son projet de document d’orientation voté à 88 % des voix que « la question du rassemblement du syndicalisme de transformation sociale se pose ». L’UFSE indiquant que « cet objectif de rassemblement du syndicalisme doit se faire prioritairement avec la FSU et Solidaires, sans pour autant écarter d’emblée d’autres organisations syndicales qui partageraient nos valeurs ou qui souhaiteraient s’associer à un tel processus ».
Réflexions sur la méthode
Prendre des positions favorables à une unification syndicale est une chose. La réaliser en est une autre, pour des organisations aux histoires, aux cultures et aux pratiques différentes. Cependant, aujourd’hui, avec le congrès de la FSU, une étape plus concrète semble se dessiner. « Nous allons un peu plus loin, car il y a une forme d’urgence liée à la situation politique », explique Benoît Teste. Crise sociale, crise écologique, difficultés du syndicalisme, montée de l’extrême droite, les sujets d’inquiétude sont nombreux pour les syndicalistes. « Nous voulons essayer de nous donner des étapes et passer aux travaux pratiques », assure le secrétaire général de la FSU pour qui « il y a une fenêtre de tir particulièrement favorable ».
Ce jeudi en séance, les congressistes débattront clairement de la méthode. Ainsi, un certain nombre de propositions sont sur la table, ou plutôt dans le texte préparatoire aux échanges : élaborer des plateformes revendicatives partagées, des formations et publications communes, travailler sur des thèmes ensemble ou encore organiser des états généraux du syndicalisme de transformation sociale. Sont même envisagées « des formes de structurations permanentes » telles que des comités de liaisons et « une étape nouvelle d’unité syndicale pérenne dans la fonction publique se traduisant par un cadre formalisé ».
Des propositions concrètes qui résonnent avec celles imaginées, en novembre dernier, au congrès des syndicats de l’État CGT : « il faut envisager des formations communes, organiser des colloques ou journées d’étude pour échanger, débattre et faire avancer une réflexion partagée sur les problématiques des services publics et sur de nouveaux droits à conquérir ». Une sorte d’alignement des étoiles, entre plusieurs organisations syndicales œuvrant dans la fonction publique, qui pourrait déboucher sur « la constitution de nouvelles listes intersyndicales […] comme une des formes de concrétisation d’un travail syndical commun » imagine Benoît Teste de la FSU. Et être à la fois une étape importante dans un projet d’unification à long terme et le socle de la construction de celui-ci.
Tout n’est pas si facile
Certes, l’idée d’une unification syndicale ou d’un rapprochement fait son chemin à la tête de la FSU, de Solidaires et de la CGT, comme en attestent les déclarations de leurs représentants au congrès de la FSU cette semaine. Assurément, la participation des trois syndicats à l’écriture, avec des ONG et associations écologistes et altermondialisation, de propositions de sortie de crise dans le collectif « Plus jamais ça » a aidé à leur rapprochement, en montrant leur capacité à travailler ensemble et à créer une confiance réciproque. Et au sein du collectif, l’appartenance commune au secteur de l’éducation de Benoît Teste (FSU), Simon Duteil (Solidaires) et Marie Buisson (CGT) a probablement été un élément facilitateur. Mais une unification du syndicalisme de lutte et de transformation sociale n’est pas, et ne sera pas, un long fleuve tranquille.
La FSU vient de passer avec succès le crash test d’une « démocratisation » de la proposition à l’occasion de son congrès. À l’avenir, cette perspective devrait y être portée collectivement. Mais à ce jour, ce n’est pas le cas à Solidaire ou à la CGT. Pour cette dernière, le débat n’a pas débordé des rares fédérations citées plus haut. En tout cas, il n’a pas eu lieu au Comité confédéral national (CCN) qui réunit plusieurs fois par an les responsables des fédérations et des unions départementales, pour fixer les orientations de la CGT entre deux congrès. Et il est à peu près certain que l’accueil d’une telle proposition sera moins consensuel qu’à la FSU.
D’abord parce qu’en dehors de la fonction publique, les syndicats CGT sont moins souvent en relation avec des militants des deux autres organisations, du fait de leur taille plus réduite ou de leurs implantations plus faibles dans le secteur privé. Ensuite, parce que son dernier congrès a mis l’accent sur des crispations internes à propos de l’identité de la CGT, aux dépens des enjeux stratégiques pour son syndicalisme de classe et de masse. Enfin, parce que le choix de la direction confédérale de s’ouvrir aux questions écologiques, avec des associations et ONG autour de « Plus jamais ça », a suscité des remous internes. Sur la forme, en déplorant le manque de débats internes. Mais aussi sur le fond, comme en attestent les prises de position l’an dernier de Laurent Brun, le secrétaire général de la puissante fédération des cheminots. Dans un courrier adressé au bureau confédéral, il dénonçait le travail « avec des organisations dont la nature ne nous apporte rien dans la lutte parce qu’elles n’ont pas de base sociale. Leur activité est essentiellement axée sur le lobbying ou sur l’action juridique. Et nous retrouvons même certaines d’entre elles contre nous dans nos batailles revendicatives ».
S’il est possible que d’autres fédérations soient vent debout contre l’hypothèse d’une unification syndicale, l’UFSE-CGT en appelle cependant à un débat qui « doit se mener dans la plus grande transparence, à tous les niveaux, de la section d’établissement jusqu’à l’échelle nationale en lien avec les structures interprofessionnelles de la confédération et la confédération elle-même ». C’est aussi ce qu’a tenté le secrétariat national de Solidaires en mettant au débat de son comité national de janvier une « discussion sur la recomposition syndicale ». Il y était question quatre mois après la prise de position de congrès de Solidaires d’entamer le travail en regardant notamment les différentes « réalités sectorielles, territoriales et interprofessionnelles ». Sans grandes avancées et même avec l’expression de réserves montrant selon Simon Duteil, l’un des deux porte-parole de l’union syndicale, que le débat n’est pas encore mûr, et n’a pas suffisamment traversé les syndicats.
Autant d’éléments qui rendent la perspective d’une unification syndicale difficile. Ou au moins très lente. À moins que les jalons posés cette semaine par le congrès de la FSU ne fassent évoluer les positions. Ou, que les difficultés rencontrées par le syndicalisme pour enregistrer des victoires face aux politiques libérales, associées à la pression d’une extrême droite conquérante modifient l’appréciation des uns et des autres.
Photo : SNUIpp-FSU de l’Oise