Dans son journal Trait d’Union de mars 2015, le syndicat national CGT de l’enseignement privé publie un dossier sur les défis de la laïcité dans les établissements sous « caractère propre » , c’est-à-à-dire autorisés à délivrés des enseignements religieux (catholiques en très grande majorité, mais aussi juifs ou musulmans). Il relève les distorsions entre le langage officiel de la Ministre de l’Education nationale, Madame Najat Vallaud-Belkacem, proposant des mesures pour défendre la laïcité depuis les attentats de janvier 2015, et les pratiques régnant encore dans ces établissements bénéficiant à 90% de crédits publics (et notamment de postes d’enseignants) pour leur fonctionnement, mais ne respectant pas toujours le droit des enseignants à la neutralité lorsqu’ils (elles) sont sommés par les autorités religieuses de remplir certaines activités sortant de leurs missions. Ce dossier remet à jour la notion de « caractère propre » de ces établissements (il en retrace l’histoire), de laïcité (et sa différence avec l’athéisme), de république, de liberté critique et de liberté de conscience. Un éclaircissement salutaire.
- Lien vers le dossier complet de Trait d’Union : sneip laïcité
- site du Syndicat nationale de l’enseignement initial privé (SNEIP) CGT : www.cgt-ep.org, membre de la Fédération éducation, recherche et culture (FERC) CGT
- Les articles ci-dessous sont extraits du dossier :
Laïcité et république : même dans le privé ?
Najat Vallaud-Belkacem a présenté le jeudi 22 janvier 2015 onze mesures issues de « la grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République ». Transmission des valeurs républicaines, laïcité, citoyenneté et culture de l’engagement, lutte contre les inégalités et mixité sociale, mobilisation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sont au centre de ces mesures.
Pour la Ministre, « la grande mobilisation pour les valeurs de la République est celle de toute l’École, y compris l’enseignement agricole et l’enseignement privé sous contrat. ». Chiche !
Citons encore le site du ministère de l’Education Nationale, et le texte de présentation des 11 mesures décidées par l’administration :
« L’École est un révélateur des tensions qui traversent la société française et des inégalités qui la marquent. Le délitement du lien social au cours des trente dernières années de crise économique n’a pas épargné l’École. Le sentiment de désespérance, l’accroissement des inégalités et la prévalence du déterminisme social, l’incapacité collective à prévenir le décrochage scolaire endémique d’une partie de notre jeunesse, ont entamé la mission d’égalité de l’École. Les discriminations, l’écart entre les valeurs affichées et les réalités vécues, les replis identitaires, les velléités communautaristes, les logiques d’entre-soi ont affaibli son ambition de fraternité.
Dans une société en perte de repères et caractérisée par une forme de relativisme ambiant qui favorise amalgames et indifférences, l’École peine aujourd’hui à assurer les missions que la République lui a confiées, transmettre des connaissances et être un creuset de la citoyenneté, et à susciter la confiance des élèves et des familles.
Après les attentats qui ont visé le coeur des valeurs républicaines, la mobilisation du peuple français est porteuse d’une exigence vis-à-vis de l’ensemble de la société, et singulièrement de l’École dont le rôle et la place dans la République sont inséparables de sa capacité à faire vivre et à transmettre la laïcité.
« École et République sont indissociables. Elles doivent le rester »
L’École est, et sera en première ligne, avec fermeté, discernement et pédagogie, pour répondre au défi républicain, parce que c’est son identité et sa mission profonde. École et République sont indissociables. Elles doivent le rester. »
Notre syndicat approuve la démarche de la Ministre. Les mesures à prendre doivent être à la hauteur des enjeux et des difficultés de notre société. Nous craignons malheureusement que ces belles intentions ne se heurtent, dans l’enseignement privé, tant à un lobby communautariste intransigeant sur ses « positions acquises » – les réseaux catholique et juif qui souhaitent garder leur emprise sur un pan de l’école, le réseau musulman qui souhaite s’y développer – qu’à une administration bien frileuse pour imposer aux structures de l’enseignement privé des valeurs qui risqueraient de devoir affronter le fameux « caractère propre ».
L’exemple de la Charte de la Laïcité, dont la diffusion n’a pu être imposée aux établissements privés, est à ce titre révélateur des limites de notre système. Sur Caen (voir pages suivantes), le recteur d’académie plie devant l’évêque et le directeur diocésain, et ne défend pas la « liberté de conscience », pourtant garantie aux enseignants depuis la loi Debré…
Une Journée de la laïcité sera célébrée dans toutes les écoles et tous les établissements le 9 décembre (mesure n°2). Cette journée, dans les établissements privés, subira-t-elle le même sort que la Charte évoquée plus haut ? Il y a fort à parier que nous aurons à bagarrer, dans nos établissements, pour faire respecter cette journée et y donner du sens. Rappelons que la Laïcité, c’est le principe de séparation de l’Etat et des religions. Mais c’est également le respect de toutes les croyances. C’est enfin ce qui garantit, pour les enseignants des établissement privés, leur liberté de conscience…
Combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale
La encore, le défi est ambitieux. La aussi, la place de l’enseignement privé interroge. Pour notre ministère, « la réduction des inégalités scolaires passera par de nouvelles mesures en faveur de la mixité et de la mobilité sociale, un engagement renforcé pour la maîtrise du français, et une meilleure prise en compte des enfants en situation de pauvreté. Il faut mettre fin à l’écart que vivent trop d’élèves et leurs parents entre les principes de la République et leurs réalités quotidiennes, ce qui signifie une lutte sans merci contre le déterminisme social, qui est le moteur de la désespérance. »
Bien. Mais notre gouvernement est-il en capacité, a-t-il la volonté d’interroger les causes de ce sombre constat ?
D’où viennent les difficiles réalités quotidiennes ? Qui encourage le déterminisme social ? Comment s’est développée dans notre pays la ghettoïsation de certains quartiers, laissant de côté, livrés à eux-mêmes, des pans entiers de nos villes ?
Nous avons toujours lutté contre la suppression de la carte scolaire. Nous avons toujours martelé que l’enseignement privé contribuait à casser la mixité sociale. Les personnels qui travaillent dans les établissements privés sont-ils responsables de cette situation ? Bien sûr que non. Nous prenons nous aussi, en fonction des régions, notre part dans la gestion difficile de jeunes dont la situation est de plus en plus fragile. Mais il faut bien accepter que nos établissements sont souvent un refuge face aux difficultés rencontrées dans certains quartiers. Les familles les plus aisées, les plus informées, peuvent ainsi contourner le problème, avec la bénédiction de l’Etat qui finance nos établissements, creusant ainsi encore davantage l’écart entre les populations.
Pour notre ministre (mesure n°8), « un état des lieux sera établi en 2015-2016 en matière de mixité sociale au sein des collèges publics et privés sous contrat ». Ce constat ne sera pas suffisant pour « Renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux », mais c’est une étape indispensable.
Alors quelles solutions ?
Pour nous, la République est en danger. L’enseignement confessionnel sous contrat avec l’Etat, financé à 90% sur des fonds publics, sera dans les années à venir le chantre du communautarisme. Quelle société aurons-nous lorsque, dans quelques années, 30% des élèves seront scolarisés dans des écoles catholiques, 20% dans des écoles musulmanes et 10% dans des écoles juives, le tout aux frais du contribuable « laïc » ? Il sera alors trop tard pour se poser la question du « vivre ensemble ».
L’Etat doit faire preuve de courage et réfléchir véritablement à l’instauration d’un grand service public de l’Education Nationale, laïc et gratuit…
« l’enseignement privé contribue à casser la mixité sociale… »
Peut on revendiquer sa « liberté de conscience » tout en travaillant dans l’enseignement catholique ?
Cette question doit être abordée de front. Elle touche non seulement les collègues, y compris les adhérents de la CGT, mais également les médias, voire l’administration. Que le directeur de cabinet d’un Recteur puisse répondre à une interpellation sur le sujet « si vous ne souhaitez pas participer à des journées pastorales, il fallait choisir d’enseigner dans le public » est révélateur. Et inquiétant.
Commençons par l’absurde : un salarié de chez Dassault doit-il se promener le week-end en char de combat ou en rafale ? Un salarié de chez EDF doit-il nécessairement être un pro-nucléaire ? Un écologiste a-t-il le droit de manger de la viande ?
Pour nous, la question devrait être aussi simple et la réponse claire : ce n’est pas parce que nous enseignons dans un établissement privé confessionnel que nous devons faire preuve de notre (bonne) foi dans l’exercice de notre métier d’enseignant. Nous sommes des agents publics, rémunérés par l’Etat (laïc), et les croyances de chacun relèvent de notre sphère privée.
Par ailleurs, si la « liberté de conscience » nous est garantie par la loi, c’est bien pour que nous puissions nous y référer. Un droit qui n’est pas utilisé est un droit qui meurt. Croyant ou non, que l’on ait envie ou non de participer à une journée pastorale ne change rien : nous devons soutenir les collègues qui ne souhaitent pas le faire, au même titre que nous devons soutenir Charlie Hebdo et la liberté d’expression, même si nous n’apprécions pas les propos du journal !
Soyons encore plus clairs : tous les enseignants devraient refuser d’utiliser des heures de cours pour « réfléchir à un projet diocésain ». S’ils souhaitent ardemment participer à cette réflexion, dans le cadre d’une concertation organisée, c’est possible… en dehors du temps pédagogique…
Et le caractère propre, dans tout ça ?
Eddy Khaldi, enseignant et auteur du livre « Main basse sur l’école publique », est intervenu lors d’un colloque organisé par le CEDEC (Chrétiens pour une Eglise Dégagée de l’Ecole Confessionnelle ), notamment sur le thème du caractère propre. Pour lui, seuls quelques initiés connaissent ce concept nébuleux, un leurre juridique opposable au principe constitutionnel fondamental de « liberté de conscience ».
Il rappelle que ce terme de « Caractère propre », a provoqué la démission du ministre de l’Education Nationale en 1959, avant qu’il ne soit inscrit dans la loi Debré. Juristes, historiens, sociologues de l’éducation… n’ont jamais réussi depuis à s’entendre sur une définition de cette notion abstraite et redondante.
Ce fameux « caractère propre » est inscrit dans l’article L442-1 du Code de l’éducation (« l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’Etat. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience ». C’est un concept destiné à ne pas contrevenir ouvertement à l’article 2 de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905.
Rappelons quand même qu’en 1978, c’est au nom du « caractère propre » qu’un établissement privé a pu licencier une enseignante, parce qu’elle était divorcée et remariée ! La Cour de Cassation avait validé cet acte !
Aujourd’hui, ce concept flou permet à l’Église de chercher à reprendre la main sur une population d’élèves et d’enseignants qui ne fait plus le choix des établissements privés pour des questions religieuses. Surtout, il permet à des libéraux de mener une concurrence acharnée face à l’enseignement public, utilisant autant le caractère propre pour sa dimension religieuse que pour mettre en place des pseudo innovations pédagogiques ou contourner les mesures prises par l’Etat (c’est le cas, des rythmes scolaires).
Est-il concevable que des établissements financés à 90% par des fonds publics ne respectent pas les règles communes, et utilisent leur financement pour entrer en concurrence avec le « public » ?
Pour la CGT, l’éducation ne doit pas être un marché concurrentiel, sauf à vouloir développer un système à deux vitesses – comme en connaissent les Etats-Unis – et à laisser se développer le communautarisme. Dans ce cas, pas sûr que les valeurs que les enseignants tentent de défendre au quotidien en sortent vainqueur.
Pas sûr non plus que nos conditions de travail y gagnent beaucoup…
Tant que l’Etat n’aura pas pris ses responsabilités, c’est donc tous les jours, face à chaque tentative de dérive, que nous devons collectivement défendre nos droits !