Les conflits du travail des chauffeurs Uber ou VTC et des chauffeurs de taxis posent de redoutables problèmes de positionnement pour le syndicalisme, liés à la définition même du travail, du salariat, du Code du travail, et maintenant du Code commercial.
L’article ci-dessous est extrait d’un article plus complet analysant les derniers conflits entre chauffeurs VTC (véhicules de transport avec chauffeurs) affiliés à plate-forme Uber, les alternatives possible, ainsi que les positions syndicales et associatives.
L’article au complet :uber et syndicalisme
Extraits : […]
Quelles réponses syndicales ?
Face à l’épidémie des plates-formes numérique, il est certain que le syndicalisme est déstabilisé. Il y a deux types de réponses possibles : soit réguler par des droits nouveaux un travail qui se situe pour une grande partie « hors de l’emploi » classique, droits qui relèveraient de l’entreprenariat ou du commerce. Uber explique partout que ce n’est pas lui qui fait la loi, mais il milite ardemment pour des solutions empiriques, à l’interstice des lois, ce qu’il appelle de « bonnes pratiques » entre gens de bonne volonté. Mais il vient de se heurter à une limite : le conflit social ! La montée en puissance du « revenu universel » est également très en phase avec ce type de relation de travail. Comme les plates-formes de l’économie dite collaborative ne peuvent ni ne veulent garantir un salaire ou un revenu stable et suffisant, la séduction numérique se métamorphose aussi en besoin d’un socle de revenu garanti. Le numérique tue le salariat à la fois dans le type de relation d’emploi et le type de rémunération.
Autre réponse : lutter pour la salarisation, et donc la requalification des statuts actuels. Mais cette deuxième solution nécessite de redonner au statut salarial une portée émancipatrice dans l’acte du travail et de son sens : qualité de service, liberté personnelle, sécurités sociales et matérielles indispensables. C’est le défi posé par Uber ou l’économie de plate-forme, qui fait en partie son succès, mais c’est ce problème est posé dans toutes les situations professionnelles, et notamment par les jeunes.
Il faudra dans ce cadre suivre l’action en justice de l’URSSAF Ile de France (Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociales et d’allocations familiales) en conflit avec Uber devant le Tribunal des affaires de la sécurité sociale (TASS) pour cotisations non versées. L’URSSAF attaque Uber pour «travail dissimulé» et «détournement de statut». Si l’URSSAF gagne, c’est un coup dur porté au modèle Uber. Mais la procédure risque de durer des années.
Passage en revue des positions
Comme il y a plusieurs plates-formes numériques, et pas seulement Uber, se sont d’abord formées une grande quantité d’associations de chauffeurs. Il est significatif qu’ils ne se sont tournés ni vers le syndicalisme classique, ni apparemment vers les syndicats d’artisans ou patronaux. Mais les choses peuvent bouger. L’association CAPA VTC (septembre 2015) veut que les chauffeurs ne soient « plus représentés par les éditeurs » (de plates-formes numériques), et donc qu’ils soient indépendants. Bonne base ! Une autre association : Association VTC, fait du lobbying à fond pour la loi du député PS Granguillaume (automne 2016) qui cherche une nouvelle fois à « réguler » la profession après la première loi Thévenot de 2014. Quant à Actif VTC, son président explique qu’il « en a marre de cette position de salariat déguisé ».
Mais les syndicats de salariés ne sont pas restés en reste : CFDT et UNSA s’implantent ; la CGT, FO et SUD étant surtout implantés chez les taxis.
- « Bienvenue à la CFDT» dit Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT (le 23 septembre 2015), en direction des chauffeurs Uber. La confédération CFDT semble clairement située dans l’accompagnement du système Uber dans son modèle économique hors salariat, tout en analysant une « subordination économique ». Dans le débat entre Thibault Symphal (patron Uber France) et Laurent Berger (octobre 2016), ce dernier propose de rattacher les chauffeurs Uber au Compte personnel d’activité (CPA) issu de la loi Travail. Le CPA est en effet conçu dès l’origine pour toute situation de travail, et pas seulement pour les salarié-e-s. Il s’agit de « sécuriser les parcours professionnels », selon la terminologie que la CFDT a réussi à imposer dans le débat public, mais à partir de choix à la fois très individuels et généralisés. Laurent Berger parle « d’universaliser les droits de tous les travailleurs, privés ou publics, indépendants ou non ». Il met Uber au défi d’une négociation globale (« responsabilité sociale des entreprises »), d’une « confrontation avantageuse d’intérêts divergents » comme dans toute situation de travail. Il propose d’organiser la représentation collective des chauffeurs Uber et face aux dérapages possibles, il met en garde Uber face à son « image de marque » internationale. Ce que Thibault Symphal lui accorde volontiers.
Celui-ci explique qu’il est quotidiennement en liaison par mail avec ses chauffeurs, qui sont « nos clients » : «Nous n’avons pas intérêt à ce qu’ils partent à la concurrence, et ils ne s’en gènent pas ». Il encourage donc à former des associations de chauffeurs, ou des syndicats type CFDT. Sa stratégie est de dérèglementer, contrairement au gouvernement qui met sans arrêt des bâtons dans les roues par des lois surabondantes. Il estime que 80% des problèmes entre la plate-forme et les chauffeurs peuvent se résoudre par discussion raisonnée, et qu’il reste en effet 20% plus complexe.
Quant à la fédération CFDT transports-environnement, elle met clairement en avant « les externalités négatives » du transport automobile pour valoriser le système Uber qui reposerait sur « un découplage croissant entre possession et usage de la voiture particulière ». Elle analyse les conflits sociaux en cours comme allant bien plus loin qu’une lutte corporatiste entre taxis et les VTC, mais plutôt comme une « opportunité » saisie par les consommateurs pour peser sur les choix économiques et technologiques en matière de transport. La fédération propose aussi de garder le « modèle du salariat » dans le transport et d’harmoniser les droits entre taxis et VTC.
D’ailleurs le service juridique CFDT (www.cfdt.fr) fait également une étude sur le statut des chauffeurs, en insistant certes sur leur « liberté d’organisation du travail », mais aussi les contraintes subies par les décisions unilatérales de la plate-forme, comme le tarif des courses, la commission reversée, ou encore le système de « notations » où les clients démarchés par voie numérique peuvent dire tout ce qu’ils pensent des chauffeurs et leur professionnalisme. Ce qui peut conduire à « déférencer » les chauffeurs. Autrement dit les licencier par un clic ! Ce à quoi Thibault Symphal répond qu’il est normal de « déférencer » des chauffeurs « violents » ou qui « grillent les feux rouges »…L’article CFDT explique aussi qu’aux Etats-Unis, les chauffeurs ont introduit une « class action » pour se faire « reconnaitre comme salariés ». Uber a préféré payer 84 millions de dollars aux plaignants, mais ils sont restés indépendants. Le modèle économico-juridique est donc encore une fois préservé !
- La CGT est surtout implantée et active dans les taxis de longue date, avec sa Chambre syndicale des Cochers et Chauffeurs, ou encore CGT-Taxis (www.cgt-taxis-fr). Celle-ci syndique tous les chauffeurs quels que soient leur statut juridique, donc également les artisans. Elle est surtout implantée en Ile de France. Si elle syndique tout le monde, la CGT taxis a clairement une plate-forme qui vise à rattacher les chauffeurs aux acquis historiques du mouvement ouvrier en matière de salaire et protection sociale. Elle conteste radicalement le système VTC et Uber. Elle s’adresse aux chauffeurs VTC avec le même langage que pour les taxis, en expliquant que les taxis aussi accueillent « les plus fragiles, les immigrés, les jeunes défavorisés, les salariés issus de ruptures professionnelles». Dans un communiqué du 10 février 2016, elle explique que « tous sont victimes », autant les taxis que les chauffeurs VTC. Elle bataille contre la tarification forfaitaire introduite par la loi Thévenoud (2014), au lieu de la tarification au compteur. Force ouvrière et Sud-Taxis ont des positions semblables ou convergentes avec la CGT. Tous font partie d’une intersyndicale. Sud Taxis défend que le fond de sauvegarde des taxis, qui ne cessent de perdre du chiffre d’affaires et des clients, soit alimenté par une taxe sur le VTC, les chauffeurs LOTI et les plates-formes numériques.
- Selon La Croix, l’UNSA aurait créé le 2 novembre 2015 «le premier syndicat » de type classique chez les chauffeurs VTC : le SCP/VTC UNSA, animé par Saya Baaroum, 26 ans. Il aurait choisi l’UNSA car la CGT et FO sont surtout dans les taxis. Il raconte qu’au départ, avec Uber, « tout avait l’air facile ». Certes il est parvenu à gagner 2000 euros pour 70 heures par semaine. Mais « comme il y a de plus en plus de chauffeurs, c’est de plus en plus difficile de gagner sa vie ». Ce à quoi Uber répond que chaque chauffeur peut s’affilier à plusieurs plates-formes numériques, et donc élargir son marché ! Mais Uber peut aussi vous « déconnecter du jour au lendemain parce qu’un client s’est plaint ».
Jean-Claude Mamet