EDITORIAL DE SYNDICOLLECTIF
Retraites : redonner la parole à l’intersyndicale
Le Premier ministre F. Bayrou veut croire que le traquenard qu’il a construit depuis janvier 2025 pour éviter une censure peut encore faire de l’effet, sinon avec les « partenaires sociaux », du moins sur le plan parlementaire (à l’automne).
Selon sa méthode zigzagante, il avait lui-même déchiré le pacte de négociations lorsqu’il a ouvert les portes de son « conclave ». Il s’agissait selon lui de rediscuter de la loi de 2023, « sans tabou ». Mais, à peine ouverte, la discussion, se voyait imposer la nécessité » d’un retour à l’équilibre financier en 2030 » (pourquoi 2030 ?) ; puis, deuxième temps, il annonce que les discussions ne doivent pas toucher à l’âge de départ à 64 ans ! Sans tabou, avait-il dit !
La CGT, après FO, ont refusé d’aller plus loin avec un tel cadrage. Le 27 juin 2025, les trois syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC), qui ont siégé à la « délégation permanente », ont dénoncé dans un communiqué l’attitude patronale bloquant un accord « d’un revers de main ». Elles estiment aussi que contrairement à ce que dit F. Bayrou, les questions litigieuses ne sont « pas des points mineurs » : réparation de la pénibilité (départs anticipés), mais aussi des inégalités femmes/hommes pour l’accession aux droits. Quant à la FSU et Solidaires, elles n’ont jamais été admises au débat, ce qui pose un problème de « légitimité » des négociations lorsque celles-ci portent aussi sur les agents publics.
Pendant ces mois de débat, le suspense a surtout porté sur les résultats probables d’une négociation sans rapport de force. Car il ne faisait aucun doute que le MEDEF ne paierait pas un centime de plus pour financer la moindre avancée. Comme le martèle Patrick Martin (président du MEDEF) : « On ne joue pas avec l’économie, une science exacte [sic], ni avec les entreprises » (émission « Les 4 Vérités » ). Politiquement le verrou politique Macron-Bayrou, tout chaotique qu’il soit, l’encourageait soit à l’immobilisme, soit de de foncer vers une gestion des retraites à « cotisation définie » (c’est-à-dire s ans garantie sur le montant de la retraite perçue), avec un étage de « capitalisation » (à négocier en 2026 !). C’était dans le projet d’accord Marette, le « médiateur » du conclave…S’ajoutait à cela le fait que les « avancées sociales » promises étaient financées totalement par les retraité-es (désindexation et hausse de la CSG) et par les salarié-es (dispositif carrière longue menacé). Mais le MEDEF refusait d’entendre qu’on puisse oser partir avant l’heure lorsque le travail a usé les corps et l’espérance de retraites en bonne santé sur les chantiers ou dans les usines chimiques (charges lourdes, toxicité).
Dans ce contexte provocateur, il aurait au moins fallu remplir deux conditions pour obtenir le minimum de ce que la gigantesque mobilisation de 2023 n’avait pas permis d’atteindre : une vraie campagne politique qu’aurait dû mener la gauche pour mobiliser le pays. Une telle offensive était possible car l’opinion publique » continue de rejeter massivement la retraite à 64 ans. La deuxième condition était un rapport de force social et syndical. Pour cela, l’intersyndicale de 2023 était possiblement un levier pour rééquilibrer les négociations et impulser un véritable débat démocratique. Malgré les défis posés par un contexte politique hostile et une opposition patronale déterminée, l’unité syndicale pouvait offrir une opportunité de mobiliser les travailleurs et travailleuses. Mais cela impliquait nécessairement de se mettre d’abord autour d’une table syndicale et de définir des mesures communes. Puis de les porter ensemble dans le monde du travail, voire à innover par une votation citoyenne massive. C’est ce qui a manqué en 2023.
Il n’est pas trop tard. C’est ce que nous pouvons souhaiter. Les tactiques syndicales suivies montraient un désaccord évident sur la manière de faire, qui n’était simple pour personne. Mais les syndicats ont quand même évité des polémiques inutiles. Ils n’ont pas cessé pendant cette période difficile d’agir ensemble, notamment sur les libertés. Aujourd’hui, il serait souhaitable qu’une sorte de « convention » croisant les approches revendicatives au sujet de la protection sociale, des retraites et de l’assurance-maladie, se mette en place. Car l’automne est menaçant sur ces sujets centraux. L’intersyndicale doit reprendre la parole !