Le numéro 30 de septembre 2023 de la revue Les Mondes du Travail contient un grand nombre d’articles d’une très grande richesse et variété. A commencer par un « grand entretien » fouillé des luttes en Grande Bretagne et en Allemagne ces derniers mois, et un « Dossier » sur « Travail, négociations, conflits » avec une introduction sur le mouvement social en France en 2023. Nous donnons accès à ce numéro en entier, et en lecture directe à l’essentiel de l’article introductif de Sophie Béroud et Jérôme Pélisse sur les conflits en France.
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DOSSIER : TRAVAIL, NÉGOCIATIONS, CONFLITS QUELLES RECOMPOSITIONS ?
L’article ci-dessous est une introduction à ce dossier (les notes complémentaires de l’article ne sont pas ici publiées).
Sophie Béroud est professeure de science politiques à l’Université Lyon 2 et chercheure au laboratoire Triangle, courriel: sophie. beroud@univ-lyon2.fr
Jérôme Pélisse est professeur de sociologie à Sciences Po Paris, chercheur au Centre de sociologie des organisations, courriel: jerome. pelisse@sciencespo.fr
La situation paradoxale des syndicats : entre affaiblissement et mobilisations
Sophie Béroud et Jérôme Pélisse
La séquence de mobilisation sociale qui s’est déroulée en France entre la mi-janvier et début juin 2023 a placé les syndicats en pleine lumière : en capacité d’organiser quatorze journées d’action nationales, ces derniers sont apparus comme les porte-paroles légitimes d’une profonde colère émanant du monde du travail. Alors que le paysage syndical est particulièrement fragmenté, ils ont réussi à maintenir tout au long du mouvement un cadre de décision unitaire, soit une intersyndicale solide à huit organisations, déjouant de la sorte les tentatives de division menées par le gouvernement. S’opposant en bloc au report de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite (de 62 à 64 ans), ils sont également parvenus à ne pas se laisser enfer- mer dans une posture uniquement défensive, contribuant à éclairer les contradictions et les non-dits du projet gouvernemental et inscrivant dans le débat public la question des conditions et de l’intensité du travail, en particulier pour les composantes ouvrières et employées les plus exposées aux emplois précaires, aux conditions de travail difficiles et à des espérances de vie en bonne santé les moins longues. On pourrait donc penser, au regard de ces quelques éléments, que les syndicats sont bel et bien de retour au centre de la contestation sociale, alors même qu’ils étaient donnés comme dépassés quelques années auparavant, à l’automne 2018, lorsque les Gilets jaunes parlaient sans eux du peu de valorisation du travail, de budgets familiaux fortement contraints y compris chez les actifs en emploi tout au long de l’année ou encore de l’usure des corps au travail1.
Cependant, cette lecture très valorisante de la capacité d’action retrouvée des syndicats mérite d’être nuancée et surtout complexifiée. D’une part, car le fait que les syndicats français, ou dans certaines configurations une partie d’entre eux, parviennent à construire des mouvements sociaux inter- professionnels qui dépassent largement le cercle de leurs adhérents et même de leurs sympathisants n’est pas nouveau. En 2019-2020, la première tentative de réforme du système de retraite lancée par E. Macron et son gouvernement s’est heurtée à une résistance sociale très forte, avec là encore une série de journées d’action rassemblant plus d’un million de participants et surtout des grèves reconductibles dans les secteurs du transport ferroviaire et urbain qui avaient dépassé en durée – cinquante-deux jours pour certains agents de la RATP et certains cheminots – celles menées lors du mouvement social de 19952. Cette mobilisation a été brutalement stoppée à la fois par le recours à l’article 49.3 de la Constitution pour adopter le projet de loi et par l’instauration du premier confinement, le 17 mars 2020, face à la pandémie de la Covid-19.Trois ans plus tôt, au printemps 2016, les syndicats avaient également organisé douze journées d’action et des grèves sectorielles sur une période de cinq mois afin de s’opposer à une vaste refonte du droit du travail et de l’architecture de la négociation collective en France (la dite loi Travail ou loi El Khomri), mobilisation qui s’était articulée à une forte contestation étudiante, à une pétition rassemblant plus d’un million de signatures et de multiples initiatives sur les réseaux sociaux puis un mouvement d’occupation des places publiques connu sous le nom de Nuit Debout (Collectif d’enquête, 2017 ; Béroud, 2018).
D’autre part, car en dépit de cette capacité à mobiliser une partie du salariat à l’échelle nationale et interprofessionnelle, les syndicats français connaissent un long et interrompu processus d’affaiblissement, lequel s’est accéléré au cours des quinze dernières années. Plutôt qu’en rester au constat d’un retour des syndicats comme acteurs centraux de la conflictualité sociale, il faut donc saisir les logiques qui produisent et entretiennent cette situation paradoxale des syndicats français, qui font que ces deux dimensions apparemment opposés – leur rôle dans l’expression de la colère sociale et leurs difficultés concomitantes à véritablement structurer celle-ci – sont profondément imbriquées. L’objectif de ce dossier, initié avant le mouvement social de l’année 2023, est justement d’apporter des éléments à la compréhension de ce que les multiples réformes menées en France depuis 2008 ont fait notamment aux syndicats en ce qui concerne l’adaptation de leurs pratiques, mais surtout leur capacité d’action effective pour organiser et défendre les travailleurs. La dimension inédite de la mobilisation récente contre le recul de l’âge de la retraite à 64 ans, qui renforce le paradoxe qui vient d’être énoncé, nous conduit donc à revenir avant tout sur ses principales caractéristiques dans cette introduction. Les articles variés qui sont ensuite présentés montrent quant à eux à la fois l’intrication des réformes qui se sont succédées à un rythme rapide au cours de la décennie 2010 et la diversité de leurs effets. Le dossier les abordera en traitant aussi bien des niveaux de représentation et d’action syndicale, des thèmes et enjeux de négociation et de régulation que des transformations des acteurs eux- mêmes, en particulier, même si pas seulement, syndicaux.
1 – Un mouvement massif et populaire, source de légitimité pour l’intersyndicale face au gouvernement
Dans le cours même de son déroulement lors du premier semestre 2023, la mobilisation a en effet été qualifiée d’historique tant par les syndicats que par les médias. Ce sont les chiffres de participation aux manifestations qui ont nourri cette interprétation, dans la mesure où ceux-ci ont été très élevés dès la première journée d’action le 19 janvier 2023 et ont très peu faiblis par la suite, avec une intensité très forte au cours du mois de mars. La détermination du nombre de manifestants est toujours un enjeu de lutte important inscrit dans le déploiement du mouvement et on le sait, les écarts demeurent forts entre les chiffres établis par le ministère de l’Intérieur et ceux donnés par les syndicats, c’est-à-dire en fait par la CGT (Cf. tableau ci-bas). Cependant, dès le 19 janvier, le ministère de l’Intérieur annonce plus d’1,1 millions de manifestants, avec des rassemblements dans deux cents villes et des taux de grévistes importants, en particulier dans le secteur de l’énergie, de l’éducation et des transports. Ce sont à la fois des salariés du secteur privé et du secteur public qui prennent part aux différents cortèges, avec une présence non négligeable – mais que l’on ne peut évaluer de façon précise – de primo-manifestants. Le succès populaire remporté dès ce premier rendez-vous protestataire, alors même que les syndicats pensaient s’ins- crire dans un processus plus long d’élargissement du mouvement, a été attribué d’une part à un rejet majoritaire au sein de la population des mesures imposées – le report de l’âge de départ à la retraite, l’allongement de la durée de cotisation – et d’autre part, à la dimension unitaire de la mobilisation, perçue là encore comme exceptionnelle.
C’est en effet une intersyndicale nationale, regroupant les huit organisations existant à cette échelle (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, CGT-FO, FSU, Solidaires et Unsa) qui a conduit celle-ci, décidant au fur et à mesure des temps forts et des moyens d’action. Outre qu’une telle unité n’avait pas existé depuis treize ans – le précédent étant la mobilisation contre une réforme des retraites antérieure en 2010 – elle paraissait fortement improbable au regard des lignes de division qui traversent le champ syndical. En 2016 au sujet de la loi El Khomri, mais également en 2019-2020 avec le premier projet de réforme du système de retraite d’E. Macron, les dissensions entre syndicats étaient fortes, en particulier entre les deux premières confédérations, la CFDT et la CGT. Loin de ces tensions, le cadre unitaire édifié dès décembre 2022, c’est-à-dire en amont de la présentation officielle du contenu de la réforme par la Première ministre été vu comme un puissant vecteur de mobilisation, conférant à cette dernière une dimension à la fois massive et populaire susceptible de déstabiliser le gouvernement3.
De fait, cette intersyndicale est parvenue à organiser, à la suite du 19 janvier, treize autres journées d’action sur l’ensemble du territoire au cours desquelles la participation s’est maintenue à un niveau très élevé au regard d’autres grands mouvements sociaux en France comme celui de l’automne 1995 ou celui du printemps 2010. Dès la deuxième journée d’action, le 31 janvier – pour laquelle le ministère de l’Intérieur annonce 1,2 millions de manifestants et la CGT 2,8 millions -, l’intersyndicale a construit un calendrier régulier de mobilisations, intégrant le samedi 11 mars afin d’impliquer d’autres catégories de la population, mais aussi la période des vacances scolaires dans l’objectif de conserver une opinion publique favorable. La journée d’action du mardi 7 mars, moment de sortie des vacances pour l’ensemble des zones, a ainsi constitué l’un des acmés de la mobilisation (1,2 million selon le ministère, 3,5 millions selon la CGT), d’autant plus que l’intersyndicale a tenté à ce moment-là faire évoluer les formes d’action en appelant à « mettre la France à l’arrêt ». Cet appel à des grèves reconductibles n’a cependant pas eu le succès escompté (Cf. infra) et la journée de manifestation, organisée sur l’ensemble du territoire, jusqu’à des petites villes qui n’en avaient que très peu connu jusqu’alors, est demeurée la modalité d’action centrale.
Tableau n°1 : Les chiffres des manifestations en 2023
Date | Estimation CGT | Estimation Ministère de l’Intérieur |
Jeudi 19 janvier 2023 | 2 000 000 | 1 120 000 |
Mardi 31 janvier 2023 | 2 800 000 | 1 270 000 |
Mardi 7 février 2023 | 2 000 000 | 757 000 |
Samedi 11 février 2023 | 2 500 000 | 963 000 |
Jeudi 16 février 2023 | 1 300 000 | 440 000 |
Mardi 7 mars 2023 | 3 500 000 | 1 280 000 |
Samedi 11 mars 2023 | 1 000 000 | 368 000 |
Mercredi 15 mars 2023 | 1 700 000 | 480 000 |
Jeudi 23 mars 2023 | 3 500 000 | 1 089 000 |
Mardi 28 mars 2023 | 2 000 000 | 740 000 |
Jeudi 6 avril 2023 | 2 000 000 | 570 000 |
Jeudi 13 avril 2023 | 1 500 000 | 380 000 |
Lundi 1er mai 2023 | 2 300 000 | 782 000 |
Mardi 6 juin 202 3 | 900 000 | 281 000 |
Sources : AFP ; Le Monde ; Mediapart, chiffres collectés par les auteurs.
Un nouveau pic de participation est atteint le jeudi 23 mars, après le recours à l’article 49.3 de la Constitution par le gouvernement quelques jours plus tôt pour faire adopter le texte de loi en bloc. Cette décision politique constitue d’ailleurs un tournant dans la mobilisation puisqu’elle a pour conséquence une plus forte implication de la jeunesse scolarisée (lycéenne et étudiante) et une diversification des formes de lutte : manifestations spontanées et non déclarées en soirée, blocages et envahissement de site…Elle se traduit également par une répression policière accrue, avec des dizaines d’arrestations, ce qui va contribuer à partir de là à durcir les relations entre forces de l’ordre et manifestants y compris lors des journées d’action organisées par l’intersyndicale. Celle-ci a continué jusqu’au 6 juin – dernière journée de mobilisation avec une participation nettement en retrait – à dicter le rythme du mouvement, bien que des actions parallèles se soient multipliées à l’échelle locale, en particulier des concerts de casseroles lors des déplacements du Président de la République et des membres du gouvernement.
Contrairement donc à d’autres séquences de luttes sociales où le cadre intersyndical n’avait pas tenu sur la durée, cela n’a pas été le cas durant ces six mois de mobilisation. Réunies une nouvelle fois le 15 juin 2023, les huit organisations qui la composent, auxquelles ont été associées par la suite cinq organisations lycéennes et étudiantes, ont même appelé à préserver ce cadre d’échange et d’initiative pour l’élargir à d’autre enjeux revendicatifs, à commencer par les salaires et les conditions de travail, mais aussi la santé au travail. Il faut dire que cette intersyndicale a constitué non seulement un outil de mobilisation, mais également un outil politique remarquable au service des syndicats. Elle leur a permis d’apparaître, malgré leur faible nombre d’adhérents, comme les dépositaires légitimes d’une immense colère populaire, face à une réforme perçue comme profondément injuste, en particulier pour les catégories populaires du salariat ayant commencé tôt leur carrière professionnelle. Les conditions ayant rendu possible l’existence de cette intersyndicale proviennent cependant moins de facteurs internes au champ syndical qui auraient entraîné des dynamiques de rapprochement entre organisations que de l’action même du gouvernement. De ce point de vue, il existe une continuité dans les politiques sociales menées sous les deux quinquennats d’E. Macron avec des passages en force (recours aux ordonnances en particulier) au détriment de concertations effectives avec les syndicats.
En 2022, le gouvernement Borne avait ouvert d’une certaine façon un espace pour que se constitue l’intersyndicale nationale en imposant une réforme de l’assurance chômage rejetée par l’ensemble des confédérations et unions nationales. Ce sont les mêmes qui se sont retrouvées quelques mois plus tard pour préparer l’offensive contre une réforme du régime de retraites qui ne faisait aucun cas de leurs principales demandes. Cette alliance inattendue entre des organisations se disant réformistes et des organisations s’opposant frontalement depuis des décennies au recul des protections sociales peut donc être vue comme le produit des choix autoritaires faits par des gouvernements qui ne cherchent plus à donner l’illusion qu’ils ont besoin de « partenaires sociaux ».
Cette situation a également permis à l’intersyndicale, et en particulier à la CFDT dont la présence dans cette alliance a été fortement médiatisée, de se poser en champion de la démocratie sociale face à un gouvernement peu soucieux du bon fonctionnement de celle-ci, puis même d’interpeller ce dernier sur son usage de la Constitution, son rejet du débat parlementaire et l’existence d’une véritable crise politique. Fait relativement nouveau, en s’adossant à la forte légitimité que leur conférait une mobilisation massive, les syndicats se sont ainsi autorisés à aller sur le terrain politique, non pas pour prendre la place des partis, mais pour interpeller également les formations de gauche sur leur tactique de guérilla parlementaire. Ils ont tenté de prolonger la lutte sociale par l’obtention d’un référendum d’initiative partagée proposant d’abolir le passage à 64 ans, démarche qui a échoué devant la Conseil Constitutionnel. L’idée d’articuler les manifestations de rues et les grèves à une consultation populaire n’est pas inédite dans leur registre d’action : une votation citoyenne a par exemple été organisée en octobre 2009 à La Poste par une coalition d’associations, de syndicats et de partis dans l’objectif (râté) d’obtenir un référendum national sur le service public postal. Ce qui est plus inédit en 2023 est le fait que les syndicats ont pu s’opposer en tant qu’acteurs sociaux disposant d’une assise majoritaire dans la population à un gouvernement minoritaire sur le plan politique et faire valoir cette forte légitimité en mettant en avant la nécessité d’une consultation populaire.
2 – Mais une mobilisation de basse intensité gréviste
Si l’intersyndicale a de ce point de vue gagné une victoire morale et politique face au pouvoir exécutif, elle n’en a pas moins échoué à bloquer la réforme en cours. Le projet de loi repoussant l’âge de la retraite a bel et bien été adopté et les décrets d’application promulgués, contrairement à ce qui s’était produit en 2006 à la suite du mouvement social contre le Contrat Premier Embauche (CPE). Cette difficulté à faire reculer le gouvernement, en dépit des millions de manifestants rassemblés à plusieurs reprises, est significative du niveau de rapport de force à établir face à des responsables politiques plus attentifs aux fluctuations des notations attribuées par les agences financières internationales qu’au fait d’apparaître comme garant de l’intérêt général (Yon, 2023). La question de la grève a donc été au centre de la mobilisation, mais surtout la possibilité de lancer des grèves reconductibles dans les administrations et les entreprises.
Si les taux de grévistes ont été importants lors des différentes journées d’action – en particulier celles du 19 et du 31 janvier mais aussi du 7 mars-, des grèves prolongées n’ont en revanche été effectives que dans quelques secteurs : les transports avec la SNCF (mais pas la RATP ni les réseaux de transport urbains de voyageurs hors Ile-de-France) ; le secteur de l’énergie et en particulier EDF, Enedis et Engie ; le ramassage des déchets à Paris, Rennes, Rouen et le Havre ; les raffineries du groupe Total. Dans certains de ces secteurs, une dynamique de lutte existait depuis quelques mois et a eu des effets d’entraînement, comme à EDF où plusieurs journées d’action ont été menées en 2022 par une intersyndicale contre le projet Hercule de transformation de l’entreprise, puis pour des augmentations de salaires. Directement concernés par la fin des régimes spéciaux de retraite, les électriciens et gaziers ont été particulièrement mobilisés, avec douze semaines de grèves pour certains agents et l’organisation quotidienne de fortes baisses quotidiennes de la production électrique.
Ils ont également réalisé des centaines d’opérations ciblées de coupures d’électricité – dans des villes dont les membres du gouvernement ou des députés de la majorité sont maires ou encore lors des déplacements d’E. Macron – ou au contraire de passage à des tarifs réduits ou gratuits pour des immeubles dans des quartiers populaires, des hôpitaux ou des petits commerçants. Les électriciens et gaziers ont ainsi renoué avec les actions « Robin des Bois » déjà médiatisées en 2004 (Béroud, 2005) et qu’ils ont démulti- pliées en 2022.
Dans le secteur de la pétrochimie, les travailleurs des raffineries du groupe Total Energie ont également mené une forte mobilisation en octobre 2022 afin d’obtenir des augmentations de salaires dans un contexte à la fois inflationniste et de très forts bénéfices pour le groupe. Ils se sont de nouveau retrouvés à la pointe du mouvement contre la réforme des retraites, sans parvenir toutefois à véritablement provoquer une pénurie dans l’alimentation des stations-services en carburant. De façon comparable, la grève a été fortement suivie à la SNCF lors des journées d’action convoquées par l’intersyndicale nationale, mais les grèves reconductibles sont restées localisées et portées principalement par des agents de conduite, et ce alors même que les agents de contrôle ont été très fortement impliqués dans un mouvement de type corporatiste en décembre 2002. Le tableau suivant récapitule les données éparses que nous avons pu collecter, du côté syndical comme ministériel, la statistique publique ne communiquant qu’annuellement et avec retard sur les taux de grévistes du secteur privé via l’enquête ACEMO.
La plus forte dynamique de grève reconductible a finalement pris dans le secteur du ramassage des ordures à Paris, avec une action coordonnée entre les militants de la CGT de la filière déchets et assainissement et ceux opérant au niveau des incinérateurs de la capitale. Cette grève a été à la fois très visible – ainsi que le promettait un tract syndical « On ne nous entend pas en manif, on mettra Paris sous les poubelles »- et très médiatisée, donnant une impression de rupture avec l’ordre ordinaire.
Tableau 2 : les taux de grévistes lors des principaux temps forts du mouvement de 2023
Date |
Secteurs / Taux de grévistes |
19 janvier 2023 |
Education nationale : 65% à 70% selon les syndicats dans l’enseignement primaire et secondaire ; 42,35% dans le primaire et 34,66% dans le secondaire selon le ministère Fonction Publique d’Etat : 28 % (ministère) Fonction publique Territoriale : 11,3% (ministère) Fonction Publique Hospitalière : 9,8% (ministère) SNCF : 46,3% selon les syndicats EDF : 44,5% selon les syndicats Raffineries : de 70 à 100% au sein du groupe Total Energie selon les syndicats ; 65% selon la direction |
31 janvier 2023 |
Education nationale : 50% dans le primaire et 55% dans le secondaire selon les syndicats ; 26,65% dans le primaire et 25,22% dans le secondaire selon le ministère Fonction Publique d’Etat : 19,4% (ministère) Fonction publique Territoriale : 7,9% (ministère) Fonction Publique Hospitalière : 8,5% (ministère) SNCF : 36,5% selon les syndicats EDF : 40,3% selon les syndicats Raffineries : 75% à 100% de grévistes selon la CGT ; 55% selon la direction de Total |
7 mars 2023 |
Education nationale : 60% dans le primaire et le secondaire selon les syndicats ; 35,35% dans le primaire et 30% dans le secondaire selon le ministère Fonction publique d’Etat : 25,8% (ministère) Fonction publique territoriale : 12,8% (ministère) Fonction publique hospitalière : 14,6% (ministère) SNCF : 40% selon les syndicats EDF : 41% selon les syndicats Raffineries : selon la CGT, les expéditions de carburant sont bloquées dans toutes les raffineries en France. Routiers : mention de nombreux barrages filtrants |
Source : AFP ; Le Monde ; Médiapart – Les sources de taux de grévistes sont indiquées entre parenthèses
Or, c’est justement cette entrée dans une temporalité différente, celle que permet la grève reconductible, qui n’a pas eu lieu dans d’autres secteurs professionnels, et ce malgré l’appel de l’intersyndicale à dépasser les seules journées d’action pour arrêter le travail. Au fil de celles-ci, des salariés de différents secteurs professionnels – du commerce, de la métallurgie, des institutions culturelles – ont manifesté, voire fait grève deux ou trois fois.
Mais ils ont également utilisé leurs jours de RTT ou de congés, participé à la manifestation tout en travaillant avant ou après celle-ci. Plusieurs temporalités se sont ainsi entremêlées : celle du travail salarié quotidien qui n’a pas été suspendue, celle du travail syndical aussi pour les élus et permanents des organisations, celle enfin d’une mobilisation à intervalles réguliers. De telle sorte que les secteurs les plus en pointe – qu’il s’agisse des cheminots, des éboueurs, des électriciens et gaziers ou des raffineurs – ont vu se confirmer la situation qu’ils redoutaient, à savoir le fait de mener à eux seuls et de façon de plus en plus isolée une grève reconductible. Au sein de la CGT, les dirigeants de cinq fédérations professionnelles se sont ainsi coordonnés début février, en rassemblant les représentants de leurs principaux syndicats, afin de monter progressivement en puissance, et d’appeler de façon conjointe à des grèves de 24h, puis de 48h, et enfin à une grève prolongée5. Cette initiative, menée en parallèle à l’intersyndicale et surtout en dehors de la direction confédérale de la CGT, atteste autant de la volonté de mettre en œuvre une stratégie de lutte concertée face au gouvernement que des tensions existantes au sein de la centrale syndicale. Celle-ci a en effet tenu son 53e congrès confédéral en plein mouvement social, du 27 au 31 mars, avec des conflits très vifs sur les choix d’orientation et de la composition de la nouvelle direction6. Cet enjeu de politique interne au sein de la confédération la plus puissante en termes de mobilisation n’a pas été sans peser sur le mouvement.
Cependant, le fait que la manifestation s’impose comme l’élément cen- tral du répertoire d’action contestataire lors d’un grand mouvement inter- professionnel et que les grèves soient difficiles à construire, y compris dans des secteurs professionnels où les syndicats demeurent relativement bien implantés, ne constitue pas un fait inédit, mais plutôt une donnée récur- rente depuis le début des années 2000. La fragmentation des collectifs de travail dans les administrations et les entreprises, mais aussi et surtout l’affaiblissement des collectifs militants avec un nombre plus réduit d’élus et de délégués syndicaux, et une participation moindre des salariés aux élections et aux grèves sont autant de facteurs qui éclairent cette situation (Blavier, Haute, Pénissat, 2020a, b). Éprouvant des difficultés pour faire vivre des assemblées générales sur leur lieu de travail, les militants se tournent vers des actions menées à l’extérieur de celui-ci : opérations de blocage, de bar- rage ou encore d’envahissement de lieux. Ces opérations « coups de poing » leur confèrent la satisfaction d’agir, de perturber l’ordre économique et/ou politique et s’inscrivent parfois dans une forte dynamique locale. L’une des particularités de la mobilisation de 2023 est que ce type d’actions s’est répandu surtout à partir de la mi-mars, c’est-à-dire du passage en force du gouvernement au Parlement. Toutefois, et contrairement à d’autres séquences d’intense contestation sociale – à l’instar de celle de 2019-2020 notamment – les assemblées générales locales, regroupant des salariés de différentes professions, ne se sont pas beaucoup étoffées. Les assemblées générales dans les administrations et dans les entreprises ont également eu du mal à fonctionner, avec une fréquentation limitée. Les salariés ont ainsi souvent répondu aux appels de l’intersyndicale au niveau national sans pour autant chercher à construire une mobilisation sur leur lieu de travail.
De la même façon – et même si une enquête serait ici nécessaire afin de produire des données précises – il semblerait qu’il y ait eu peu de démarches intersyndicales dans les administrations et les entreprises, par- delà un affichage de façade pour les journées d’action. Or, pour com- prendre l’existence de ces faiblesses intrinsèques au mouvement, il faut revenir sur la façon dont la représentation syndicale a été profondément transformée, depuis quinze ans, au fil de différentes évolutions du cadre juridique des relations professionnelles. L’objet de ce dossier est de rensei- gner ce que ces nombreuses réformes ont fait aux fonctions de représentation, de négociation, de mobilisation dans les relations professionnelles. De fait, ce que soulignent la plupart des contributions qui le composent constitue un ensemble de constats marquant un affaiblissement structurel de l’action syndicale, même si des innovations sont aussi évoquées sur certaines thématiques.
3 – Un affaiblissement structurel depuis quinze ans de la représen- tation syndicale
Il faut bien sûr se garder d’une lecture téléologique qui conférerait une cohérence excessive aux différentes transformations mises en œuvre depuis la réforme des règles de la représentativité syndicale via la loi du 20 août 2008. Des processus, comme celui de la décentralisation de la négociation collective au niveau de l’entreprise, ont débuté bien en amont de cette réforme, dès les années 1980, les négociations sur les trente-cinq heures au début des années 2000 constituant, sous l’impulsion de la puissance publique, un véritable accélérateur du phénomène (Pélisse, 2004 ; 2011). Pour autant, de fortes continuités peuvent être repérées sur une quinzaine d’années, à commencer par la façon dont le dialogue social a été érigé en référent idéologique à la fois par des responsables politiques – par-delà les change- ments de gouvernements et de majorité électorale -, par des responsables administratifs, des professionnels des relations sociales et également par des dirigeants syndicaux (Bethoux, 2020). Cette valorisation du dialogue social comme une certaine vision des relations professionnelles où le conflit est évacué, considéré comme un dysfonctionnement, et où l’activité syndicale tend à être réduite à la seule participation aux négociations et aux instances de représentation, s’est effectuée à plusieurs échelles et en s’appuyant sur plusieurs vecteurs. Une part importante des changement législatifs a consisté à faire de l’entreprise le lieu désormais central de la production des normes sociales, en renforçant tout d’abord la légitimité électorale des syndicats, mais aussi le principe de l’accord majoritaire (avec un seuil à 30% entre 2008 et 2016, et depuis à 50%).
En faisant des résultats aux élections professionnelles la clef de voûte pour accéder à une série de ressources et de mandats, dans l’entreprise mais aussi au-delà – avec l’accès aux mandats de conseillers prud’homaux ou de conseiller du salarié7, aux sièges au sein du CESE et des CESER, aux man- dats dans les instances paritaires, etc. -, la réforme des règles de la représentativité de 2008 a bousculé les pratiques syndicales. Elle contraint les organisations, à rationaliser le suivi des élections, de leurs implantations et à apprendre à faire campagne8. Elle pèse également sur les façons de penser la relation entre salariés et syndicats, l’enjeu étant moins désormais de constituer des bases militantes actives que de savoir mobiliser les électeurs lors des échéances électorales.
Ce premier étage de la fusée a été complété par un deuxième avec la loi El Khomri du 8 août 2016 qui a profondément altéré la hiérarchie des accords collectifs, en donnant en particulier la primauté aux accords d’entreprises sur le temps de travail. Loin d’être le seul texte qui modifie en profondeur le Code du travail, la loi El Khomri s’est inscrite dans une série de lois adoptées sous le quinquennat de François Hollande (loi Macron du 6 août 2015, loi Rebsamen du 17 août 2015) qui, en quelques années, ont fortement augmenté les dérogations possibles pour le travail du dimanche dans un certain nombre de secteurs9 ou encore modifié les critères d’appréciation des licenciement économiques dans l’objectif explicite de réduire les possibilités de contestation des dits Plans de sauvegarde de l’emploi. Ce qui ressort fortement de cet ensemble de textes législatifs est le fait de pen- ser la négociation d’entreprise au service de la compétitivité des entreprises et non plus comme un espace de régulation entre d’intérêts antagonistes, entre salariés et employeurs (Laulom et al., 2016). Ces évolutions ont eu des implications importantes sur le contenu et les contours de l’activité syndicale sur le lieu de travail, en renforçant les processus de spécialisation et de professionnalisation des représentants élus ou mandatés. En effet, et encore plus qu’avant, les équipes syndicales dans les administrations et dans les entreprises se réduisent à une poignée de militants qui cumulent les mandats, passent une grande partie de leurs heures de délégation en réunions avec la direction, ou en réunions préparatoires pour les premières, et parviennent de moins en moins à assurer une relation de proximité avec leurs collègues de travail. De plus, alors que les thèmes de négociation n’ont cessé de se diversifier10, les résultats engrangés ne permettent que rarement aux représentants syndicaux de démontrer l’efficacité de leur investissement (Giraud, Ponge, 2016).
Cette situation où la négociation contractualisée imposée se fait avant tout au service des directions d’entreprise, où elle est en partie instrumentalisée par ces dernières, met fortement en lumière une inversion des rap- ports de force dans l’entreprise qui contraste fortement avec les années 1970 : ce ne sont plus les salariés et leurs représentants qui mènent une stratégie de grève froide face aux employeurs comme à cette époque (Morel, 1980), mais bien ces derniers qui placent en permanence les négociations sous contrainte pour restaurer de façon encore plus marquée le pouvoir managérial (Pélisse, 2019). Dans ce contexte, la conflictualité qui se déploie en temps ordinaire à l’échelle des entreprises, qu’elle soit avec ou sans arrêt de travail, traduit surtout des positions défensives et le refus de reculs successifs, face à des DRH certes inégalement dotés en ressources pour se saisir et instrumentaliser ainsi les négociations, mais qui disposent bien plus qu’auparavant de ces possibilités pour orienter le jeu des relations sociales dans leur entreprise11.
Une exception notable s’est toutefois manifestée récemment en matière de revalorisation salariale. En effet, les conflits sur les salaires se sont multi- pliés depuis 2022 avec la reprise d’une forte inflation, certains de ces conflits se déroulant même simultanément au mouvement social contre la réforme des retraites, à l’image des conflits médiatisés qui ont eu lieu, par exemples, à MA France (un sous-traitant de Stellantis, dans l’automobile),Verbaudet (textile) ou Disneyland (parc de loisir) au premier semestre 2023. Il reste, qu’au regard des difficultés à s’opposer à une emprise croissante des directions d’entreprise sur la forme et le contenu des relations professionnelles, il est compliqué pour des équipes syndicales d’articuler les combats menés à l’échelle de leur établissement à des enjeux interprofessionnels plus larges, comme la réforme du régime de retraites.
D’autant que le dernier étage de la fusée des réformes (ou contre- réformes) a été mis en place par les ordonnances Macron de septembre 2017, en venant parachever et prolonger les changements déjà introduits en 2015-2016. L’une des ordonnances a complètement transformé les instances de représentation du personnel (IRP) dans les entreprises privées, telles qu’elles avaient été progressivement édifiées au cours du XXème siècle, en fusionnant les prérogatives des délégués du personnel (DP), du comité d’entreprise (CE) et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en une seule, le Comité Social et Economique (CSE). Cette fusion, pensée comme une « simplification » dont il faut se demander ce qu’elle et pour qui elle simplifie, s’est traduite par une très forte réduction des mandats et des heures de délégation dans les grandes entreprises – jusqu’à plus de 50% pour certaines, 30% en moyenne – et par un recul global de la présence d’IRP. Les entreprises de plus de 11 salariés et de moins de cinquante salariés qui pouvaient auparavant disposer d’un délégué du personnel étaient encore nombreuses, en 2022, plus de deux ans après l’obligation qu’elles avaient à le faire, à ne pas avoir mis en place de CSE12. Bénéficiant d’un nombre moins important d’élus là où auparavant ils pouvaient s’appuyer sur un réseau militant dense – à l’instar de ce qui s’est produit à la SNCF (Pélisse et Peskine, 2022) -, les syndicats éprouvent des difficultés croissantes à trouver des candidats pour siéger dans une instance comme le CSE qui requiert des compétences multiples et s’avère très chronophage. De plus, et comme l’ont bien pointé les premières études empiriques relatives aux implications des ordonnances de 2017, cette fusion des instances a d’autres conséquences négatives sur le travail syndical de représentation (Bourguignon et al, 2021 ; Guillas-Cavan et Lerais, 2021). Une centralisation accrue des relations sociales se produit au détriment du main- tien de liens de proximité entre élus et salariés, l’instauration de représentants de proximité – lorsqu’elle est prévue dans les accords – ne venant pas combler la disparition des délégués du personnel (Pélisse,Wolmarck, 2021). En effet, les représentants de proximité peinent à trouver leur place par rapport au CSE, disposant de très peu de points d’appui formels, leur statut n’étant pratiquement que conventionnel et sans possibilité de référence au Code du travail.
Une autre conséquence est la perte d’autonomie et de moyens d’action du côté des Commissions Sécurité Santé et Conditions de Travail (CSSCT) qui, là encore lorsqu’elles existent – ne parviennent pas à remplacer les anciens CHSCT13. Sans revenir ici sur l’ensemble des implications de cette nouvelle configuration de la représentation des salariés dans l’entreprise, il ressort assez nettement des premiers travaux de recherche, que ces transformations nourrissent le processus structurel d’affaiblissement des syndicats. Là encore, si le phénomène n’est pas nouveau, les équipes militantes restent cependant encore plus qu’avant focalisées sur les enjeux de concertation et de négociation qui se déroulent dans leur entreprise et peinent à s’extraire de leur activité institutionnelle pour participer à une activité syndicale hors les murs (auprès des unions territoriales interprofessionnelles en particulier).
Les implications de ces multiples réformes du droit du travail et des relations professionnelles ont ainsi entraîné un affaiblissement croissant de l’action syndicale dans les entreprises, alors même que les organisations françaises pâtissent déjà à la fois de leur faible assise numérique et de leur fragmentation. On sait à quel point la présence de représentants syndicaux sur les lieux de travail s’avère décisive pour favoriser non seulement l’adhésion, mais aussi la participation à des actions collectives14. Des équipes syndicales réduites en nombre, saturées par l’activité institutionnelle lié aux multiples thèmes de négociations ou au CSE, ne parviennent pas ou plus à créer les conditions pour faire vivre des assemblées générales sur les lieux de travail et convaincre les salariés d’y prendre part.
Reste que ce processus d’affaiblissement n’est pas unilatéral. Le fait que les promesses liées à la décentralisation de la négociation – laquelle était censée assurer une plus grande proximité des salariés à des prises de décision les concernant – n’aient pas été tenues et donnent lieu, au contraire, à une concentration accrue du pouvoir dans les mains des directions d’entre- prise15 contribue à affaiblir fortement la rhétorique du dialogue social y compris chez ceux qui s’y engageaient avec force et contribuaient à la faire vivre. Ainsi, on ne peut pas comprendre l’implication de la confédération CFDT et surtout de ses syndicats et sections syndicales d’entreprise dans le mouvement contre la réforme des retraites sans prendre ces éléments en considération. S’ajoute à cela le fait que la pratique du dialogue social au niveau national et interprofessionnel, dans laquelle la CFDT était très investie, a également été fortement démonétisée dès le vote, déjà par la procédure du 49.3, de la loi Travail en 2016, et plus encore depuis l’arrivée au pouvoir d’E. Macron en 2017 (Cf. Infra). À l’inverse, on ne peut pas com- prendre les difficultés à mobiliser rencontrées par les équipes de la CGT, mais également de l’Union syndicale Solidaires, sans analyser la façon dont les différentes réformes du droit du travail et des relations professionnelles ont eu des implications sur la capacité de représentation des syndicats.
Certes, tout n’est pas que recul non plus, tant, contrairement semble-t- il au Royaume-Uni et à l’Allemagne16, de nombreuses tentatives existent pour syndiquer des salariés dans des secteurs massivement précarisés (aide à domicile, EHPAD, nettoyage…) et des initiatives fleurissent, souvent avec un certain succès médiatique, pour organiser des secteurs « ubérisés » comme la livraison à vélo.
Des thématiques nouvelles émergent également, donnant lieu à des coalitions inédites, comme celles du « Pacte du pouvoir de vivre » qui associe la CFDT à une soixantaine d’associations et d’ONG (ATD Quart- Monde, Confédération syndicale des familles, Oxfam…) en 2019, ou « Pour une justice sociale et climatique » où se retrouvent notamment la CGT, Greenpeace et ATTAC depuis 2020. Ces ferments, comme les expériences de luttes et de conscientisation des intérêts propres aux mondes du travail qui ont accompagné le succès populaire de la mobilisation contre la réforme des retraites (malgré son échec final à infléchir le projet gouvernemental), associés à un certain essoufflement de l’idéologie du dialogue social telle que promue depuis une vingtaine d’années face aux surdités gouvernementales et souvent patronales sur de nombreux enjeux (salaires, conditions de travail, santé au travail, enjeux environnementaux, etc.) augurent de possibles revivifications dans le fonctionnement des relations professionnelles, malgré le paradoxal affaiblissement des syndicats.
4 – Présentation du dossier….
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- Sommaire du n° 30 – 220 pages –
- parution septembre 2023 Téléverser le n°30 (format pdf)
GRAND ENTRETIEN
Grèves et relations professionnelles en Grande-Bretagne et en Allemagne
Grand entretien avec Dave Lyddon et Martin Kuhlmann réalisé par Sophie Béroud, Delphine Corteel et Jérôme Pélisse
DOSSIER : TRAVAIL, NÉGOCIATIONS, CONFLITS : QUELLES RECOMPOSITIONS ?
Coordination par Sophie Béroud et Jérôme Pélisse
Introduction – La situation paradoxale des syndicats : entre affaiblissement et mobilisations
Sophie Béroud et Jérôme Pélisse
Effets et appropriations des réformes
« Au plus près du terrain » ? De la décentralisation des régulations à la concentration des pouvoirs
Camille Dupuy et Jules Simha
Des conflits ouverts au « dialogue social » : les stratégies patronales pour contourner les oppositions syndicales au travail de nuit et du dimanche dans le grand commerce parisien
Pauline Grimaud
Une diversité accrue des thèmes des négociations
De la prévention des risques professionnels. Le pouvoir d’agir syndical à l’épreuve des CSE
Fabien Brugière, Lucie Goussard, Sabine Fortino, Guillaume Tiffon
La managérialisation de la question sociale dans une multinationale de la distribution sportive
Pierre Rouxel
La parentalité dans la négociation collective en France : un enjeu managérial plutôt que syndical ?
Cécile Guillaume, Sophie Pochic
Le paradoxe du télétravail
Jens Thoemmes
Des acteurs aux prises avec les réformes
Les DRH face aux réformes du droit du travail
Chloë Biaggi
Les pratiques syndicales saisies par les logiques électorales
Timothy Hébert
Les conseillers du salarié, représentants syndicaux de ceux qui n’en ont pas.
Gwendal Roblin
D’ICI ET D’AILLEURS
Néolibéralisme exacerbé au Brésil: dégradation sociale et dévastation de l’environnement
Andréia Galvão, José Marcos Nayme Novelli
NOTES DE LECTURE
Stephen Ackroyd et Paul Thompson, Organisational Misbehaviour, 2022, 322 p.
par Jan-Christian Karlsson
Matt Vidal, Management Divided. Contradictions of Labor Management, 2022, 350 p.
par Grégor Bouville
Olivia Foli, Les paroles de plainte au travail. Des maux indicibles aux conversations du quotidien, 2023, 265 p.
par Marc Loriol
John Kelly, Rethinking Industrial relations : Mobilisation, Collectivism and Long Waves, 1998, 189 p.
par Stéphen Bouquin