Nous reproduisons ici une interview de Simon Duteil et Murielle Guilbert, nouveaux co-délégué-es généraux (ou porte-paroles) de l’Union syndicale Solidaires, suite au congrès extraordinaire tenu du 13 au 15 octobre 2020. Cette interview est publiée sur le site de l’union.
Murielle Guilbert, Solidaires: « Toutes les composantes d’une colère sociale sont réunies«
A l’origine, nous devions avoir un congrès ordinaire en octobre en Vendée, mais avec le Coronavirus, cela s’avérait impossible. Nous avons donc décidé, pendant le confinement, de le remplacer par un congrès extraordinaire à Saint-Denis. Dans cette période compliquée sur le plan sanitaire avec un contexte de plans de licenciements et de montée du chômage, nous avons collectivement éprouvé le besoin de débattre : comment syndicalement se positionner dans cette période ? Comment s’organiser pour y faire face ? Comment continuer à défendre les salariés ? Comment proposer des mesures permettant une transformation sociale et écologique qui nous paraît plus que jamais d’actualité ?
A la bourse de travail de Saint-Denis, nous étions 140 délégués présents dans un amphithéâtre de 400 places, avec un protocole sanitaire très strict. Cela n’était pas évident mais je crois que les militants avaient besoin de se retrouver, et il y avait par ailleurs une trentaine de groupes qui ont suivi et participé aux débats en visio. Cela nous a fait du bien de refaire du lien. Et c’était aussi l’occasion de mettre en place une nouvelle équipe. Malgré les difficultés liées à la pandémie, il faut poursuivre notre action syndicale, mais aussi respecter ce que nous nous sommes fixés comme durée des mandats et renouvellement.
Je suis inspectrice des finances publiques et j’ai été longtemps simple adhérente syndicale au Syndicat unifié des impôts, devenu depuis Solidaires finances publiques. J’ai vraiment commencé à militer en 2001 quand je suis arrivée à la direction des grandes entreprises qui s’est créée à Pantin et où s’est produit rapidement un mouvement social.
C’est parce que j’ai reçu un soutien de mon syndicat que je me suis engagé à ce moment-là dans le militantisme, et aussi parce que j’ai fait le lien entre mes valeurs d’égalité et de justice et ce que je voyais dans la gestion de l’argent public versé aux entreprises. Dans cette direction, il y avait aussi des situations d’inégalités entre femmes et hommes : après un congé maternité, les femmes étaient défavorisées sur le plan des rémunérations. Cela m’a fait prendre conscience de mon féminisme, et je me suis investie sur ces questions. En 2009, j’ai intégré le bureau national de Solidaires finances publiques et j’ai suivi les liens avec notre union interprofessionnelle. En 2017, j’ai rejoint le bureau national de Solidaires, et j’ai coanimé la commission femmes avec Céline Gondard Lalanne (1).
Avec le collectif « Plus jamais ça » (2), nous avons pointé les multiples problèmes posés par la gestion de cette crise sanitaire : la non gratuité des masques, l’absence de créations de lits supplémentaires à l’hôpital et le manque de recrutement de personnels soignants, les limites posées aux libertés par des mesures comme le couvre-feu, même si nous n’avons pas tous les éléments pour juger du bien-fondé de cette décision, etc.
En revanche, pour le gouvernement, travailler et consommer doit absolument perdurer, c’est l’impression que nous avons, comme si l’usage des transports et le travail en entreprise ne comportait pas de risques. Que doit-on vraiment produire et consommer aujourd’hui compte tenu de la catastrophe climatique que vous vivons ? Ne doit-on pas mettre en avant d’abord l’utilité sociale ? Ces questionnements sont enterrés par le gouvernement, et Emmanuel Macron s’assoit sur les travaux de la convention citoyenne. Pendant ce temps, de grandes entreprises continuent de verser des dividendes et se servent de la crise sanitaire pour légitimer suppressions d’emplois et fermetures de sites.
Ces mécanismes de compensation limitent les dégâts, c’est vrai, mais ils ne touchent pas tout le monde. Le RSA (revenu minimum d’activité) n’est toujours pas étendu aux moins de 25 ans. Le couvre-feu fait disparaître tous les petits boulots accessibles aux jeunes, genre restauration et baby sitting. Il y a une désespérance des jeunes, du fait de l’absence d’horizon pour eux, de la crise climatique, etc. Et si le gouvernement a « balancé » quelques milliards aux entreprises sans exiger de réelles contreparties sociales, il n’a pas vraiment bougé pour modifier sa réforme de l’assurance chômage.
Ce n’est pas évident ! Pendant le confinement, nous avons mis en place un numéro vert pour avoir une continuité dans notre action syndicale. Des salariés que nous ne touchions pas auparavant nous ont appelé ; cela nous a permis de répondre à leurs questions, à leurs besoins. Nous voulons remettre en place ce numéro vert. Mais pour le fonctionnement syndical, c’est compliqué dans cette période, car le confinement a eu un impact psychologique très fort sur les travailleurs même si nous ne le mesurons pas encore très bien.
Il y a beaucoup de peurs, des réflexes individuels accentués, y compris dans les équipes syndicales qui sont directement confrontées aux questions de la sécurité au travail et du télétravail. Mais justement, ces questions doivent être débattues de façon plus large, ce que nous avons fait lors du congrès, mais aussi via le collectif « Plus jamais ça ». D’autre part, même si les manifestations restent autorisées, il n’est pas simple d’avoir une démarche de lutte globale dans cette période. Là où il y a des fermetures de site, on voit bien qu’il y a des rassemblements, des grèves, des manifestations, mais cela reste sectoriel ou local. Nous n’avons pas de vision sur ce que pourrait être une mobilisation plus large dans l’immédiat, d’autant que le mouvement social contre la réforme des retraites, qui a réussi à retarder la réforme, a été stoppé net par le confinement. Mais aujourd’hui, pour nous, toutes les composantes d’une colère sociale sont réunies, avec le risque d’explosion de la précarité, une jeunesse qui se sent sacrifiée, une réforme des retraites qui pourrait ressortir. Des mouvements peuvent émerger plus rapidement que l’on ne pourrait penser. Aux organisations syndicales de voir comment construire un mouvement dans la durée.
Quel regard portez-vous sur le paysage syndical et les enjeux de représentativité ?
Nous avons 110 000 adhérents à Solidaires. Nous sommes représentatifs dans 35 branches (qui représentent environ 500 000 salariés) et nous serions donc impactés par les projets de fusion de branche, au tiroir pour l’instant, s’ils ressortaient. Au niveau national, notre représentativité est de 3,46% et de 6,3% dans la fonction publique (Ndlr : voire notre infographie). Pendant le confinement, nous avons gagné des adhérents dans des secteurs comme l’informatique et le commerce, mais le contexte nous est défavorable. Au moment de la réforme des retraites, on a aussi vu que le précédent gouvernement avait choisi ses interlocuteurs, et pas vraiment dans le sens du pluralisme syndical puisque nous n’avons pas été conviés (3).
Nous poursuivons la formation de nos élus. Ces militants ressentent une très forte tension car la création du CSE a provoqué une réduction de leurs droits et moyens.
Les membres des CSE doivent se démultiplier pour accomplir des tâches et missions très différentes. Pour nous, c’est ce qui était d’ailleurs recherché : minorer le droit syndical et la parole syndicale. Nous sommes inquiets car s’ajoute à cela la répression syndicale qui existe dans de nombreux secteurs. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas dans une période favorable à la démocratie sociale et au droit syndical. Dans cette situation de crise très particulière, les réponses sont plutôt autoritaires (le retour de l’état d’urgence sanitaire et le couvre-feu), il faut aller toujours plus vite, et sans tenir compte des contre-pouvoirs que nous représentons, à la fois dans la société et dans les entreprises.
C’est une horreur de voir ce qu’a subi Samuel Paty pour le simple fait d’avoir exercé son métier. Nous combattons l’ensemble des fascismes, qu’ils soient nationaux ou religieux. Évitons pour autant de faire des amalgames, faisons la différence entre l’islamisme terroriste et les musulmans. Il est important d’éviter les récupérations politiques et de poursuivre les débats, c’est ce que nous allons faire au sein de Solidaires autour de la laïcité.
(1) L’autre co-délégué de Solidaires, Simon Duteil, âgé de 41 ans, est professeur de collège en Seine-Saint-Denis.
(2) « Plus jamais ça » est un collectif créé à la sortie du confinement rassemblant des organisations syndicales (Solidaires, CGT, FSU, Unef, Confédération paysanne, etc.) et des associations (Greenpeace, Oxfam, Attac, etc.). Ce collectif a proposé un plan de sortie de crise comprenant 34 mesures afin notamment de « garantir à toutes et tous les mesures de protection et de prévention » et de « garantir la satisfaction des besoins essentiels ».
(3) Bien que non représentative au plan national interprofessionnel, l’Unsa a été associée par le gouvernement d’Edouard Philippe aux discussions sur la réforme des retraites, le syndicat demandant « un nouvel étage dans l’édificie de la représentativité, étage constitué par l’addition des voix acquises dans le secteur public et privé par chaque organisation » (lire notre article). Cela n’a pas été le choix du nouveau gouvernement de Jean Castex lors des concertations au sujet de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales.