L’énorme manifestation du 14 juin 2016, montrant la puissance de la classe ouvrière mobilisée, a été émaillée d’incidents violents mis en relation médiatiquement avec le crime terroriste odieux commis la veille contre deux fonctionnaires de police. Le pouvoir politique en profite pour menacer le droit de manifester et les libertés démocratiques. Nous publions ci-dessous les réactions syndicales : la CGT mise en cause directement, l’ intersyndicale réunie le 15 juin, un article de Médiapart, un communiqué conjoint de la CGT et la fédération CGT santé sur les incidents devant l’hôpital Necker.
Le Premier Ministre vient d’accuser la CGT d’être responsable des violences intervenues en marge de la manifestation nationale du 14 juin, à Paris, contre le projet de loi travail.
La CGT tient à rappeler au Premier Ministre que cette mobilisation, comme les précédentes, n’a pas été organisée par la CGT mais par 7 organisations syndicales de salariés et de jeunesse qui, depuis 4 mois, dans l’unité, demandent le retrait de ce texte régressif.
Quelle est la réalité des faits ? C’est en marge du cortège de cette manifestation, déposée par les organisations et validée par la Préfecture de police de Paris, que des bandes de casseurs se sont à nouveau livrées à des exactions que la CGT a d’ailleurs condamnées officiellement, une fois de plus, dans son communiqué national.
Le Premier Ministre ne peut ignorer qu’il incombe aux pouvoirs publics, dont il a la première responsabilité, d’assurer la sécurité et le maintien de l’ordre.
La CGT souligne le sang-froid et la maitrise des militants de son service d’ordre qui, sans faillir, ont pris les dispositions nécessaires afin de garantir la sécurité des participants à cette manifestation massive.
En conscience et prenant en compte les informations données par les services de la Préfecture, les organisations syndicales ont fait le choix de ne pas aller jusqu’au bout du parcours prévu, malgré la frustration légitime des participants, pour ne pas les exposer davantage à la violence et aux incidents générés par des éléments extérieurs. Face à cette contrainte, une fois encore, l’ensemble des services d’ordre des organisations a su créer et mettre en œuvre les conditions pour que les participants, venus de toute la France, puissent rejoindre leurs moyens de transport.
La CGT tient à rappeler au Premier Ministre que, comme il n’est pas de la responsabilité des supporters d’assurer la sécurité dans et autour des stades de l’euro de football, de la même façon il n’est pas de la responsabilité des manifestants d’assurer la sécurité dans et autour d’une manifestation autorisée par la Préfecture de police.
Menacer d’interdire les manifestations est le signe d’un gouvernement aux abois.
Plutôt que de faire l’inventaire tendancieux d’éléments à charge contre la CGT, Manuel Valls ferait bien mieux d’entendre la majorité des salariés, des jeunes et plus largement des citoyens qui rejettent ce projet de dumping social et de destruction de notre modèle de société.
Montreuil, le 15 juin 2016
- Le gouvernement pratique le dialogue de sourd !
Communiqué commun CGT – FO – FSU – Solidaires – UNEF – FIDL – UNL
jeudi 16 juin 2016
Massive, dynamique, combattive, revendicative, la manifestation nationale unitaire d’hier à Paris et en province est une grande réussite. Elle illustre la détermination sans faille des salarié-e-s, des privé-e-s d’emploi, des jeunes et des retraité-e-s à gagner le retrait du projet de loi Travail et à obtenir de nouveaux droits.
Les organisations dénoncent une nouvelle fois les violences qui ont émaillé les abords de la manifestation. Leur service d’ordre a joué son rôle en assurant le bon déroulement du cortège syndical.
Les organisations demandent au gouvernement de garantir les bonnes conditions d’exercice du droit de manifester. Il est de sa responsabilité d’assurer la sécurité et le maintien de l’ordre.
Le Premier ministre assimile les manifestants à ceux qu’il qualifie de casseurs et rejette sa propre responsabilité sur les organisations syndicales en leur imputant le climat social qui se détériore.
Il veut interdire les manifestations ! Comme si en muselant la contestation, il réglait le problème !
C’est inadmissible !
Le gouvernement refuse d’entendre ! Il cherche à détourner l’opinion publique du cœur du sujet posé par le projet de loi. Les organisations quant à elles restent centrées sur : l’inversion de la hiérarchie des normes, les accords de développement et de maintien de l’emploi, les conditions de licenciement, le référendum d’entreprise, la médecine du travail. Autant d’éléments dans le projet de loi qui en l’état sont défavorables aux salariés.
Comment peut-il continuer de mépriser ainsi l’expression de millions de salarié-e-s, de privé-e-s d’emplois, de jeunes et de retraité-e-s ?
Comment peut-il refuser le dialogue que demandent les organisations depuis des mois ?
Le Président de la République reste silencieux après le courrier des organisations syndicales du 20 mai. Restera-t-il de marbre devant les milliers de votations que lui remettront les organisations le 28 juin prochain ?
D’ores et déjà des dizaines de milliers de votation pour le retrait du projet de loi sont recueillies. Les organisations appellent les salarié-e-s, les privé-e-s d’emploi, les jeunes, et les retraité-e-s à voter massivement.
Depuis trois mois se multiplient les pétitions, manifestations, grèves, occupations de lieu de travail… le rejet du projet de loi est bien réel et il demeure profondément ancré y compris dans l’opinion publique.
Les organisations appellent à poursuivre les actions revendicatives sous les formes décidées localement et à participer massivement aux journées de mobilisation nationales les 23 et 28 Juin prochains :
• Le 23 juin, pendant l’examen au Sénat (grèves, interpellations des parlementaires, rassemblements, manifestations, conférences de presse …) ;
• le 28 juin prochain, date prévue du vote du Sénat, pour remettre la votation citoyenne auprès des préfectures et à la Présidence de la République pour la région parisienne et en organisant des grèves et des manifestations.
Elles se retrouveront le 24 juin prochain.
Les Lilas, le 15 juin 2016
- Communiqué commun de la CGT et de la fédération CGT Santé – Action sociale
- La CGT condamne sans réserve les violences commises le 14 juin 2016 à l’AP-HP
mercredi 15 juin 2016
La CGT apporte tout son soutien à l’ensemble des personnels de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris face aux dégradations commises sur certains de leurs établissements et particulièrement l’Hôpital Necker en marge de la manifestation parisienne.
Nous ne tolérons aucune de ces violences perpétrées par quelques individus en dehors des manifestations, comme celles qui gratuitement endommagent des établissements de soins au service des populations.
Ces actes aveugles n’ont d’autre objectif que de tenter de discréditer le mouvement qui légitimement s’oppose à la loi Travail.
Ces casseurs ont détruit des biens publics, ce qui a provoqué des ripostes de la part des forces de l’ordre, vis-à-vis des manifestants pacifiques.
Dans le cortège, des militants de la Fédération ont été blessés alors qu’ils soignaient une personne à terre. Des casseurs brisent les vitres d’un hôpital et des CRS chargent, gazent des soignants pendant qu’ils portent secours aux victimes… Voilà le vécu et la description de certains témoignages.
Ce cortège gigantesque était composé de centaines de milliers de personnes, soit 1,3 million dans toute la France, venues simplement manifester pacifiquement pour le rejet de la loi Travail.
Il est regrettable que certains médias ne retiennent que les actes de violence, certes condamnables, et relèguent au deuxième plan les revendications légitimes contre le projet de cette loi.
La CGT condamne sans réserve tous les actes de violence, d’agression et de vandalisme. Une nouvelle fois, nous réaffirmons qu’il est de la responsabilité de la puissance publique d’assurer la sécurité des biens et des personnes et le maintien de l’ordre.
Montreuil le 15 juin 2016
- L’article de Médiapart sur l’hôpital Necker :
Loi travail: ce blessé grave qu’ont oublié Valls et Cazeneuve
PAR CHRISTOPHE GUEUGNEAU, DAN ISRAEL ET MATHILDE GOANEC
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 16 JUIN 2016
Le manifestant grièvement blessé mardi 14 juin à Paris
Les responsables politiques, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve en tête, ont choisi de dire leur indignation devant les dégradations mineures subies par les façades de l’hôpital pour enfants Necker, lors de la dernière manifestation parisienne contre la loi sur le travail. Mais le silence est total sur un manifestant gravement blessé, sans doute par le tir d’une grenade lacrymogène.
Les bris de vitrines de l’hôpital pour enfants Necker à Paris, et plus généralement les dégradations massives d’un petit millier de manifestants sur les centaines de milliers qui ont défilé mardi à Paris, ont masqué l’essentiel : l’ampleur de la manifestation. Elles ont aussi rendu invisibles les violences policières alors que, selon nos informations, un manifestant a été sérieusement blessé après avoir été touché par un tir de grenade lacrymogène, selon plusieurs témoignages recueillis par Mediapart.
Dans son communiqué diffusé mardi soir, la préfecture de police de Paris indique que « 24 policiers ont été blessés ainsi que 17 manifestants tous en urgence relative. Un des manifestants est en cours d’opération mais son état n’inspire pas d’inquiétude majeure ». Mais selon nos propres sources, au moins 150 manifestants ont été blessés mardi, dont une quinzaine qui ont nécessité une évacuation d’urgence du cortège.
Lors d’une conférence de presse mercredi en fin de journée, le préfet Michel Cadot a cependant indiqué que 11 manifestants avaient été blessés, dont 8 admis dans des hôpitaux, soit déjà 6 de moins que la veille au soir. Sans doute conscient de ces problèmes de décompte qui se répètent à chaque manifestation, le préfet a souligné que d’autres chiffres pouvaient circuler, ses services ne prenant en compte que les informations qui remontent des pompiers ou du Samu.
Revenant sur le manifestant blessé grièvement vers 15 heures au croisement des boulevards Raspail et du Montparnasse, le préfet a indiqué qu’il n’y avait pas de « conséquences lourdes » pour cette personne. Selon nos informations, l’homme souffre d’une fracture d’une vertèbre et a nécessité une greffe de peau et une greffe de chair. Mercredi en fin d’après-midi, on ignorait s’il était toujours sous sédation.
En revanche, selon de nombreux témoignages que nous avons pu recueillir, les circonstances exactes qui ont provoqué cette blessure se sont précisées. Ainsi ce témoignage de S. – qui a souhaité rester anonyme – et qui se trouvait à proximité de l’homme au moment des faits. « Je n’ai pas vu ce qu’il a pris exactement dans le dos mais dès qu’il est tombé, j’ai vu des gens crier “À l’aide” et “Medics” [pour appeler les équipes de street medics ] », explique S. dans un message qu’il nous a envoyé.
Thibaud Le Floch, journaliste qui couvrait la manifestation pour LCP, la chaîne parlementaire, témoigne : « J’étais peut-être à trois mètres de lui, un homme massif habillé tout en noir. J’ai vu un objet tomber du ciel et se coincer dans son dos, entre sa tête et son sac à dos. Immédiatement, il a explosé et un gros nuage de fumée s’est dégagé. L’homme s’est tout de suite effondré, face contre terre, sans faire un geste des bras pour se retenir. »« L’objet qui a explosé est une bonbonne grise, qui est arrivée par au-dessus », explique encore le journaliste. Le journaliste a filmé
les instants qui ont immédiatement suivi l’explosion, et a bien voulu confier ces images à Mediapart (voir ci-dessous).
Jointe par téléphone, C. – qui elle aussi n’a pas voulu que son nom apparaisse – est plus précise. « Il y avait des affrontements qui venaient tout juste d’avoir lieu. On voulait rejoindre le groupe de manifestants qui se trouvaient à l’avant pour ne pas voir la manifestation séparée en deux, donc on était en train de courir. Je me suis retournée quand j’ai entendu un bruit. Le mec qui était juste derrière moi s’est effondré avec un bruit épouvantable, un “pschiiiiit”. Il avait un truc fiché dans le dos, entre la colonne et l’omoplate, qui faisait énormément de fumée. Quelqu’un lui a enlevé et il
y avait un trou béant dans son dos, son t-shirt avait brûlé. » Sur la nature de l’objet incendiaire qui a provoqué la blessure, le préfet Cadot a déclaré lors de sa conférence de presse qu’il ne pouvait pas « qualifier » le projectile qui a « touché la colonne vertébrale sans atteindre la moelle épinière ». Mais selon quasiment tous les témoins que nous avons interrogés, il ne fait pas de doute qu’il s’agit bien d’une grenade lacrymogène, envoyée donc par les forces de l’ordre qui se trouvaient non loin de là. Un des street medics qui a pris en charge le blessé en est certain, une ogive grise ayant
été trouvée sur place. Notre témoin C. aussi, de même qu’un photographe qui se trouvait sur les lieux et qui a témoigné dès mardi soir sur le site de L’Obs.
Le préfet Cadot a indiqué qu’une enquête de l’IGPN avait été ouverte mais qu’« apparemment il n’y avait pas la moindre présence des forces de l’ordre à proximité ». Ce n’est pas ce que montrent les images filmées par les journalistes sur place ni les témoignages recueillis. Dans la vidéo du journaliste indépendant Nnoman ci-dessous (son fil Twitter ici, son facebook là), on voit clairement que les policiers arrivent immédiatement sur place. On voit par ailleurs dans cette vidéo que les personnes qui entourent l’homme à terre sont chassées à coups de matraque.
Un autre manifestant est d’ailleurs blessé au crâne et s’effondre.
Cette vidéo a visiblement échappé à la préfecture de police de Paris. Lors de sa conférence de presse, Michel Cadot a ainsi estimé que « les forces de l’ordre ont fait un travail remarquable ». Lors de la manifestation d’hier, 1 500 grenades lacrymogènes ont été utilisées, ainsi que 175 grenades de désencerclement. Un tir de LBD (successeur du Flash-Ball) est annoncé. Il y a eu 58 interpellations et 41 personnes placées en garde à vue, toujours selon le préfet, dont cinq Allemands et un Italien.
À Necker, des vitres brisées
Il est probable que la plupart d’entre eux ont pris part au plus violent des affrontements de cette manifestation. Il a eu lieu à partir de 15 h 30, au niveau de l’hôpital Necker, à la frontière entre les VIIe et XVe arrondissements, au niveau de l’intersection du boulevard du Montparnasse et de la rue de Sèvres (voir ici le plan de l’hôpital). À cet endroit, la police a stoppé l’avancée du cortège pendant une bonne heure, et a subi au moins pendant vingt minutes des jets de projectile de toutes sortes, et a répliqué massivement à coups de gaz lacrymogènes, avant de disperser les plus violents à coup de canons à eau (cette vidéo donne une bonne idée de l’ambiance générale à ce moment).
Philippe Bonnet, secrétaire général-adjoint du syndicat CGT de l’AP-HP à l’hôpital Necker, était présent à la manifestation avec ses collègues, dont certains étaient devant leur hôpital au moment des affrontements. Il condamne les violences, et raconte : « L’épisode a été très violent, et pas si bref que cela. En remontant le parcours, les casseurs, qui étaient plusieurs centaines, avaient déjà brisé de très nombreuses vitrines, et bombardé la façade de la maison de Solenn, une maison médicalisée pour adolescents, qui dépend de l’hôpital Cochin. Devant Necker, les policiers étaient d’un côté, et les casseurs de l’autre. Ces derniers ont arraché, parfois avec des burins, de grandes parties de bitume juste à côté de la station de métro, et ils avaient aussi quelques pavés en main. Ils ont bombardé pendant de longues minutes les CRS devant la façade de la rue de Sèvres.
projectiles ont endommagé la façade en hauteur, du côté de la rue de Sèvres, mais aussi au moins un bus qui était stationné là, et dont les vitres ont été brisées. »
Durant ces échauffourées, les baies vitrées de l’hôpital, côté boulevard du Montparnasse, ont aussi été endommagées, à hauteur d’homme. Pierre Trouvé, journaliste du Monde.fr, a filmé la fin de cette séquence de dégradation, et l’a diffusée en direct sur Periscope. Le Monde a publié l’extrait en question sur son site. On y voit un homme en noir, cagoulé et seul, porter méthodiquement des coups de masse sur les vitres à sa portée, sur la longueur de la façade. Un autre homme, en blanc, donne deux coups de pied à l’une des vitres. Un dernier homme tente de les arrêter, en criant : « Hé, c’est un hôpital de gosses ! » Voilà pour les violences qui ont touché l’hôpital.
Ce mercredi, de larges bandes adhésives orange et une planche en bois protégeaient les façades vitrées, où l’on pouvait voir par ailleurs trois impacts de projectiles en hauteur. En tout, quinze vitres ont été endommagées, à des degrés divers. Personne n’est entré dans l’hôpital, et très peu de manifestants l’ont visé explicitement. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de marteler son indignation sur ces événements. Peu importe leur impact réel.
Invité sur France Inter mercredi matin, le premier ministre Manuel Valls n’a pas hésité à décrire un hôpital « dévasté ». La ministre de la santé Marisol Touraine a quant à elle condamné dans un
communiqué les « dégradations révoltantes de la part de casseurs ». Tous deux se sont rendus sur les lieux dans la matinée. Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP, a pour sa part dénoncé les « casseurs », qui « ont délibérément visé l’hôpital, en lançant des pavés, sur la façade du bâtiment Laennec, alors même que la signalétique montrait sans ambigüité qu’il s’agit d’un établissement de soins ». « Juste derrière les vitres visées, il y a des blocs opératoires. Pendant ces attaques, il y avait des enfants qui étaient opérés et des équipes soignantes au travail, sous les bruits et les menaces des projectiles.
Les soins ont été perturbés », s’est-il indigné. Il est exact que, selon les témoignages recueillis, nombre de personnels et de patients de l’hôpital ont été choqués par le passage de la manifestation et les affrontements. Mais difficile de dire s’ils l’ont été en particulier par les quelques projectiles envoyés sur les façades. Par ailleurs, des blocs opératoires sont bien situés du côté de la rue de Sèvres, où Mediapart a relevé deux impacts. Mais les vitres endommagées ne donnent pas sur ces salles d’opérations, séparées d’elles par un espace vide et inaccessible, et par une façade de type
tôle ondulée.
Devant les réactions outrées de l’exécutif, Philippe Bonnet de la CGT Necker s’inquiète : « On essaie de discréditer totalement la CGT. Or, ce n’est pas parce que le syndicat organise la manifestation qu’il peut gérer des casseurs comme ceux-là. La France organise bien l’euro, et il y a des débordements de hooligans à Marseille et ailleurs, mais les organisateurs expliquent que ce n’est pas leur faute. Ce n’est pas plus celle de notre syndicat. » Il en convient néanmoins, « s’attaquer à un hôpital pédiatrique, c’est le summum. Pour retourner l’opinion publique il n’y a pas mieux. »
Hollande évoque l’interdiction des manifestations
Une bonne partie de la classe politique n’a en effet pas raté l’occasion, reliant immédiatement les débordements, la grosse casse et les slogans antipolice au double meurtre de policiers revendiqué
par l’État islamique intervenu lundi 13 juin. « Je n’accepterai plus que dans des manifestations comme celle qui s’est déroulée aujourd’hui, il y ait des sauvageons qui puissent tenir ce type de propos, avec 27 policiers blessés, les vitres de l’hôpital Necker brisées, alors que l’enfant du couple tué s’y trouve, a prévenu Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, sur France 2 mardi soir. Tout cela est inacceptable. »
Interrogé sur ces débordements sur France Inter, Manuel Valls a par ailleurs clairement ciblé la CGT, dénonçant une « attitude ambiguë du service d’ordre du syndicat vis-à-vis des casseurs qui ont sévi tout au long du cortège ». Le premier ministre est même allé plus loin. « Ces manifestations ne peuvent plus durer ainsi, j’en appelle à la responsabilité d’un syndicat, la CGT, qui, hier, à l’évidence, a été débordé. Beaucoup plus d’ultras et de casseurs, que d’habitude, 700 à 800, plus difficiles à encadrer (…) Je demande à la CGT de ne plus organiser ce type de manifestation sur Paris. Et au cas par cas nous prendrons, nous, nos responsabilités. »
Michel Cadot, préfet de Paris, a détaillé en conférence de presse dans l’après-midi la pensée du premier ministre, évaluant le rassemblement en amont du cortège syndical à 3 000 manifestants, « pas forcément violents », dont « une quarantaine de drapeaux CGT ». « Il n’y a pas de profil type des personnes interpellées, poursuit le préfet. Ils font partie pour certains d’entre eux de mouvements radicaux. De tous âges. » Il note néanmoins qu’« une petite partie des manifestants de la CGT a participé à des violences », notamment des militants « du Havre », après appel à
la dispersion par les organisateurs de la manifestation.
Philippe Martinez, contacté par Mediapart, a immédiatement réagi à ces critiques : « Quand on est en difficulté sur un texte, on cherche à faire diversion. Mais c’est gravissime. Nous condamnons ce qui s’est passé à Necker, c’est évidemment scandaleux mais la CGT n’a rien à voir avec ça. Or elle est constamment pointée du doigt. Il y a un mois, on nous a accusés d’avoir sorti les gros bras pour faire le ménage chez les casseurs, donc faudrait savoir ce qu’on attend de nous. »
François Hollande, un peu plus tard dans la journée de mercredi, a lui aussi alimenté la polémique, par l’entremise de Stéphane Le Foll, au sortir du conseil des ministres. « À un moment où la France accueille l’Euro, où elle fait face au terrorisme, il ne pourra plus y avoir d’autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garanties. » Pour Jean- Claude Mailly, c’est le coup de trop : « Ça suffit», a tonné le leader de Force ouvrière, mercredi midi sur France Info : « Les casseurs, ça pénalise aussi les manifestants. Je considère que sur l’antenne de France Inter ce matin, le premier ministre a été un pyromane », a ajouté Jan-Claude Mailly. « Les violences devant, c’est au ministère et à la préfecture de les gérer, complète Philippe Martinez. Nous, on a pris la décision d’arrêter la manifestation avant les Invalides parce qu’il y avait des problèmes, on a pris nos responsabilités. » Pour
la CGT, la menace de l’interdiction est « scandaleuse » : « La préfecture et le ministère savaient que des groupuscules venus d’un peu partout en France allaient monter, pourquoi ils n’ont rien fait ? Et ça fait trois mois qu’ils savent qu’il y a des problèmes dans les manifestations, et ils n’agissent pas en conséquence. À titre de comparaison, on a arrêté les hooligans après les heurts à Marseille en moins de 48 heures. »
Michel Cadot, à la tête de la préfecture de police de Paris, n’a pas souhaité dire s’il serait « favorable à une interdiction ou non », mais il aimerait que ceux qui envisagent de manifester trouvent une autre manière de s’exprimer. En tête du cortège, les syndicalistes « n’ont pas souhaité prendre leurs distances, au contraire ils se rapprochaient » au moment des interpellations, selon le préfet. La préfecture de police de Paris peut, selon le droit, interdire une manifestation, sur le principe qu’il y a trop d’éléments perturbateurs et pas assez de forces de l’ordre pour les gérer. Une telle décision est néanmoins rarissime, surtout pour des mouvements sociaux, le conseil d’État contestant régulièrement la légalité du procédé. La prolongation de l’état d’urgence a cependant permis d’élargir considérablement le cadre d’une telle interdiction. Ainsi, lors de la COP21 en novembre 2015, les rassemblements de militants en marge ont été interdits, en raison du double impératif de la menace terroriste et de la sécurisation du forum de Paris et de son aréopage de chefs d’État. Ce printemps, l’Euro 2016 a remplacé la COP. « Dans cette légitime question de la balance sur les moyens, où est la démocratie ?, s’insurge Florian Borg, du syndicat des avocats de France, qui maintient que le cortège syndical du 14 juin était « bon enfant », « protégé par le SO ». « Bien sûr que la présence de ces personnes en amont du cortège complique la tâche et il n’est pas question d’excuser ces actes, poursuit l’avocat, mais ça ne peut exonérer les pouvoirs publics dans leur manière de gérer l’ordre public. La responsabilité est multiple, mais dire que les casseurs, c’est la faute des organisateurs est un raccourci trop facile pour interdire la contestation sociale. »
Les deux prochaines journées de mobilisation sont prévues pour les 23 et 28 juin, à l’issue de l’examen du texte au Sénat. La CGT rencontre par ailleurs Myriam El Khomri vendredi prochain. La ministre a laissé entendre ces derniers jours, à demi-mots, que des aménagements étaient encore possibles sur sa loi. Un processus de négociation sabré par le premier ministre, toujours sur France Inter, mercredi matin : « Chacun doit savoir que le gouvernement ne changera pas un texte qui est déjà le résultat d’un compromis avec les syndicats réformistes, il y a plusieurs mois », a répété Manuel Valls. « Vous voyez dans quelles conditions se prépare notre rencontre de vendredi ?, souligne Philippe Martinez. On aurait voulu que ça se passe mal qu’on ne s’y serait pas pris autrement. »
Boite noire
Trois journalistes de Mediapart étaient présents dans la manifestation mardi 14 juin. Christophe Gueugneau dans le cortège devant le défilé syndical, et Mathilde Goanec au sein de ce même défilé. Rachida El Azzouzi était présente dans l’entre-deux, et notamment lors des affrontements à proximité de l’hôpital Necker, boulevard du Montparnasse.