Nous reproduisons l’appel paru dans Médiapart le 6 septembre.
Les ordonnances ne sont pas neutres. Elles vont accroître les inégalités professionnelles, car «les salariés les plus touchés sont ceux en CDD ou travaillant dans des petites entreprises. Deux catégories où les femmes sont surreprésentées», alertent plus de 60 personnalités et organisations féministes.
Emmanuel Macron l’a promis. Les femmes seront la grande cause nationale du quinquennat. Il est élu depuis à peine 150 jours et il a déjà réussi à se faire mentir 3 fois. Une première fois avec la nomination du gouvernement et l’absence de ministère dédié. Une deuxième fois cet été, avec la baisse de 27% du budget du Secrétariat d’État à l’Égalité. Une troisième fois avec la Loi Travail n°2.
Comme souvent, des textes apparemment « neutres » ont en réalité des conséquences nettes sur les inégalités. Réforme des retraites, de l’assurance maladie ou du code du travail : toutes ces réformes qui visaient l’ensemble des salarié.e.s ont eu un impact différent sur les femmes et les hommes. Etonnant ? Pas tant que ça. Lorsque vous proposez une réforme dans un pays comme la France, où les inégalités professionnelles sont fortes (26% d’écart de salaire), la réforme est rarement neutre ou sans effet. Soit elle aggrave la situation et augmente les inégalités, soit elle s’attaque aux inégalités et les fait reculer.
Les ordonnances rentrent dans la première catégorie. Les salarié.e.s les plus touché.e.s par la réforme sont ceux en CDD ou travaillant dans des petites entreprises. Deux catégories où les femmes sont surreprésentées. Plusieurs mesures vont donc peser particulièrement sur les femmes et accroître les inégalités professionnelles.
L’inversion de la hiérarchie des normes renvoie à l’entreprise la définition de nombreux droits, et notamment les droits familiaux. Les congés enfants malades pris en immense majorité par les femmes, l’allongement du congé maternité et le maintien de la rémunération à 100%, l’allègement du temps de travail des femmes enceintes… tous ces droits, prévus jusqu’alors dans les conventions collectives de branche, pourront être demain remis en cause par accord d’entreprise. C’est le cas également des primes d’ancienneté, de départ en retraite ou de licenciement.
Le gouvernement affaiblit les outils de l’égalité professionnelle en entreprise. La loi prévoit aujourd’hui une négociation annuelle « égalité professionnelle qualité de vie au travail » et oblige l’entreprise à fournir des données aux salarié.e.s sur les inégalités professionnelles femmes – hommes. Ces données sont celles de l’ancien Rapport de Situation Comparée, issu de la première loi sur l’égalité professionnelle de 1983 (loi Roudy). Ces données sont désormais intégrées dans la base de données économiques et sociales. Les entreprises qui n’ouvrent pas cette négociation et ne fournissent pas ces données peuvent être sanctionnées. Les ordonnances permettront, par accord d’entreprise, de changer le contenu de la négociation, de choisir les données sur l’égalité à transmettre (ou non), et de passer d’une négociation annuelle à une négociation quadriennale…Voire de ne pas négocier du tout.
Il sera désormais possible d’imposer, par accord d’entreprise, des clauses de mobilité sans que la loi ne fixe de limite géographique ni d’obligation de prendre en compte la situation familiale des salarié.e.s. Idem pour des modifications d’horaires et de temps de travail ou encore des baisses de salaires. Les femmes, plus souvent à temps partiels, plus souvent précaires, à la tête de familles monoparentales et prenant en charge une immense partie des tâches parentales seront particulièrement pénalisées par ces mesures. Le premier argument invoqué par les femmes qui se retirent du marché du travail est l’impossibilité de remplir leurs responsabilités familiales du fait des horaires atypiques qui leur sont imposés. Les ordonnances ne risquent pas de les aider.
La disparition du CHSCT (le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) prévue par les ordonnances va avoir un impact sur la prévention des violences sexuelles au travail. 20% des femmes déclarent avoir déjà subi du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. 5 ans après l’amélioration de la loi sur le harcèlement sexuel, le gouvernement décide de faire disparaitre l’instance dédiée à la santé et la sécurité au travail.
Exit enfin le droit d’expertise dédié à l’égalité femmes – hommes, gagné en 2015, qui aidait élu.e.s et syndicats à identifier et comprendre les sources des inégalités. Auparavant à charge de l’employeur, ce droit d’expertise devra désormais être co-financé par le comité d’entreprise. Du fait de son budget limité, celui-ci devra faire des choix. Et souvent, dans ce cas, l’égalité passe au second plan.
Les ordonnances ne sont pas neutres. Elles vont accroître les inégalités professionnelles.
Emmanuel Macron, Marlène Schiappa, votre grande cause nationale commence mal. Changez de cap, ne bradez pas les droits des femmes aux exigences du MEDEF, retirez ces ordonnances.
Les féministes l’exigeront dans la rue avec toutes et tous !
Signatures:
Irène ANSARI, coordinatrice Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie ;
Ana AZARIA, présidente de Femmes Égalité ;
Delphine BEAUVOIS, France Insoumise ;
Sophie BINET et Céline VERZELETTI, dirigeantes de la CGT en charge de l’égalité Femmes/Hommes ;
Emmanuelle BOUSSARD VERRECHIA, avocate ;
Laurence COHEN, sénatrice, PCF ;
Gérard CORNILLEAU, chercheur, OFCE ;
Pierre CONCIALDI, chercheur, IRES ;
Michèle CRES, Emission Femmes Libres ;
Monique DENTAL, Réseau Féministe Ruptures ;
Caroline DE HAAS, militante féministe ;
Adèle DORADA, Alternative Libertaire ;
Micheline DUPONT, collectif pour les droits des femmes 41 ;
Pénéloppe DUGGAN, NPA ;
Corine FAUGERON, Europe Écologie les Verts ;
Jocelyne FILDARD, Coordination Lesbienne en France ;
Forum Femmes Méditerranée ;
Sigrid GERARDIN, cosecrétaire générale du SNUEP-FSU ;
Cécile GONDARD LALANNE, co déléguée générale de l’Union Syndicale Solidaires Bernadette GROISON, secrétaire générale de la FSU ;
Mathilde GUERGOAT-LARIVIERE, chercheuse, CNAM, CEET ;
Marie-Caroline GUÉRIN, secteur femmes de la FSU ;
Gwenn HERBIN, coordinatrice nationale du Mouvement de la Jeunesse Communiste de France ;
Hélène HERNANDEZ, Emission Femmes Libres ;
Images et Paroles ;
Clara JABOULAY, Présidente de l’Union Nationale Lycéenne ;
Camille LAINÉ, Secrétaire Générale du Mouvement de la Jeunesse Communiste de France ;
Jacqueline LAUFER, chercheuse, HEC-Paris ;
Lilâ LE BAS, présidente de l’UNEF ;
Laurence LE LOUËT, co Secrétaire Nationale du SNPES-PJJ-FSU ;
Séverine LEMIERE, chercheuse, université Paris Descartes ;
Daniéla LEVY, Collectif 13 Droits Des Femmes ;
Myriam MARTIN, co porte-parole Ensemble ! ;
Marie-Thérèse MARTINELLI, Marche Mondiale des Femmes ;
Antoine MATH, chercheur, IRES ;
Dominique MEDA, chercheuse ;
Françoise MILEWSKI, chercheuse, OFCE ;
Mathilde MONDON, porte parole des Effronté-e-s ;
Françoise MORVAN, Coordination pour le Lobby Européen des Femmes ;
Solmaz OZDEMIR, SKB Union des femmes Socialistes, Turquie ;
Martine PERNOD, chercheuse, Université Lille 1 ;
Emanuelle PIET, présidente du Collectif Féministe contre le Viol ;
Sophie POCHIC, chercheuse, CNRS,Centre Maurice Halbwachs ;
Christine POUPIN, Porte-parole nationale, Nouveau Parti Anticapitaliste ;
Raphaelle REMY LELEU, porte-parole d’Osez Le Féminisme ;
Suzy ROJTMAN, porte-parole du Collectif National pour les Droits des Femmes ;
Cécile ROPITEAUX, secteur femmes de la FSU ;
Roseline ROLLIER, Maison des Femmes de Montreuil ;
Sabine SALMON, présidente de Femmes Solidaires ;
Muriel SALMONA, Mémoire Traumatique et Victimologie ;
Véronique SEHIER et Caroline REBHI, co présidentes du Planning Familial ;
Rejane SENAC, chercheuse, CNRS, Sciences Po ;
Rachel SILVERA, chercheuse, Université Paris-Nanterre ;
Mireille STIVALA, Secrétaire Générale de la Fédération CGT Santé et Action Sociale ;
Nora TENENBAUM, présidente de la Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et la Contraception ;
Aurélie TROUVE, porte parole d’Attac France ;
Monique VÉZINET, Commission féminisme, Union des Familles Laïques UFAL ;
Françoise VOUILLOT, chercheuse, CNAM ;
Layla YAKOUB, Secrétaire Nationale du Parti de Gauche responsable du Féminisme.
Sophie Binet, une des initiatrices de l’appel