La NVO, bimédia CGT, republie une interview de Louis Viannet datant de 2016 (pour le mensuel CGT Ensemble!), où il explique ses liens avec Georges Séguy, son opinion sur le 40ème congrès CGT et sur le « syndicalisme rassemblé« . Instructif.
Entretien avec Louis Viannet
Tu as milité longtemps au côté de Georges Séguy. Quel genre d’homme était-il ? Qu’est-ce qui t’a le plus marqué chez lui ?
Louis Viannet Outre les contacts militants étroits que j’avais avec Georges, le hasard a voulu que nous ayons l’un et l’autre une maison secondaire dans le Loiret. On s’est donc beaucoup fréquentés, nous allions à la pêche et à la chasse ensemble.
Cela nous laissait le temps de discuter. Quand tu parlais avec lui, Georges savait te faire oublier qu’il avait autant de responsabilités. Il était simple, naturel et se mettait à ta portée. C’était un homme très fraternel, jovial, bon vivant. Nos rapports étaient emprunts de sympathie et d’amitié.
Georges Séguy a eu la lourde responsabilité de diriger l’organisation au moment des événements de mai 1968 et des fameuses négociations de grenelle. Il y eut à l’époque une polémique sur le mot d’ordre de grève générale, qui resurgit périodiquement dans la CGT. Qu’en penses-tu ?
Louis Viannet Je voudrais d’abord préciser que les événements de 1968 ne sont pas survenus spontanément. Si le mouvement a été aussi puissant, c’est qu’il a été l’émanation des efforts de mobilisation développés deux ou trois années en arrière. Le Pacte d’unité d’action signé entre la CGT et la CFDT a notamment beaucoup compté en initiant des grèves nationales.
Là aussi Georges a joué un grand rôle, avant même celui qui a été le sien au moment des événements de 68. Concernant la grève générale, l’histoire montre qu’elle ne se décrète pas. Elle se produit quand les conditions sont réalisées pour cela. Non par une décision quelconque des appareils syndicaux, mais par le niveau de mobilisation des salariés.
Ce ne sont pas les syndicats qui décident, il ne faut pas l’oublier sinon on se retrouve dans une situation où l’on crie très fort l’appel à la grève générale et quand on se retourne on s’aperçoit qu’il n’y a personne.
On a beaucoup parlé de « l’esprit » du 40e congrès de Grenoble en 1978. Qu’est-ce qui était en jeu ?
Louis Viannet Georges a été élu secrétaire général de la CGT à l’âge de 40 ans et a exercé son mandat pendant quinze ans. Il a donc profondément marqué de son empreinte les débats qui ont traversé la CGT, notamment sur deux grandes questions. Le fonctionnement démocra-tique de l’organisation, c’est-à-dire la place et le rôle des syndiqués, les rapports avec les salariés, etc.
Et l’esprit d’ouverture, qui a guidé en permanence son souci de construire l’unité d’action. Au 40e congrès, par exemple, il avait avancé la proposition de créer un comité national pour l’unité d’action, une idée à laquelle il réfléchissait depuis très longtemps.
Je pense que le congrès de Grenoble ne s’est pas bien passé, c’est du moins mon point de vue. Il ne s’est pas bien passé parce que les propositions soumises aux congressistes ont été débattues préalablement au bureau confédéral mais ne sont pas redescendues dans les syndicats. Et cela pour une raison très simple, c’est qu’il y avait désaccord au sein du bureau confédéral. L’élan nécessaire au débat pour permettre la tenue d’un congrès mobilisateur a donc manqué.
Sur de nombreux sujets, je pense par exemple à l’indépendance vis-à-vis des partis politiques, à la prise de distance avec la Fédération syndicale mondiale (FSM) ou à l’unité syndicale, la CGT de Louis Viannet ne s’est-elle pas finalement inscrite dans les pas de celle de Georges Séguy ?
Louis Viannet Absolument, parce que Georges avait en fait une conception moderne de l’activité syndicale. Je n’hésite pas à dire que, personnellement, j’ai fondé mon action sur la base des idées qu’il défendait à l’époque. Sur la question de l’indépendance vis-à-vis des partis, nous étions en harmonie lorsque nous considérions que le syndicat devait avoir une réflexion autonome et les grandes décisions être prises en son sein. Ce qui ne nous empêchait pas d’apprécier à sa juste valeur le rôle essentiel que pouvait jouer le PCF dans la défense des intérêts des travailleurs.
Cette position m’a conduit à quitter le bureau politique du Parti communiste en 1996. Sur la FSM, Georges était acquis à l’idée du besoin de transformer en profondeur cette organisation restée archaïque dans son fonctionnement
Il ne proposait pas encore de rompre avec la FSM mais, avec le temps, les exigences démocratiques de la CGT sont vite apparues incompatibles avec les positions des dirigeants de l’époque. La CGT a donc quitté la FSM en 1995. J’ai pu lire que nous l’avions fait pour adhérer à la CES. C’est faux : la CGT aurait de toute façon quitté la FSM, parce que c’était utile pour le développement de l’activité du syndicalisme international.
Concernant l’unité d’action, nous avons eu de très nombreuses discussions avec Georges sur le sujet. J’ai été conduit à avancer l’idée d’un syndicalisme rassemblé, parce que nous concevions souvent, au sein de notre organisation, l’unité qu’autour de la CGT, et pour certains même uniquement dans la CGT. Il faut se faire à l’idée que la scission syndicale date d’un demi-siècle et que les différentes organisations ont développé leur propre culture.
Aucune d’entre elles ne peut accepter de se placer à la remorque de la CGT. L’unité n’est possible qu’à la condition de respecter chacun. Aucune organisation syndicale dans notre pays n’étant aujourd’hui en capacité de relever, seule, le défi de la défense des intérêts des salariés, elles doivent se rassembler.
« Il ne suffit pas de s’indigner, il faut s’engager », déclarait encore récemment Georges Séguy. Quel est le sens de cette formule ?
Louis Viannet C’est clair : il y a ceux qui parlent et ceux qui agissent. Georges était très attentif à l’engagement dans l’action. L’indignation est un premier pas, certes, mais elle laisse insensible nos adversaires. Les salariés peuvent s’indigner tous les matins, mais s’ils ne se prennent pas par la main pour se faire entendre, la situation ne changera pas.
Entretien paru dans Ensemble La CGT n°90 de septembre 2016