Louis Viannet, l’artisan du « syndicalisme rassemblé »

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Un autre éclairage sur les mandatures de Louis Viannet à la direction de la CGT.

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Louis Viannet, l’artisan du « syndicalisme rassemblé »

 

Décédé dans la nuit du 21 au 22 octobre 2017, Louis Viannet avait joué un rôle important pour promouvoir une forme structurelle de l’unité syndicale, à l’heure où celle-ci peine à se mettre en place contre la politique du président Macron. Par ailleurs, sa dernière intervention marquante comme responsable syndical et comme autorité morale eut lieu dans Le Monde du 4 janvier 2015, pour demander à Thierry Lepaon de passer la main dans la crise qui pouvait devenir paroxystique au sommet de la CGT. Il fallait du cran pour faire cela et Louis Viannet n’en manquait pas.

Louis Viannet est le dernier secrétaire général de la CGT à avoir été en quelque sorte désigné par l’appareil des cadres, dans une lente préparation. Aussi bien d’ailleurs côté CGT que côté PCF, où le choix a été fait sur lui pour la succession d’Henri Krasucki au 42ème congrès de 1992, tout de suite après la chute du mur de Berlin. Au printemps 1991, lors du CCN préparant ce congrès, on avait pu assister à un étrange duo : un « double rapport » préparatoire, celui de Krasucki et celui « complémentaire » de Viannet. Ce qui avait contribué à perturber les responsables CGT. Krasucki en effet n’y était pas allé de mainmorte, à la fin de son mandat, pour critiquer les militants qui sont «en mission » dans la CGT, et pour prôner un retour à l’indépendance,  par rapport au PCF notamment. Paradoxe : lui-même avait très largement contribué à anéantir, sous pression du PCF, les espoirs en ce sens nourris au 40ème congrès CGT de 1978 par Georges Séguy et le cours unitaire que celui-ci voulait imprimer à la centrale. Mais en fin de mandature, après les mouvements sociaux originaux de la fin des années 1980 (cheminots, infirmières, coordinations en 1986-88), et au moment de la chute du mur de Berlin (1989), Krasucki voulait lui-même pousser au renouveau. Dans ce contexte, Louis Viannet apparaissait comme le maintien de l’orthodoxie, image qui lui colla à la peau.

Mais en réalité, il n’en fut rien, ou pas aussi nettement. D’abord le nouveau secrétaire général de 1992 n’était pas certain d’avoir une majorité sur de telles conceptions au début de son mandat, dans les instances confédérales. Ceux et celles qui ont été affublés du nom de « modernistes » poussaient à un renouveau sur les liens au PCF, sur l’indépendance, sur l’unité syndicale, sur la critique de « l’ouvriérisme » et les liens avec l’UGICT CGT, sur l’horizon émancipateur qui ne pouvait plus, en aucun cas, être tourné vers l’Est. Alain Obadia, secrétaire de l’UGICT, rédacteur en large partie du document du 42ème congrès, était considéré comme le numéro 2 de la CGT et faisait connaître ses positions innovantes. Il alla même jusqu’à rendre public, non sans remous, les vrais chiffres des adhérents CGT, avant de prendre de la distance.

Avant le congrès CGT suivant, celui de 1995 en pleine grève générale dans les secteurs publics et la fonction publique, les cégétistes rénovateurs avaient même fait paraitre un livre collectif (« Faut-il réinventer le syndicalisme ? », Gérard Alezard, Lydia Brovelli, Gerard Delahaye, Jean-Michel Leterier, aux éditions L’Archipel) auquel Louis Viannet avait répondu presque du tac au tac par un livre d’entretien avec Jean-Claude Poitou (« Les défis du syndicalisme », éditions de L’atelier). Dans ce livre, mais aussi depuis quelques mois déjà, il reprenait en fait à son compte- dans un autre langage, plus vif et plus combatif- bien des thèmes posés par les dits « modernistes », tout en réaffirmant ses convictions pour le socialisme et la lutte des classes.

Dès 1992, il avait publié une tribune « pour un renouveau du syndicalisme » (Le Monde) qui plaidait pour un « débat démocratique et contradictoire » entre les conceptions qui traversent les organisations syndicales. Puis il fait cette proposition à toutes les confédérations. Au printemps 1995, après invitation de la CGT, il se rend lui-même au congrès de la CFDT où Notat est mise en minorité sur son bilan. Il y est vigoureusement applaudi. Au congrès CGT de décembre, le concept de « syndicalisme rassemblé » est décrit comme une sorte de proposition intermédiaire entre la simple unité d’action ponctuelle, et la perspective de centrale syndicale unique qui reste l’horizon de la CGT (statuts). 1995 marque la naissance dans la rue de cette stratégie ambivalente, avec FO, la « gauche » CFDT, la FSU, le Groupe des Dix et les SUD. Ambivalente parce que Louis Viannet n’a jamais voulu, après une certaine hésitation, valider le projet d’un « rassemblement » syndical pérenisant le cadre des  organisations restées dans la rue en 1995, rassemblement proposé par la FSU sous l’appellation Comité de liaison unitaire, où la CGT fit une seule apparition avec Louis Viannet. Mais cette stratégie durera très longtemps (au moins jusqu’au congrès de Marseille de 2016 où elle est fortement remise en cause sans être abandonnée), au point de perdre toute consistance réelle ou d’être parfois interprétée, non sans quelques raisons, comme une main tendue prioritairement à la CFDT. Mais- et c’est important- il était clairement dit dans les années 1990 que la CGT ne pouvait pas à elle seule répondre au défi des attaques libérales, ce qui était  l’essentiel,  et tranchait avec toute une culture identitaire et stérile, après la rupture d’unité CGT-CFDT née autour de 1968 et après, mais rompue après 1978-79.

Louis Viannet ne s’arrêta pas là. Il quitta les instances dirigeantes du PCF, et plaida pour cesser d’appeler à voter pour lui au premier tour des élections. Il eut également l’audace de porter au bureau confédéral CGT, en visant bien sûr son propre remplacement, le cheminot Bernard Thibault, symbole du mouvement social de 1995 et espoir d’un possible renouveau des pratiques CGT. Bernard Thibault fut donc promu au congrès suivant secrétaire général, sans être passé par les processus de sélection au sein de la « maison confédérale ». C’est donc toute une époque qui faisait transition avec Viannet puis Thibault, celle où la CGT n’est plus amarrée aux tournants, méandres et difficultés du Parti communiste.

Dès lors, la CGT devait désormais résoudre par elle-même, sans l’ombre portée du PCF, sa propre mutation, son projet et son avenir. Elle a sans aucun doute la richesse interne pour cela. Mais il reste beaucoup de pesanteurs à bousculer, que la fin de la mandature Thibault a mis à jour, bien plus profondément sans doute que la seule crise médiatisée autour de l’appartement de Thierry Lepaon.

Jean-Claude Mamet

 

 

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