Nous reproduisons ci-dessous deux articles parus dans le journal N° 1261 « Le Travailleur parisien » (TP), édité par l’Union départementale (UD) CGT de Paris (avril 2024). Le premier tire le bilan de la participation de l’UD aux Assises de la santé et de la sécurité au travail des 13 et 14 mars 2024 (lire ici le texte adopté : http://syndicollectif.fr/?p=23618). L’autre décrit (à partir d’un livre de la journaliste Jade Lindgaard) un aspect trop peu connu de la préparation des Jeux Olympiques 2024 en France : l’expulsion accélérée de populations occupant des logements ultra-précaires, pour faire place nette aux constructions JO.
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FRANC SUCCÈS DES ASSISES
Les Assises nationales de la santé et de la sécurité des travailleur·ses se sont tenues les 13 et 14 mars à la Bourse du travail de Paris. Conçues dans une approche intersyndicale et inter- associative, elles ont réuni quelque cinq cents personnes qui ont participé aux quatre séances plénières, dont la table ronde finale avec les premiers dirigeants – Sophie Binet (CGT), Benoît Teste (FSU) et Murielle Guilbert (Solidaires) – et se sont réparties en quinze ateliers.
Les Assises nationales de la santé et de la sécurité des travailleur·ses trouvent leur racine dans les mobilisations des 28 avril 2022 et 2023, le 28 avril étant la Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail. Le 18 octobre dernier, plusieurs dizaines de militant·es s’étaient rencontré·es à Paris pour lancer la préparation de ces Assises, qui ont concerné tant le secteur public que le secteur privé.
Que chaque travailleur·se se sente parfaitement bien physique- ment, mentalement et socialement. C’est ainsi que l’OMS définit la santé. Mais il arrive que le travail tue, blesse, rende malade. Les responsabilités des employeurs et de l’État sont alors clairement posées. Les camarades qui ont organisé ces Assises ont aussi voulu aller au-delà de la santé « au travail », car il arrive que l’on perde la santé à cause du travail en dehors des lieux et des horaires de travail ou des trajets domicile-travail. Une insomnie, une dépression nerveuse, un cancer, un AVC peuvent être d’origine professionnelle et survenir pendant son temps de repos, voire durant la retraite.
RÉTABLIR LES CHSCT
Ces derniers temps, les accidents graves et mortels survenant au travail ont été davantage portés dans le débat public, mais encore insuffisamment. Ils concernent souvent de jeunes hommes. Les maladies professionnelles (MP), elles, sont largement invisibilisées et fortement sous-déclarées, comme les accidents du travail (AT).
Les atteintes à la santé des femmes en raison du travail sont souvent passées sous silence. Violences, inégalités, cancers, cycle menstruel, procréation : les ateliers portant sur ces questions ont connu un vrai succès, la puissante mobilisation du 8 mars 2024 et l’inscription de l’IVG dans la Constitution n’y étant pas pour rien. Alors que la Sécurité sociale est assiégée par les politiques néolibérales et que les victimes et leurs familles peinent à voir leurs préjudices reconnus et indemnisés, nous visons la réparation intégrale. Nous luttons contre la survenue des AT-MP et contre leur sous-déclaration, favorisées par la précarité et le morcellement du salariat. Et nous militons pour des politiques de prévention, qui devraient être dotées de moyens décuplés. Il faut recruter à l’inspection du travail et dans les CARSAT, et rétablir les CHSCT.
Dans les ateliers « Travail Santé Environnement », il a été question de l’amiante, du chlordécone, du plomb, d’AZF, de Lubrizol, des pesticides, des radiations, des polluants éternels, de la Dépakine et de la polyexposition, et la lutte parisienne à propos du plomb de Notre-Dame a notamment été exposée et débattue.
DE LA SOUFFRANCE INDIVIDUELLE À L’ACTION COLLECTIVE
Trop souvent, l’organisation du travail fait souffrir. Nous avons en tête le procès des anciens dirigeants de France Télécom. Management toxique, cadences intenables, télétravail, montée en puissance de l’intelligence artificielle sont des réalités vécues. Comment passer de la souffrance individuelle à l’action collective ? Comment prendre la main sur l’organisation et les conditions du travail ? Là aussi, les ateliers thématiques ont été très investis. Le libre parcours dans les ateliers a provoqué dynamique, échanges, émotion et applaudissements. Nous nous sommes solidarisé·es autour de questions graves, souvent tragiques. À partir de nos structures syndicales et associatives, un réseau militant est créé, porté par une démarche interprofessionnelle, unitaire et pluridisciplinaire. Les Assises ont adopté trois textes qui offrent des perspectives. Notamment de mener une campagne nationale, de réunir les Assises chaque année et de construire une mobilisation le 25 avril prochain.
La société capitaliste use les travailleur·ses au point parfois de les tuer, et détruit la nature. Les patrons sont responsables de la sécurité et de la santé au travail, et portent aussi des respon- sabilités dans la dégradation de l’environnement et de la santé publique. Ils doivent en payer le prix, y compris par de lourdes condamnations pénales. Nous exigeons un changement radical de politique qui fasse de la prévention des risques professionnels une priorité qui prime sur la course au profit et la réduction des dépenses publiques.
Logement et JO
PARIS 2024 : L’IMPORTANT, Ç’AURAIT ÉTÉ DE PARTICIPER…
Mille cinq cents personnes expulsées, c’est le bilan inaugural des Jeux olympiques 2024. Son premier palmarès, avant même le début des compétitions. Jade Lindgaard en dresse le décompte dans un livre saisissant, Paris 2024, une ville face à la violence olympique, aux éditions Divergences. Et, précise-t-elle, elle s’est limitée aux expulsions effectuées sur les sites et aux abords directs des installations olympiques dans la Seine-Saint-Denis.
D’abord, il y a les 286 hommes qui habitaient le foyer pour travailleurs Adef de Saint-Ouen. Ils étaient là au mauvais endroit, au mauvais moment : sur une parcelle du futur village olympique, destiné à accueillir les athlètes du monde entier en juillet prochain. Les habitants de l’Adef ont été évincés en mars 2021 et relogés dans des habitats provisoires, en attente de nouveaux logements. Non loin de là, sur L’Île-Saint-Denis, les habitants des tours Marcel-Paul (estimés à 730 par Jade Lindgaard) ont dû aussi les quitter. Certes, la destruction des tours, insalubres, était décidée avant l’attribution des Jeux à la France. Mais leur évacuation a été accélérée par cette perspective et, du coup, désordonnée : des habitant·es se sont vu proposer des appartements à sept kilomètres de chez eux et de leur travail, d’autres dans des taudis. Enfin, il y a les quatre cents occupant·es du squat Unibéton, toujours sur L’Île-Saint-Denis, qui ont été évacué·es eux aussi le 26 avril 2023.
PASSAGE EN FORCE
« Les Jeux de Paris n’ont pas causé beaucoup de destruction de logements, tient à préciser la journaliste, par rapport à ce qui s’est passé à Rio en 2016 ou, encore pire, à Beijing en 2008. Mais, insiste-t-elle, chaque vie impactée est une vie qui compte. » D’autres « dommages collatéraux » sont à déplorer, comme le sacrifice de 4 000 m2 de jardins ouvriers à Aubervilliers, qui étaient cultivés depuis 1935 par les habitants locaux. Le 2 septembre 2021, les policiers ont évacué les militant·es qui les défendaient car une piscine destinée à l’entraînement des athlètes y était prévue. La cour administrative d’appel a invalidé la destruction des jardins en 2022 mais les pelleteuses sont passées en force. Parce que, dans l’esprit des « décideurs », l’intérêt supérieur des Jeux primait. En fait, à partir du moment où ces Jeux ont été attribués à Paris, en septembre 2017, une énorme machine économique et politique s’est mise en marche, guidée exclusivement par l’obsession de la date butoir, celle de la cérémonie d’ouverture. Les obstacles humains ont donc été balayés. Les obstacles juridiques, eux, ont été aplanis, une loi olympique, promulguée en 2018, limitant considérablement toute voie de recours pour les associations de riverain·es.
Pour cette raison d’urgence, qui légitime tous les dérapages, on peut prédire que les Jeux de Paris coûteront plus cher que prévu, et plus cher qu’ils ne rapporteront. C’est la loi du genre : depuis soixante ans que les économistes étudient les Jeux olympiques, cet objet budgétaire non identifié, aucune édition n’y a échappé. La palme d’or revient à ceux de de Montréal, en 1976, qui ont coûté sept fois plus que prévu. Pour l’instant, la Cour des comptes table sur quelque 4,4 milliards de dépenses pour les JO de Paris (le budget initial était de 3,2 milliards), mais avoue avoir du mal à sortir des chiffres précis.
AUCUN DÉBAT DÉMOCRATIQUE
Peu importe après tout si la magie est là, et surtout si les investissements nous laissent ultérieurement des villes plus belles. L’avenir dira si le réaménagement urbanistique des trois communes de Seine-Saint-Denis (Saint-Ouen, Saint-Denis, L’Île-Saint-Denis) où s’est concentré l’essentiel des projets architecturaux est une réussite pérenne. Certains y croient dur comme fer, tel le maire de L’Île-Saint-Denis, Mohamed Gnabaly, qui affirme dans une interview au Monde que les Jeux vont offrir une chance unique de rénover sa ville. Cependant, d’ores et déjà, la pertinence de certains chantiers pharaoniques, comme celui du futur bassin olympique de Saint-Denis, ne manque pas d’interroger. Son coût, 150 millions d’euros, est supérieur de près d’un tiers à son budget prévisionnel (111 millions). Mais surtout, « quand a-t-on vraiment demandé aux habitants ce qu’ils préféreraient payer : des bassins où nager et faire apprendre à leurs enfants, ou un monument mondialement célèbre où ils n’iront qu’une fois de temps en temps ? » interroge Jade Lindgaard.
En fait, aucun débat démocratique n’a eu lieu sur les Jeux – et leurs enjeux, notamment urbanistiques. D’autres villes se sont livrées à ce débat, quitte à retirer leur candidature, comme Hambourg en 2015. Au lieu de passer à la hussarde, nos dirigeant·es auraient pu faire le pari d’une vaste consultation, d’où seraient sortis, peut-être, des jeux plus inclusifs et démocratiques. Pour cela, il aurait fallu qu’ils et elles aient le goût du risque. C’est la base de l’esprit sportif, non ?