Depuis 2016, pendant 9 ans, des syndicalistes CGT de la petite enfance, CGT des administratifs de la ville de Paris, maintenant majoritairement à la FSU suite à une expulsion bureaucratique, se battent contre des violences sexistes répétées dans le syndicat du nettoiement de la ville de Paris. Le responsable mis en cause avait porté plainte contre ces militantes pour diffamation, de même que contre Philippe Martinez, ex-secrétaire général de la CGT. Le mis en cause a retiré sa plainte sous la pression d’une lutte féministe et syndicale unitaire : une victoire.
- Contact RESYFEM (Réseau intersyndical féministe contre les VSS): resyfem@riseup.netyfem.net
Dans les syndicats, une première pour le combat contre les VSS
Jean-Claude Mamet (article et prises de notes)
Jeudi 16 octobre 2025, près de 150 personnes se sont rassemblées devant le Tribunal de grande instance de Paris. Ce qui devait être un procès après 9 ans de lutte de très grande âpreté, contre une plainte en diffamation, s’est terminé dans la joie. Le dirigeant impliqué du syndicat CGT du nettoiement a retiré sa plainte ces derniers jours. Son dossier était indéfendable. Les faits sont têtus et documentés. Ils ont été relatés en détail d’abord par les militantes, puis par Médiapart (et Le Monde). Nous avons reproduit ces articles dans Syndicollectif (http://syndicollectif.fr/?p=7305), ainsi que des témoignages de syndicalistes poursuivies pour avoir « parlé ». Elles ont parlé en effet et on a voulu les bâillonner. C’est ce qui est nommé et dénoncé comme des « procédures-baillons ». Elles sont définies ainsi par Wikipédia : action « visant à intimider et à faire taire un journaliste, une ONG, un démystificateur, ou lanceur d’alerte et/ou à entraver sa participation dénonciatrice politique ou militante dans la sphère publique ».
Ainsi des agresseurs se plaignent d’avoir été dénoncés, car ce n’est pas entendable pour eux, ni que d’autres entendent ces récits. Ils croient (ou croyaient) que la société, les collectifs militants, la justice elle-même, ne peuvent pas admettre comme vrai ce dont on les accuse. En 2016, cette connivence tolérée autour du machisme, des insultes, des gestes et violences sexistes, des paroles proférées en pleines manifestations (« On va vous baiser » témoignera une militante), toute cette culture méprisante et dominatrice était encore cachée, souterraine, …et admise en réalité. C’est moins le cas aujourd’hui. Grâce au mouvement Metoo international (datant de 2017), les paroles enfouies ont jailli. Et dès 2016 avec le Metoo politique face à Denis Beaupin. Mais aussi grâce au courage de celles qui ont eu l’audace d’en faire enfin un combat syndical, de bousculer les réflexes bureaucratiques d’auto-conservation, y compris en haut des appareils de direction.
Les faits et le droit
Dans une situation de ce type, il est toujours indispensable de rappeler les faits. Succinctement ici. Nous renvoyons à nos articles et témoignages (http://syndicollectif.fr/?p=7305). En 2018, nous avions commencé par publier un « Appel de femmes du collectif Femmes-mixité de la ville de Paris » , adressé à la direction CGT. Il disait : « ….il persiste des comportements et des violences sexistes à la CGT. En effet, nous sommes plusieurs militantes de la CGT de la Ville de Paris à avoir fait le triste constat, depuis près de 2 ans, d’un climat lourd de sexisme, de violences verbales, ainsi que d’attouchements envers des femmes au sein de nos propres cortèges lors de manifestations. A cela s’ajoute une violence physique contre une camarade par un secrétaire général d’un syndicat en décembre 2016. Ces faits sont graves » […]. Les différents syndicats de la Ville de Paris, l’Union départementale 75, la Fédération des services publics et la Confédération ont tous été informés de la situation.« .
Ensuite, une enquête détaillée de Médiapart explique : « Il m’a attrapée par les cheveux et m’a poussée violemment sur une table ». Le 2 décembre 2016 au matin, la tension monte nettement. Une vive querelle éclate entre permanents CGT de la Ville de Paris, dans les locaux de la Bourse du travail parisienne…En cause : une banale histoire d’occupation de bureaux qui oppose, d’un côté, deux femmes responsables du syndicat CGT Petite enfance de la Ville de Paris, et de l’autre R. [le responsable du syndicat du nettoyage]. Les récits des deux parties divergent du tout au tout, si ce n’est sur la brutalité de l’incident. […]. L’article de Médiapart encore ceci : « Un mois plus tard, lors d’une grande manifestation dans la capitale, deux femmes se plaignent cette fois d’attouchements sur les fesses et les seins, commis par des hommes autour du camion du syndicat du nettoiement. « Nous portions notre tee-shirt rouge avec le logo CGT petite enfance, rapporte l’une d’elles. Il y avait énormément de monde, et des hommes nous ont frôlées. L’un d’eux m’a peloté la poitrine, un autre s’est permis de mettre la main aux fesses de ma jeune collègue ».
Dans Syndicollectif, nous avions également publié la réponse de la Fédération des services publics CGT qui après enquête interne estime que la description des faits souffre d’imprécisions notoires et conclut par ces mots : « La Fédération ne reconnaît pas les valeurs de la CGT à travers la méthode consistant à demander publiquement la condamnation d’une personne, sans tenir compte des principes de l’état de droit. Elle ne se reconnaît pas non plus dans les pratiques consistant à mettre l’organisation sous la pression médiatique ».
Le militant CGT mis en cause a porté plainte pour diffamation et il s’en est suivi une longue lutte syndicale, féministe et juridique achevée le 16 octobre 2025. Il faut ajouter encore un autre épisode violent, mais d’une autre manière : le « démandatement » brutal de près de 500 responsables CGT, certes relevant aussi de débats plus généraux sur le syndicalisme Ville de Paris, mais liés par ricochet aux évènements de 2016. Un acte bureaucratique inqualifiable quand on connaît les problèmes CGT sur le recrutement. Les syndicalistes démandaté-es ont adhéré massivement à la FSU (Snuter et Supap FSU).
Derrière cette longue lutte, mais aussi sur beaucoup d’autres du même type, il y a certes un enjeu pour établir les faits. Mais aussi un enjeu de société et de justice. Est-ce que l’attirail juridique, « l’état du droit » en réalité, n’est pas en retard flagrant avec la société ? Les faits racontés à Paris, dans le syndicat de la CGT Ville de Paris, celui du nettoiement et d’une grande fédération CGT, le prouvent abondamment. Le fait avéré et plus général qu’une très petite partie des plaintes pour violences sexistes et sexuelles (VSS) ne soit pas suivies de condamnations prouve une chose : il y a un continent humain entier qui passe sous les radars. C’est d’ailleurs vrai pour beaucoup d’autres questions : les enfants, l’intimité et la sexualité, les processus de racisation, etc. Ce n’est pas le lieu ici pour les traiter, mais simplement les poser.
Depuis 2016, des progrès ont été accomplis dans la CGT sur les VSS. Notamment par la mise en place d’un « Cadre commun » militant pour aborder ces questions, validé au congrès de 2023, en plus de la « cellule de veille » déjà active.
Paroles !
Le 16 octobre, étaient donc rassemblé-es devant le Tribunal de Paris des responsables nationaux et locaux de plusieurs organisations : la confédération CGT (Commission exécutive et Bureau confédéral), la FERC CGT (Fédération de l’éducation et de la culture), des Unions départementales (Paris, 93, 92), l’Union régionale Ile de France, la « cellule de veille » confédérale, la FSU, le syndicat territorial FSU Paris (SNUTER) qui a accueilli les syndicalistes « démandaté-s » de la CGT, l’Union syndicale Solidaires, l’UNEF, l’Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Ainsi que les militantes de RESYFEM, « Réseau syndical féministe » créé dans cette lutte, qui rassemble des militantes CGT, FSU, Solidaires, FO, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France, pour agir sur ces questions concernant tout le syndicalisme. RESYFEM s’exprime dans le Club de Médiapart.
Des pancartes étaient brandies : « Agresseurs, hors de nos luttes ! » ou encore : « La grève ne sera pas générale sans les femmes ! ».
Extraits des prises de parole, sous la présidence de Raphaëlle Manière (« cellule de veille » CGT, membre du CESE), qui explique la détermination de la CGT dans ce combat contre les violences. Elle rappelle qui était incriminé dans ce procès avec Philippe Martinez (en sa qualité de responsable CGT). Il s’agit, dit-elle, de « permettre aux femmes d’avoir toutes leurs places dans la CGT ».
- Myriam Lebkiri (secrétaire confédérale CGT) : « Nous sommes bien sûr aux côtés des mises en cause, ainsi que de Philippe et de la cellule de veille, mise en place en 2016 avant Metoo. Elle a été le porte-voix de ce combat dans la CGT, avant l’établissement d’un « cadre commun » d’action adopté en 2023 ».
- Caroline Chevé (secrétaire générale de la FSU) : « C’était une bonne décision de maintenir ce rassemblement, même si la plainte a été retirée. Nous pouvons avoir un moment joyeux ! Accompagné de soulagement. Car les procédures longues peuvent décourager ceux et celles qui veulent dénoncer ces pratiques, et qui empruntent un parcours du combattant. Au récent congrès de la FSU, notre cellule de veille a été intégrée dans nos statuts. Ce rassemblement est aussi un avertissement à ceux qui veulent utiliser les procédures-baillons. Il faut les empêcher de nous museler ».
- Murielle Guilbert (co-déléguée générale nationale de Solidaires) : « Nous affirmons notre soutien aux cellules de veilles syndicales et bien sûr à Philippe Martinez. Lutter contre les violences, cela passe par des épreuves : celles des actes, mais aussi pour vaincre l’incrédulité, les procédures-baillons, le déni qui est la continuation de l’emprise sur les victimes. Nous n’acceptons ni le sexisme ni le patriarcat. En « externe » mais aussi en « interne ». C’est notre action collective qui fait reculer l’impunité. Cela fait partie intégralement du travail syndical » .
- Christine (mise en cause pour diffamation) : « J’étais militante CGT depuis 20 ans. Or nous avons été expulsé-es de notre syndicat ! Nous étions les premières « clientes » (si on peut dire) de la cellule de veille CGT. Il est vraiment dommageable que la Fédération des services publics ait soutenu un agresseur. Alors merci à Benoit Martin de l’UD CGT de Paris pour son soutien ».
- Nunzia (témointe au procès et victime du plaignant) « Je me suis éloignée de toute action syndicale et collective depuis cette date. Notre syndicat s’est éteint. Quel gâchis ! «
- Benoit Martin (secrétaire général de l’UD CGT de Paris) : « Je ressens à la fois de l’émotion et du plaisir. Sans doute que l’avocate de l’agresseur a estimé qu’il y avait plus à perdre qu’à gagner dans la poursuite de ce procès. Nous devons défendre toutes les cellules de veille, ainsi que l’Inter-organisation qui se réunit régulièrement sur ces questions. Toutes les organisations sont concernées ou frappées. Oui il faut combattre le patriarcat partout. La poussière ne doit pas aller sous le tapis ».
- Catherine Albert (témointe au procès et militante RESYFEM) : « C’est une victoire de la solidarité, de nos luttes collectives féministes et syndicales. Nous n’avons jamais lâché ! Nous avons subi beaucoup de représailles. Toutes ces méthodes ont un coût : le coût des violences sur la santé (dépressions, infarctus, problèmes de vente, troubles anxieux…). Un coût financier : les procédures, les avocats. Un coût moral : le départ d’un syndicat qu’on a construit.et je suis fière qu’aujourd’hui nous soyons unies CGT /FSU /SOLIDAIRES ».
- Pauline (RESYFEM) : « C’est à eux de payer, après 9 ans de combat. Cela a été dur mais on s’est aussi marré, on a découvert des ami-es, des amours. On est là les meufs ! On s’auto-organise ! Nous les meufs on a une puissance de malade ! »
Après le rassemblement, dans la salle d’audience, l’avocat a justifié le désistement de son client car il avait peur du rassemblement et de la médiation. Il a souligné qu’il le comprenait aisément au vu de « la cage au fauve » qu’il avait pu observer. La procureure quant à elle considère comme recevable la demande d’indemnité pour procédure abusive. Elle a souligné qu’on pouvait saisir un objectif de silenciation de certaines personnes sur un sujet de société. Que ces procédures aient un coût pour la justice et qu’il faut donc respecter les procédures.
Résultat de cette poursuite le 3 décembre.













