Voici une note du secteur international de la CGT à propos de la baisse du temps de travail en Allemagne. L’idée d’une semaine de 4 jours est revenue dans l’actualité. Il convient cependant de faire un premier bilan, peu glorieux, de « l’accord » de 2018 permettant de réduire son temps de travail à 28 heures, qui déjà avait attiré l’attention du syndicalisme en France. Mais comme dit le patronat allemand après coup: « Nous avons beaucoup obtenu…«
Baisse du temps de travail en Allemagne
La question de la réduction du temps de travail doit être le corollaire et la condition à : la réduction des inégalités dans le temps de travail, la création d’emplois, la meilleure répartition des gains de productivité, l’égalité femmes / hommes, l’amélioration de la qualité de vie au travail et évidemment le niveau des salaires. Le sujet est régulièrement inscrit dans l’agenda politique et social, pourtant force est de constater qu’il n’aboutit pas. Le débat vient d’être relancé en Allemagne, il nous a semblé opportun de faire un point sur le contenu des propositions et la situation du pays.
Les contenus revendicatifs
L’écho médiatique d’une volonté syndicale allemande de réduire le temps de travail à quatre journées de 8 heures fait suite à une interview de Jörg Hofmann, président d’IG Metall, donnée au journal Süddeutsche Zeitung. L’interview ne portait pas spécifiquement sur la réduction du temps de travail mais plus généralement sur la double crise qui affecte l’industrie métallurgique allemande ; celle liée à la réduction d’activité depuis le début de la pandémie et celle, plus structurelle, du renouvellement de l’industrie automobile vers « l’électro-mobilité ». Jörg Hofmann déclare ainsi que
« [la réduction du temps de travail] permettra de conserver les emplois industriels au lieu de les perdre […] Cela permet de garantir la présence de travailleurs qualifiés et d’économiser des coûts pour un plan social, par exemple. ». Ajoutant qu’il est nécessaire d’y inclure « un certain montant de compensation salariale pour les employés afin qu’ils puissent se le permettre, avec des incitations à utiliser ce temps libre pour la formation professionnelle. ».
IG Metall ne s’est pas prononcée officiellement sur le sujet et souhaite entamer un débat interne sur les modalités d’une telle réduction pour parvenir aux négociations collectives de branche de fin 2020 avec des revendications plus précises. Mais le sujet se trouve abordé dans une campagne de pétition, initiée par IG Metall, pour l’extension de 24 mois des mesures de chômage partiel qui expirent en fin d’année. Dans l’optique de préparer des mesures transitoires pour 2021 l’organisation propose : « de rendre plus efficaces les subventions accordées par les employeurs pour compenser la perte de salaire en cas de réduction du temps de travail, ces subventions devraient être exonérées d’impôts. ».
Dans la pratique, trois accords d’entreprise ont déjà été signés à Daimler, ZF et Bosch. Les organisations syndicales ont accepté le passage à 32 heures sans compensation salariale, si ce n’est des garanties de maintien dans l’emploi jusqu’à expiration de l’accord (ou sur une durée déterminée dans l’accord). A contre-courant des intentions du syndicat qui souhaite mener la bataille sur l’obtention d’une compensation partielle de la baisse de salaire par l’employeur.
L’accord de 2018, un pari perdu
Ces accords d’entreprise « gagnant-gagnant » pour le capital ont par ailleurs un antécédent dans un accord de branche datant de 2018 et qui avait déjà fait le buzz en France à cette époque. Il permettait à des salarié.e.s, individuellement et sans compensation salariale, de réduire jusqu’à 28 heures par semaine leur temps de travail pendant une durée déterminée et avec la possibilité de revenir à 35 heures. La compensation salariale existe seulement dans un nombre réduit de cas, pour ceux et celles qui réduisent à 28h momentanément en vue de s’occuper des enfants ou des tâches domestiques, mais encore seulement à dose homéopathique : seulement 2 des 8 jours de congé qu’ils peuvent prendre dans l’année leurs sont payés.
En contrepartie, les employeurs avaient la possibilité d’augmenter leur quota d’embauches à 40 heures par semaine (ce qui était déjà largement pratiqué, 13% des salarié.e.s de la métallurgie étant concerné.e.s au moment de l’accord, avec possibilité de passer à 30%, voire 50% selon les situations). L’autre possibilité accordée aux employeurs était de passer du système des quotas à celui du « volume global de temps de travail dans l’entreprise ». Dans ce système, chaque salarié.e à temps partiel ouvre la possibilité d’établir de nouveaux contrats à 40h. Ainsi, une personne à 20h (15h de moins), c’est potentiellement 3 embauches à 40h (3 x 5h de plus). Un résultat qui amènera un représentant patronal en charge de la négociation à déclarer : « Nous avons obtenu beaucoup, et précisément beaucoup d’ouvertures vers le haut pour le temps de travail ».
Loin de constituer une mesure bénéfique en soi cet accord permet au patronat de complexifier les négociations sur le sujet en tirant parti de la diversité des contrats et de la complexité des accords. Déjà difficile à appréhender pour des délégué.e.s, cela l’est encore plus dans des entreprises du secteur sans aucune présence syndicale. Par ailleurs cela ouvre la porte à une mise en concurrence accrue en renforçant encore davantage les inégalités entre différentes catégories de salarié.e.s.
Si le sujet reste porteur parmi les travailleur.euse.s selon IG Metall, en particulier le passage à une semaine à quatre jours, le cas allemand invite à aborder avec des pincettes la réalité de la mise en place d’une telle mesure qui pourrait parfaitement s’insérer dans «l’esprit » des Accords de Performance et de Compétitivité issue de la Loi Travail en France.
Il n’en reste pas moins que la surface médiatique occupée par cette actualité allemande en matière de réduction du temps de travail peut être exploitée dans le cadre de la campagne de la CGT en faveur des 32 heures par semaine. Par ailleurs, il convient de rappeler que l’accord de 2018 a été la résultante d’une grève largement suivie dans la métallurgie et constituait pour des milliers de salarié.e.s la première expérience d’une grève de masse en Allemagne depuis longtemps. L’exemple allemand souligne aussi la nécessité de développer les contenus concrets de notre propre campagne et le rapport de force nécessaire, afin d’éviter de tomber dans les pièges d’une RTT qui pourrait prendre des formes contraires à ce que nous proposons.
N.B. : Les camarades d’IG Metall ont fait mention de discussions sur le sujet de la réduction du temps de travail au sein d’un comité de coordination d’IndustriALL.
Sources : Actualité sociale des dernières années et échanges avec nos camarades du DGB.