Nous reproduisons ici un article de Jean-Christophe Chanut dans La Tribune du 12 mai, à propos des ordonnances annoncées sur le Code du travail.
Extrait : « Jean-Claude Mailly ne le cache pas, il a y actuellement des échanges entre tous les responsables syndicaux, y compris Laurent Berger pour la CFDT, « au cas où.. ».
Ordonnances sur le droit du travail : veillée d’armes dans le camp syndical
Du côté des organisations syndicales, c’est une ambiance de veillée d’armes qui semble régner. Toutes attendent d’avoir des explications précises sur les intentions d’Emmanuel Macron en matière de réforme du droit du travail. Le président de la République élu a en effet martelé, durant la campagne, son souhait d’aller vite sur ce sujet en utilisant, dès cet été, la procédure des ordonnances, ce qui lui permettrait d’éviter les très longues navettes parlementaires entre les deux chambres. L’ex-leader d’En Marche! veut notamment rapidement régler les choses sur trois points: prédominance affirmée de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, simplification des institutions représentatives du personnel. Des sujets lourds et très sensibles qui risquent de réveiller des tensions sociales alors que les braises de la loi EL Khomri fument encore !
Macron appelé à la prudence
Aussi, différentes voix se sont élevées ici et là pour conseiller au président de ne pas confondre vitesse et précipitation, afin d’éviter une déflagration sociale. A commencer par François Hollande, le président sortant, qui, en connaissance de cause, a rappelé que sous-estimer le dialogue social « peut coûter cher »… C’est aussi Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, qui, sur RTL, invite Emmanuel Macron à ne pas se précipiter:
« Je dis à Monsieur Macron: il faut concerter, discuter, dans une totale transparence. C’est parfois ce qui a manqué lors de la loi Travail. Pour le contenu, tout est discutable ».
Tony Blair, l’ancien premier ministre anglais, alerte aussi le nouveau président Français dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde: « Le nouveau président sait les réformes qu’il veut mener mais ne sait pas encore comment il va procéder dans le détail. La méthodologie de la réforme est importante ».
Tentative de déminer le terrain…
Emmanuel Macron et son entourage semblent avoir entendu ces messages. Certes, il n’est pas question, à ce stade, de renoncer aux ordonnances – ce que recommande pourtant François Bayrou – mais plutôt de tenter de déminer en amont.
Pour ce faire, des entretiens bilatéraux vont être menés avec chacun des leaders des organisations syndicales et patronales. « On a pas encore de date, car il s’agit d’attendre la nomination du Premier ministre et du ministre du Travail », précise Jean-Claude Mailly secrétaire général de Force ouvrière (FO). Des entretiens qui pourraient débuter d’ici une dizaine de jours. Mais , bien entendu, les élections législatives freinent le mouvement car Emmanuel Macron ne sait pas encore avec quelle majorité il va devoir gouverner. Ceci dit, quel que soit le cas de figure qui sort des urnes du 18 juin, sur cette réforme du code du travail, le président devrait trouver une majorité, même de circonstances. En effet, la réforme du droit du travail par ordonnances était également inscrite dans le programme de François Fillon. On voit donc mal les députés LR refuser de voter une loi d’habilitation sur ce sujet. Idem du côté d’une partie des socialistes, où les amis de Manuel Valls devraient aussi être en phase avec la réforme proposée.
Pour autant, les syndicats ne se contenteront pas de simples rencontres bilatérales. « On veut tout le monde, gouvernement, organisations syndicales et organisations patronales ensemble autour de la table », explique Véronique Descacq, la numéro 2 de la CFDT. « Nous voulons une vraie concertation. Ce n’est pas tant le recours aux ordonnances qui pose problème mais plutôt ce qu’il y aurait dedans. C’est de ça dont nous voulons parler ».
Jean-Claude Mailly avance à peu près le même point de vue: « Après tout, des ordonnances, il y en a déjà eu. Mais nous c’est le fond qui nous intéresse. On ne veut pas d’une simple concertation à la va-vite ».
Du côté de la CGT, qui refuse pour l’instant de prendre ouvertement position sur le sujet et qui attend la nomination du gouvernement, on explique cependant être contre la méthode des ordonnances « pour ne pas empêcher un vrai débat législatif sur une question aussi importante ».
Les syndicats divergent sur les points « discutables »
Sur le fond, les positions sont assez connues depuis les débats sur la loi El Khomri en 2016. CGT et FO ne veulent pas entendre parler de l’inversion de la hiérarchie des normes et de la primauté de l’accord d’entreprise. Ce qui n’est pas le cas de la CFDT qui est prête à discuter sur ce sujet… comme en 2016. En revanche la centrale de Laurent Berger rejoint FO et la CGT pour dire « non » à la mis en en place d’un plafonnement des indemnités prud’homales, en cas de licenciement abusif. « On avait lutté contre, avec succès en 2016, on reste sur la même ligne », avance Véronique Descacq qui ajoute, « laissons sa chance au barème incitatif prévu par la loi Macron et qui est tout juste entré en vigueur le 1er janvier 2017. Attendons d’en tirer les enseignements avant une fois encore de tout changer».
Sur le référendum d’entreprise, ça coince aussi. Pour FO et la CGT, il n’est pas question de laisser à l’employeur le droit d’imposer un référendum quand un projet d’accord d’entreprise n’a pas reçu l’aval d’une majorité de syndicats. Rappelons que les deux organisations s’étaient déjà opposées en 2016 à la disposition de la loi El Khomri permettant à des syndicats minoritaires (représentant au moins 30% des salariés) d’organiser un tel référendum pour faire adopter un accord refusé par des syndicats représentant la majorité (50%) des salariés.
Du côté de la CFDT, on se montre un peu plus nuancé. « S’il s’agit de permettre à l’employeur d’imposer un accord en court-circuitant les syndicats ou, pour éviter de recourir au mandatement syndical, c’est « non », explique Véronique Descacq. « S’il s’agit d’étendre à l’employeur la possibilité d’organiser un référendum quand un projet d’accord existe, qu’il a été refusé par les syndicats majoritaires mais accepté par les minoritaire, avec toujours le seuil des 30%, alors, il faut voir, on peut discuter. »
Discuter est donc le maître mot des organisations syndicales qui souhaitent aussi rappeler au président élu que depuis la loi Larcher de 2007, l’Exécutif à l’obligation d’organiser une concertation avec les partenaires sociaux avant tout projet de réforme touchant aux relations du travail..
Les leaders syndicaux prêts à mobiliser, au cas où…
Aussi, c’est peu dire que les syndicats n’ont pas du tout apprécié les propos d’Emmanuel Macron durant l’entre-deux tours, lors d’un déplacement à la Verrerie ouvrière d’Albi, où, s’adressant à des syndicalistes CGT il a déclaré qu’ils étaient « l’exemple vivant qu’on est plus intelligent dans l’entreprise qu’au niveau confédéral ». Des propos qui ont fait réagir Jean-Claude Mailly : « Emmanuel Macron doit prendre en compte le fait syndical partout, dans l’entreprise, au niveau des branches mais aussi au niveau national. Qu’il nous écoute ».
Pour l’instant, les esprits sont donc encore assez calmes. Mais, quelques autres phrases maladroites et/ou une attitude du futur gouvernement donnant l’impression qu’il passera en force derrière une concertation de façade, pourraient faire dégénérer la situation. Déjà, grande première, il y a eu une manifestions syndicale « d’avertissement » dès le lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, le 7 mai. Certes, le mouvement a été de très faible ampleur mais il a valeur d’avertissement. Jean-Claude Mailly ne le cache pas, il a y actuellement des échanges entre tous les responsables syndicaux, y compris Laurent Berger pour la CFDT, « au cas où.. ». Concrètement, cela signifie que les confédérations sont d’ores et déjà prêtes à se mobiliser en cas de tentative passage en force…
Le patronat attentif
Du côté patronal, on suit tout cela avec une grande attention. Les leaders patronaux – qui doivent prochainement se rencontrer – ont également hâtes d’être reçus par Emmanuel Macron et son gouvernement. François Asselin, le président de la CPME (ex CGPME) a même pris les devants :
« Dès l’entre-deux tours nous avons écrit à Emmanuel Macron pour lui demander ce qu’il mettrait dans les ordonnances. Nous lui avons aussi suggéré de travailler sur un grande « loi cadre PME » qui aborderait les questions sociales et fiscales notamment. Pour l’instant nous n’avons pas de réponse. »
Bien entendu la CPME se dit favorable à l’idée d’un plafonnement des indemnités prud’homales, comme elle se dit d’accord avec l’idée de laisser plus de latitude à la négociation d’entreprise. Dans l’esprit de François Asselin, les accords de branche doivent permettre de « borner » ce qui peut être fait ou pas. Ensuite, au niveau de l’entreprise, il doit exister un « espace de liberté ». Dans son esprit cela signifie que, dès lors que l’esprit des accords de branche est respecté – par exemple sur les salaires minimaux – des règles pourraient être déterminées avec les seuls représentants du personnel (délégués du personnel ou comité d’entreprise), sans nécessairement passer par une négociation avec les délégués syndicaux… quand il y en a. Vieille idée de la CPME. Mais surtout, François Asselin redoute qu’Emmanuel Macron accorde des contreparties au syndicats pour tenter de les amadouer. « Dans ce cas, cela se fait toujours aux dépens des PME. »
Au Medef, Pierre Gattaz devrait s’exprimer sur la question mardi 16 mai, lors de sa rencontre mensuelle avec la presse. Mais l’on sait déjà que le président du Medef souhaite qu’Emmanuel Macron agisse vite et fort…
Veillée d’armes donc, mais il n’est pas du tout certain qu’Emmanuel Macron bénéfice du même état de grâce syndical que son prédécesseur François Hollande à son arrivée en 2012. De fait, le président socialiste avait profité d’une belle mansuétude des confédérations syndicale jusqu’à la… loi Macron de 2015.