Anthony Caillé est secrétaire général du syndicat CGT-intérieur-police. Il signe une tribune dans Le Monde du 26 juillet à propos d’une réforme possible de l’IGPN, mise sous contrôle d’une « commission » indépendance de l’institution policière. Il donne des informations sur ce qui se passe dans d’autres pays d’Europe en la matière. Interviewé par France Info (voir plus bas), il critique les discours « guerriers » de la hiérarchie et juge que les propos du Directeur de la police nationale concernant le refus de la détention provisoire du policier mis en cause à Marseille à propos d’un tir de LBD, « ne sont pas de nature apaiser » la situation. Il ajoute qu’une justice d’exception « n’est pas entendable dans un Etat de droit« .
Réforme de l’IGPN : « Les procédures doivent se dérouler sous le contrôle d’une commission donnant plus de garanties de neutralité »
Le secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police, Anthony Caillé, préconise, dans une tribune au « Monde », le recours à des magistrats, des parlementaires et des citoyens afin de rétablir un climat de confiance envers le service, et l’institution dans son ensemble.
En 2021, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, l’inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie de 1 093 enquêtes judiciaires. L’infraction la plus fréquente sur laquelle la police des polices a œuvré reste l’usage de la force, avec 510 enquêtes ouvertes, soit 47 % des enquêtes judiciaires. Pour mémoire, le service a prononcé 1 678 sanctions (administratives et judiciaires) en 2019, dont 39 exclusions définitives, 900 avertissements et 595 blâmes.
Bien que Brigitte Jullien, l’une de ses anciennes cheffes, ait affirmé que les policiers dans leur ensemble « craignent l’institution » – ce qui est vrai – et que « la définition d’indépendance s’applique à l’IGPN », il est aujourd’hui patent que la population doute de l’impartialité de ce service. L’argument le plus souvent avancé étant que des policiers qui poursuivent des policiers finissent toujours par « laver leur linge sale en famille », au détriment des justiciables. Or, le sociologue Sébastian Roché expliquait sur Franceinfo en 2020 : « Si les gens n’ont pas confiance dans le régulateur, ce système censé garantir le comportement des agents et sa conformité aux principes de liberté et d’égalité, il ne peut pas fonctionner. »
Impartialité de l’enquête
Cette solution extrême n’est pas souhaitable, car l’environnement technique et professionnel ainsi que la pratique de la police sont d’une telle complexité, d’une telle spécificité, voire d’une telle opacité, que seuls des policiers sont capables de s’y retrouver. Un organisme de contrôle qui ne serait composé que de membres extérieurs à l’institution policière verrait probablement ses enquêtes vouées à l’échec.
Aussi convient-il de trouver un juste équilibre, en plaçant les policiers enquêteurs de l’IGPN sous la surveillance d’un organe externe à la profession, qui reste partie intégrante du service. La création d’une commission, composée de magistrats, de parlementaires et de citoyens dûment habilités, placée auprès de la direction de l’IGPN pourrait être envisagée. Nonobstant, l’impartialité de l’enquête ne peut naître que de l’incontestable neutralité de ceux qui en ont la charge.
En Europe, d’autres choix ont été retenus. Au Danemark, l’autorité indépendante des plaintes contre la police, rattachée au ministère de la justice, associe des enquêteurs, des magistrats et des membres de la société civile. Un modèle similaire est en place aux Pays-Bas. En Belgique, l’inspection générale est un organe de contrôle indépendant sous la tutelle du Parlement. Son directeur est un magistrat et ses membres sont nommés par la Chambre des représentants. Au Royaume-Uni, l’Independent Office for Police Conduct, qui supervise le système de gestion des plaintes déposées contre les forces de police de l’Angleterre et du Pays de Galles, fonctionne sans policiers.
Sas de sécurité
En France, l’immense majorité des policiers est d’une rectitude parfaite, et les brebis galeuses sont heureusement rares. Toutefois, notre société engendre de plus en plus de situations qui conduisent à l’usage, de part et d’autre, de la violence. Si la moitié des saisines de l’IGPN concernent des faits de violence, ceux-ci sont majoritairement liés à des opérations de maintien de l’ordre.
Toute personne qui porte atteinte à l’intégrité physique d’un policier fait l’objet de poursuites « en droit commun » par les services de police judiciaire. Il paraît donc incontournable, concernant les policiers poursuivis, de disposer d’un organe spécifique chargé du contrôle de l’activité et de l’organisation de l’IGPN. Outre son pouvoir de contrôle en matière disciplinaire, cet organe renseignera l’administration et les commissions de discipline. En matière pénale, il veillera, en relation avec les magistrats, à ce que les enquêtes utiles soient correctement menées.
Dans tous les cas, les procédures devront se dérouler sous le contrôle d’une commission donnant plus de garanties de neutralité. Au surplus, un tel organe de contrôle devra être à même, avec pouvoir d’autosaisine, de constituer un sas de sécurité garantissant l’immunité des policiers « lanceurs d’alerte » durant les enquêtes subséquentes.
Violences policières : « La violence est grandissante dans la gestion du maintien de l’ordre« , juge le secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police
Si une trentaine d’enquêtes sont ouvertes à ce jour à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour des soupçons de violences policières, c’est « la faute aux armes utilisées » qui font que la « violence est grandissante dans la gestion du maintien de l’ordre », juge le secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police jeudi au micro de franceinfo.
Anthony Caillé estime que « l’institution policière est en crise ». Il a publié une tribune dans les colonnes du journal Le Monde mercredi 26 juillet pour appeler à réformer la formation, l’usage des armes et les instances qui contrôlent les écarts de la police, comme l’IGPN.
franceinfo : À quoi sont dues toutes ces enquêtes pour des soupçons de violences policières ?
Anthony Caillé : Notre institution traverse une crise et pas que l’institution policière d’ailleurs, les institutions de la République, et notamment celle de faire en sorte que tout citoyen soit en sécurité. On le voit bien depuis les manifestations pour la loi Travail, les retraites, le mouvement des « gilets jaunes »… La violence est grandissante dans la gestion du maintien de l’ordre. La faute à quoi ? Je pense aux armes utilisées, c’est une certitude.
C’est la faute des armes et du gouvernement ?
Je pense qu’il y a aujourd’hui un mésusage de l’armement dans la police nationale, ça c’est sûr. Utiliser un LBD [lanceur de balles de défense, type « Flash Ball »] dans une manifestation, pour moi, c’est à proscrire. C’est une arme qui a été destinée aux violences urbaines et non pas au maintien de l’ordre.
D’ailleurs, les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les gardes mobiles, qui sont des professionnels du maintien de l’ordre, s’en servent très peu. Ce sont essentiellement les Brigades anticriminalité (BAC) et les Compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI) qui utilisent ce type d’armes. Et puis surtout, la doctrine et le cap fixés par le gouvernement, la façon dont le gouvernement répond aux maux de la société et aux revendications des citoyens posent aujourd’hui problème.
Est-ce que Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, s’est placé au-dessus de la justice quand, dans les colonnes du Parisien / Aujourd’hui en France dimanche 23 juillet, il a affirmé qu’avant « un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison » ?
Au-delà de l’aspect réglementaire qui impose à tout policier, et aussi bien au premier policier de France, une obligation de neutralité, je pense que ses paroles ne sont pas de nature à apaiser ce qui est en train de se passer dans le pays.
Est-ce qu’une partie du problème dans le traitement des violences policières vient du fonctionnement de l’IGPN ?
Je ne dis pas forcément qu’il y a un dysfonctionnement dans le travail de l’IGPN. Je dis qu’il y a un problème de transparence de cette entité. On peut la réformer de plusieurs manières.
« La réforme que je propose me semble être une solution acceptable par tout le monde : garder l’IGPN comme elle existe, mais la mettre sous contrôle d’une commission nationale. »
Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police
sur franceinfo
Pour qu’on puisse rendre des comptes régulièrement et de la situation des affaires qui sont en cours. Ça existe déjà. Je prends l’exemple de la CNCTR, la commission nationale qui contrôle les écoutes administratives. En fait, moi je n’invente rien, je reprends ce qui existe dans certains cas et je pense que ça permettrait plus de transparence.
Il y a matière à inspiration chez nos voisins aussi en Europe ?
Oui, il y a matière à inspiration avec les pays nordiques, scandinaves, l’Allemagne… L’Angleterre a fait un choix totalement différent qui est radical : confier ses enquêtes à des personnes non-policières, et si vous avez été policier un jour, vous ne pouvez pas faire partie de cette commission d’enquête. Je ne pense pas que la méthode anglaise soit la bonne solution. Le droit est tellement compliqué, le métier de policier aussi. Je pense que se passer de policiers et de gendarmes dans un organe de contrôle, ça serait courir à l’échec.
Il y a un problème aujourd’hui entre la police et la justice ?
Non, il n’y a pas de problème. Il y a une méconnaissance du monde judiciaire de la part des policiers. Les jeunes policiers ne sont pas formés au monde judiciaire. Il y a un manque de transparence, il y a un manque de connaissances, il y a un manque de formation. Ces gens-là ne se parlent pas, mis à part les enquêteurs qui font de la police judiciaire (PJ).
« C’est un monde complètement différent et il n’y a pas de contact entre le policier de terrain qui bosse dans les commissariats et qui représente le gros des troupes et le monde judiciaire. Donc il y a une méconnaissance et une crainte de l’autre. »
Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police
sur franceinfo
C’est donc la formation qu’il faut changer aussi ? Comment ?
Oui, je pense que la formation chez nous n’est pas assez longue. Elle n’est pas assez pertinente. Il faut absolument ouvrir les écoles au monde de la société civile. Il faut faire rentrer des gens dans les écoles, des représentants de la société civile, des avocats, des magistrats notamment, pour développer tout ce volet judiciaire, juridique et savoir ce qu’est le travail d’un magistrat. Parce que là, aujourd’hui, on fait peser la faute sur les épaules d’un juge d’instruction.
Mais le juge d’instruction, il n’est pas tout seul. D’ailleurs, il prend cette décision sur quel fondement et sur quel socle ? Sur une enquête de police, sur un dossier, sur des éléments de policiers qui lui ont été donnés. Et son jugement, il ne le fait pas tout seul. Il a ses pairs autour de lui. Il demande ou en tout cas, il amène de la réflexion auprès de ses collègues. Il a une hiérarchie et surtout, aujourd’hui, il y a un juge des libertés et de la détention qui est là pour contrôler justement la légalité des faits.