L’article ci-dessous est paru le 10 avril 2024 et commente la position de la délégation CFDT sur l’échec le même jour de la négociation avec le patronat sur le « CDI Senior » et le « Pacte de la vie au travail« .
“Pacte de la vie au travail” : la négociation s’achève dans la douleur
Extrait de l’hebdo n°3915
Le temps additionnel n’aura pas permis d’arriver à un compromis qui satisfasse les organisations syndicales et patronales. Alors que la négociation « Pacte de la vie au travail » – sur l’emploi des seniors, les transitions-reconversions professionnelles et la prévention de l’usure professionnelle (le Cetu1 devant être traité à part) – devait se conclure le mardi 8 avril, l’épilogue s’est produit dans la nuit du 9 au 10 avril. Vers une heure du matin, le patronat a posé sur la table sa dernière proposition, de 44 pages, désormais à prendre ou à laisser. Après 48 heures de discussions, de tours de table lors desquels les organisations syndicales ont répété sans cesse leurs revendications, le patronat n’a fait que de timides concessions qui ne devraient pas permettre d’emporter l’adhésion de la partie syndicale. « Pendant deux mois, il y a eu beaucoup de discussions mais assez peu d’avancées concrètes qui auraient pu nous permettre de formaliser un accord, analyse-t-il. Et c’est plus que regrettable qu’en 48 heures nous n’arrivions à faire que ça. Le bilan est faible, » résumait devant la presse le chef de file CFDT Yvan Ricordeau.
De toutes petites avancées
Ainsi, concernant l’emploi des seniors, le document prévoit que les entreprises de 300 salariés et plus doivent négocier tous les trois ans sur « l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés seniors ». À l’origine, cette disposition n’était pas une négociation à part et obligatoire, mais un thème ajouté à la négociation relative à la GEPP2, et ne concernait que les entreprises de plus de 1 000 salariés. Au fur et à mesure des versions du projet d’accord, des thèmes « indicatifs » ont été ajoutés afin de cadrer cette négociation ; de petites avancées loin de satisfaire la CFDT, qui souhaitait cette négociation obligatoire dans les entreprises de 50 salariés et plus, avec des objectifs beaucoup plus précis et ambitieux.
Le « CDI seniors » est devenu un « contrat de valorisation de l’expérience » expérimental, mais le principe n’a guère différé : la dernière proposition inscrite dans le projet d’accord prévoit que ce contrat puisse être rompu à l’initiative de l’employeur dès que le salarié remplit les conditions d’une retraite à taux plein. Pour ce faire, le salarié remet à l’employeur, au moment de la signature de son contrat, un document indiquant sa date prévisionnelle de départ à la retraite. De plus, lors du départ en retraite, l’employeur est exonéré de la contribution patronale de 30 % sur le montant de l’indemnité retraite…
Les articles concernant le temps de partiel de fin de carrière (finançable avec l’indemnité de départ à la retraite), la retraite progressive (la CFDT souhaite que ce droit puisse s’ouvrir à 60 ans mais cette revendication n’a pas été reprise) ou encore le cumul emploi-retraite (la fin du délai de carence de six mois) n’ont pas connu de modifications notables.
L’épineuse question de la rupture du contrat de travail
Sur la partie transitions-reconversions professionnelles, un point bloquant selon la CFDT et d’autres organisations syndicales n’a jamais disparu au fur et à mesure des versions de l’avant-projet d’accord : la rupture du contrat de travail. Dans les dernières versions du texte, le patronat a quand même ajouté que le salarié, avant la fin de sa formation et dans le cas d’une reconversion (son « projet d’évolution professionnelle », PEP) entamée à son initiative, pour quelque raison que ce soit, peut demander à revenir dans l’entreprise ; simplement, il « peut », avec le risque que l’employeur lui refuse cette possibilité. Sinon, il s’agit d’une rupture du contrat assimilée à une démission légitime ouvrant droit à l’assurance chômage.
Si la reconversion a été co-construite par l’employeur et le salarié, et dans le cas d’une mobilité externe à l’entreprise, le contrat de travail serait « réputé rompu d’un commun accord entre l’employeur et le salarié ». Si le salarié est en contrat de professionnalisation, là aussi, il « peut » demander sa réintégration au cas où la période d’essai serait rompue dans l’entreprise d’accueil. Par ailleurs, le CPF du salarié est mobilisé pour financer sa transition-reconversion. Le texte prévoit également des entretiens professionnels renforcés à des âges et selon des intervalles précis.
Les revendications relatives à la prévention de l’usure professionnelle (introduire des CSSCT3 obligatoires dans les entreprises d’au moins 50 salariés, rendre obligatoire la désignation de représentants de proximité…) n’ont pas trouvé grâce aux yeux du patronat. Sur le sujet, la dernière version de l’accord, comme les précédentes, se contente surtout de rappeler les dispositions déjà en vigueur.
Quelques ouvertures mais pas de nouveaux droits
« Nous avons eu une petite ouverture concernant l’emploi des seniors. Nous avons progressé sur la définition des entretiens professionnels durant la carrière. Nous avons sans doute un peu plus stabilisé la question de la reconversion où, in fine, la dernière proposition fait en sorte que la rupture du contrat de travail existe toujours mais elle est mieux définie. Et les parcours d’évolution professionnelle collectifs sont moins dérogatoires par rapport aux questions de licenciement. Voilà en deux jours comment le texte initial du patronat a évolué. C’est maigre », a déclaré Yvan Ricordeau. « Dans le texte proposé ce soir, il n’y a aucun droit nouveau pour les salariés. » Selon le secrétaire général adjoint de la CFDT, cette fin malheureuse des discussions s’explique principalement par l’attitude du patronat, « qui ne voulait pas de cette négociation depuis le départ ».
Le Bureau national de la CFDT sera consulté la semaine prochaine afin de savoir s’il faut ou non signer cet accord, mais il n’y a guère de suspense quant à l’issue de cette consultation. La balle est à présent dans le camp du législateur, qui va reprendre la main. « La CFDT reste un acteur constructif et loyal, qui veut répondre aux attentes des salariés. Il y aura un projet de loi, nous reparlerons des points évoqués durant cette négociation », résume Yvan Ricordeau.
Peu d’engouement côté syndical
Du côté des autres organisations syndicales, Michel Beaugas (FO) a fait savoir que, dans cet accord, « il y a moins de destructions de droits des salariés que prévus mais pas de nouveaux droits, et surtout de grands manques ». Et d’ajouter : « Il y avait des ajustements à trouver, il semble que ce soit une fin de non-recevoir de la partie patronale. Au vu de cela, nous allons consulter nos instances. » La CGT dresse le même constat : il n’y a pas de droits nouveaux. De plus, « les organisations patronales ont une appréciation du monde du travail d’un autre temps », a déploré la négociatrice Sandrine Mourey.
Les négociateurs CFTC comptent, eux aussi, faire passer à leurs instances un avis défavorable. Idem du côté de la CFC-CGC : « En l’état actuel, sans droits nouveaux pour les salariés, je vais proposer au comité directeur de ne pas signer cet accord », a déclaré Jean-François Foucard. Hubert Mongon, le négociateur du Medef, a estimé avoir « essayé jusqu’au bout de répondre aux besoins et aux attentes » et s’est dit « lucide sur l’issue de cette négociation ». Et de conclure : « En cas d’échec de la négociation, le gouvernement prendra ses responsabilités et, si besoin, nous pousserons nos propositions. »
Match retour au sujet du Cetu ?
Fabrice Dedieu, journaliste
Notes :
1. Compte épagne-temps universel.
2. Gestion des emplois et des parcours professionnels.
3. Commissions santé, sécurité et conditions de travail.