Le 19 septembre prochain, les syndicats d’EDF mobilisent contre le projet de démantèlement d’EDF (dit Hercule) entre une entité « bleue » (production) et une entité « verte » (surtout distribution et services), celle-ci grande ouverte aux capitaux privés. Le CCAS (comité d’entreprise EDF) prend sa part de la mobilisation. Il a le soutien des Economistes atterrés. Voit l’interview ci-dessous.
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“Le plan Hercule n’est que la continuité de la destruction de l’outil industriel français”
Concurrence libre et non faussée, privatisation qui engendre mécaniquement la baisse des prix… Au rang des mythes économiques que démonte David Cayla, membre des Économistes atterrés, le plan Hercule ne fait pas exception.
Bio express
David Cayla est économiste, maître de conférences à l’université d’Angers, et membre du collectif des Économistes atterrés. Il est l’auteur, avec Coralie Delaume, de “la Fin de l’Union européenne” (Michalon, 2017), et plus récemment de “l’Économie du réel. Face aux modèles trompeurs” (De Boeck Supérieur, 2018).
Dans votre livre “l’Économie du réel”, vous montrez que l’efficacité des marchés est un mythe. Sur quoi vous fondez-vous pour remettre en cause ce dogme de l’économie moderne ?
L’hypothèse d’efficacité des marchés est fondée sur la manière dont les économistes conçoivent les comportements. Ils estiment que tout agent réagit mécaniquement aux incitations créées par les prix. Lorsque le prix augmente, l’offre est censée croître et la demande diminuer. Ils en déduisent qu’il existe un prix optimal qui égalise l’offre et la demande.
Mais ce modèle est systématiquement pris en défaut. Ainsi, la hausse des prix ne fait pas forcément diminuer la demande. C’est le problème de la taxe carbone : si aucune alternative n’existe, l’automobiliste n’a pas le choix que de payer le gasoil au prix fort et l’incidence sur les émissions de CO2 est nulle (pas celle sur le pouvoir d’achat).
De même, la hausse des prix n’engendre pas toujours une hausse de l’offre. Tant qu’il fait une marge, un producteur est incité à produire un maximum. Rien ne permet d’affirmer qu’une hausse de prix et donc de la marge le fera produire plus. Les producteurs sont toujours incités à produire le plus possible, surtout lorsqu’ils produisent à rendements d’échelle croissants.
En somme, rien de démontre que les hypothèses avancées par les économistes pour justifier les “lois de l’offre et de la demande” soient valides et surtout, rien ne permet d’affirmer que le libre jeu de l’offre et de la demande maximise le bien-être social.
Si l’électricité est ouverte à la concurrence, nous pourrions avoir, d’après la théorie économique, un “marché parfait” : des millions de consommateurs et de nombreux producteurs fournissant la même marchandise. Même dans ce cas, le marché ne fonctionne pas ?
Les libéraux reconnaissent que tous les marchés ne fonctionnent pas comme la théorie les décrit. Ils admettent qu’en réalité la concurrence est souvent faussée. L’une des parties, en général les offreurs, dispose d’un pouvoir de marché qui lui permet de détourner partiellement les effets du marché à son profit. Ils en déduisent qu’il faut multiplier les offreurs et accroître l’intensité concurrentielle – notamment via le libre-échange – pour réduire les pouvoirs du marché et améliorer l’efficacité.
Je montre dans mon livre que la concurrence est tout autant un mythe que les “lois du marché”. Dans un secteur comme celui de l’électricité, où le coût des infrastructures est élevé et les technologies très variées, il est illusoire de chercher à organiser une concurrence parfaite. Pire, lorsque les coûts fixes sont importants et les rendements d’échelle croissants, la multiplication de petits producteurs se traduit par une moindre efficacité.
L’expérience des libéralisations ne démontre pas que l’ouverture à la concurrence engendre une baisse des prix. Si ce fut le cas pour les télécoms ou le transport aérien, on est loin du compte pour l’électricité ou le fret ferroviaire. Fondamentalement, c’est moins la concurrence qui détermine les prix que l’innovation et les ruptures technologiques.
Le plan Hercule vise à séparer les activités d’EDF afin de vendre une partie des actifs. Que pensez-vous de cette opération ?
C’est une opération classique. Derrière l’argument sécuritaire, on cherche à nationaliser les pertes du secteur nucléaire plombé par le rachat d’Areva et les surcoûts de l’EPR… et à privatiser les profits des autres activités d’EDF, notamment ceux de l’hydroélectricité.
Avec le démantèlement d’Alstom, la nonchalance managériale des administrateurs de l’État chez Renault et Airbus, Emmanuel Macron est passé maître dans la destruction de l’outil industriel français. Le plan Hercule n’est que la continuité de cette stratégie.
Pour les libéraux, les services publics et les entreprises publiques manquent d’efficacité. À l’inverse, le risque et les perspectives de profit caractéristiques de la gestion privée garantiraient un fonctionnement économique optimal. Est-ce encore un mythe ou une réalité ?
Le fait qu’une entreprise fasse du profit ne signifie aucunement qu’elle soit efficace. Microsoft est l’une des entreprises les plus profitables au monde. Ce profit ne vient pas de son efficacité à produire des logiciels performants au moindre coût, mais de sa position monopolistique dans le secteur des systèmes d’exploitation pour PC. Microsoft est assis sur une rente qui lui permet de faire payer un prix exorbitant pour des logiciels dont le coût marginal est quasi nul.
De même, lorsqu’un service public comme un hôpital est en déficit, cela ne signifie en rien qu’il soit inefficace car, contrairement à Microsoft, les hôpitaux ne font pas payer leurs usagers. De plus, pour limiter les dépenses de santé, l’État n’a cessé de réduire les tarifs hospitaliers. Ainsi, les déficits sont le produit des seules politiques publiques et non d’une quelconque inefficacité.
L’efficacité du secteur public a été maintes fois démontrée. Dans le domaine de l’eau, les études prouvent que les prix des régies publiques sont plus faibles que ceux des entreprises privées.
Vous êtes l’un des initiateurs du référendum d’initiative partagée sur la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Pourquoi refusez-vous cette privatisation et quel est l’enjeu du référendum ?
Tant dans ses conditions que dans son principe, cette privatisation est, je l’ai déjà dit ailleurs, un scandale. On entend brader un actif rentable pour abonder un fonds financier qui rapportera moins que les actifs vendus. De plus, ADP étant en situation monopolistique, on risquerait d’aboutir, comme pour les autoroutes, à une hausse des taxes qui se fera au détriment des compagnies et des usagers. Enfin, on laisse à des intérêts privés le soin de gérer des infrastructures stratégiques sans que soient prises en compte les questions liées à l’environnement et à l’aménagement du territoire.
Avec Coralie Delaume, nous avons lancé en février dernier une pétition qui a reçu 300 000 soutiens et a contribué à la prise de conscience citoyenne. Les parlementaires d’opposition ont alors contraint le gouvernement à engager un référendum d’initiative partagée. L’enjeu du référendum est d’empêcher la privatisation d’ADP en en faisant un service public national. Ce serait une première victoire contre le démantèlement du secteur public qui pourrait en appeler d’autres, notamment pour l’énergie.