Lire ci-dessous un compte rendu de voyage en Ukraine pour y apporter deux véhicules (« donnés » par Renault) à la demande de la fédération des syndicats d’Ukraine (FPU) et la fédération des syndicats indépendants (KVPU). Le geste a l’air modeste, mais s’inscrit dans une démarche intersyndicale large impliquant CFDT, CGT, Solidaires, rappelée ici par cette militante de Solidaires, qui montre combien il est important d’établir ces contacts et les entretenir.
D’autres compte-rendus d’activité sur le site de l’Union syndicale Solidaires :chroniques_convoi
Depuis le mois de mars 2022, une démarche intersyndicale a été engagée et elle réunit toutes les organisations syndicales françaises.
L’objectif, au-delà de l‘expression commune d’une solidarité aux travailleurs, aux réfugiés et à la population d’Ukraine, a été de mettre en place un convoi intersyndical qui amènerait de l’aide en Ukraine.
L’objectif par cette action est d’aider nos contacts syndicaux en Ukraine, qui travaillent dans des conditions difficiles, qui risquent leur vie et qui sont engagés aussi pour certains dans la défense civile, pour d’autres dans l’aide aux réfugiés qui partent de l’est pour se rendre dans l’ouest du pays. C’est aussi de mobiliser les syndicats français par le travail de leurs militants et qui peuvent ainsi trouver des ressources dans leur entreprise. Le dernier point est essentiel. C’est par la rencontre et la discussion avec nos camarades ukrainiens que nous pouvons savoir leur appréciation de ce qui se passe, leurs engagements et leurs problèmes liés à la situation de travailleurs pendant la guerre. C’est cela, au-delà de nos appréciations sur la guerre, qui fait nos prises de positions et notre solidarité concrète.
Cette première initiative du convoi intersyndical a été d’acheminer en Ukraine deux véhicules Renault Traffic que Renault a accordé comme geste humanitaire à la demande des syndicats de l’entreprise, menés par la Confédération Générale du Travail (CGT) et par la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT). Dans les faits, ce geste a été plus compliqué qu’annoncé puisque qu’il ne s’agissait pas d’un véritable don et que cela a rendu difficiles toute les démarches pour donner effectivement les véhicules sur place à la fédération des syndicats d’Ukraine (FPU) et à la fédération des syndicats indépendants (KVPU).
La CGT et l’Union Syndicale Solidaire (USS) ont constitué la délégation chargée d’acheminer les véhicules, composée de cinq militants dont quatre chauffeurs, deux militants étant des militants russophones. Il y avait quatre militants de la CGT et une militante de l’USS. Nos camarades des syndicats ukrainiens avaient organisé un accueil à Oujhorod, ville frontière entre la Slovaquie et l’Ukraine, dans la région de Transcarpatie peu touchée par les opérations militaires russes.
Le départ a eu lieu le 25 juin 2022. Il était important de partir vite, car le gouvernement ukrainien avait annoncé la taxation à hauteur de quarante pour cent des véhicules d’exportation à partir du premier juillet 2022. Le voyage a été mouvementé. Nous avons mis plus de trente heures à passer la frontière, tachant de régler l’ensemble des problèmes administratifs, Renault ne voulant pas bouger de ses positionnements initiaux. Les démarches ont fini par faire que nous puissions effectivement donner les camionnettes. Elles sont maintenant propriétés des syndicats et immédiatement utiles, celle de la FPU pour les réfugiés à l’ouest de l’Ukraine, celle de la KVPU est partie immédiatement au Donbass pour fournir de l’aide matérielle à la défense civile et aux populations encore sur place.
Les retards liés à ces difficultés à la frontière ont réduit le temps pour les discussions avec les syndicats en dépit d’un accueil très chaleureux et de nombreux remerciements. Mais nous les avons rencontrés et nous avons pu apprécier à quel point cette démarche a été utile pour eux et combien le soutien de syndicats hors d’Ukraine est important. La FPU, présente dans la région où nous nous trouvions, est le syndicat issu des syndicats de l’ancienne Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), elle n’est plus liée au pouvoir, elle a plusieurs millions de membres et elle a encore beaucoup de moyens, notamment des centres de vacances et des sanatoriums où elle héberge les réfugiés de l’intérieur. La KVPU que nous avons vu en coup de vent est un syndicat indépendant dans lequel sont présentes des sections radicales, avec lesquelles l’USS est en relation, et d’autres qui le sont moins.
Nous avons vu de nombreuses réfugiées avec leurs enfants. Nous pouvons employer le féminin car les hommes sont en général restés sur place soit pour travailler, soit sur le front. Nous avons été hébergés dans un sanatorium de la FPU près de la ville de Moukatchevo où il y avait cinq cent réfugiés, des femmes, des enfants et des bébés qui grandissent dans des conditions difficiles avec des mères souvent très angoissées. Il n’y a pas de scolarisation organisée par le syndicat, il n’en a pas les moyens, il y a peut-être des cours à distance, car la période du coronavirus avait mis en place ce type d’enseignement, mais ce n’est pas certain que tous les enfants en bénéficient. C’est un lieu chaleureux, très bien situé, la Transcarpatie est une région montagneuse, mais les locaux sont vétustes et les chambres sont sur-occupées. Le syndicat aide certaines personnes pour les biens de première nécessité, parmi celles qui ont le plus de difficultés. Nous avions acheté quelques produits que nous avions mis dans les camionnettes. Ce don était symbolique mais il a été apprécié. Des centres comme celui-ci ont été vendus par la FPU faute de moyens de les entretenir. Il n’est pas certain que de tels lieux privatisés servent de la même façon maintenant. Leur utilisation de ces centres et leur action de solidarité est véritablement utile pour les réfugiés.
La région est épargnée jusqu’à présent par l’armée russe et les signes de la guerre sont plus limités qu’ailleurs, restrictions d’usage de l’électricité, mais il n’y a pas de couvre-feu et il n’y a pas de barrages sur les routes, même s’il y a des sacs de sables par endroits, des panneaux d’affichages pour les soldats et contre les russes et des soldats à la gare d’Oujhorod. C’est une région où les ultra-nationalistes sont peu présents. Néanmoins, nous avons vu une grande tristesse partout liée à la présence des réfugiés, des familles séparées et des nouvelles qui tombent régulièrement sur le front et sur les bombardements qui touchent les civils comme celui d’un jardin d’enfant à Kiev ou du centre commercial de Krementchouk pendant que nous étions là-bas.
La situation de gravité est renforcée à la frontière. À l’aller, nous voyons des voitures qui amènent des enfants pour qu’ils voient leur père et des femmes font du stop car on ne peut pas passer la frontière à pied. D’autres véhicules amènent de l’aide. Des immigrés ukrainiens vivant en France viennent discuter et constatent avec surprise que les syndicats font ce travail. À notre retour, la frontière est celle de l’exil pour les réfugiés. Les ukrainiens qui sortent avec le bus dans lequel nous nous trouvons le font pour beaucoup pour la première fois. Ce sont des femmes de l’est, essentiellement russophones. Les hommes de dix-huit à soixante ans n’ont pas le droit de quitter le pays en raison de la mobilisation générale des personnes soumises à la conscription et des réservistes et les mesures sont encore renforcées puisque, depuis le début du mois de juillet 2022, ils ne sont pas autorisés à quitter leur domicile. Il y a des enfants et leurs animaux de compagnie. Cela fait déjà quatre mois de guerre. Pour ceux du Donbass, cela a commencé en 2014 et ils vont rejoindre des personnes déjà exilées. Selon le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) de l’Organisation des Nations Unies (ONU), quatre millions huit cent mille réfugiés d’Ukraine ont été enregistrés à travers l’Europe d’après un décompte établi le 7 juin 2022. Nous assistons à des coups de fils angoissés et à des adieux des enfants à leur père à la frontière.
Du côté slovaque l’accueil n’est pas une bienvenue. C’est sans doute différent aux postes de frontière avec la Pologne ou la Roumanie. A 4 heures du matin, alors que les réfugiés sont dans le bus et à la frontière depuis 20 heures du soir, les réfugiées et les enfants sont pressés, leurs bagages sont descendus du bus et ils sont fouillés sans ménagement, les ordres en anglais sont aboyés pour accélérer le contrôle. Une femme tzigane a droit à un traitement renforcé.
Le retour est long, il fait quarante degrés depuis plusieurs jours. Nous recevons encore des messages de remerciements. Nous savons qu’un des participants s’est vu offrir une carte SIM dans une boutique de Lviv après qu’il ait raconté notre périple. La solidarité des syndicats français est appréciée. Elle doit continuer.
Nous rentrons avec la perspective du train qui va partir avec trois wagons de biens à destination des syndicats. Nos camarades du Syndicat Unitaire et Démocratique (SUD) du Rail sont aux premières loges des discussions d’organisation. La mobilisation continue dans les entreprises pour obtenir des dons et toujours pour contribuer financièrement.
Verveine