Syndicalisme en dix questions : un petit livre à lire

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La Révolution prolétarienne, la revue fondée par Pierre Monatte en 1925 et toujours active, publie une interview de Guillaume Goutte, militant CGT, à propos de son excellent petit livre : « Dix questions sur le syndicalisme » (éditions Libertalia-2023-110 pages). Nous recommandons cette lecture à celles et ceux qui veulent savoir en peu de pages ce qu’est le syndicalisme de lutte de classe et unitaire. Très utile par les temps qui courent! 

  • Lire La Révolution Prolétarienne : https://revolutionproletarienne.wordpress.com

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Entretien avec Guillaume Goutte, auteur de Dix questions sur le syndicalisme

 

 Guillaume Goutte, militant du Syndicat général du Livre de la CGT, vient de publier le petit ouvrage Dix questions sur le syndicalisme (Libertalia, 2023, 8 euros). Il a accepté de répondre à nos questions.

La RP : Dans ton livre, tu rappelles l’engagement de Pierre Monatte et de La Révolution prolétarienne en faveur de l’indépendance syndicale et du syndicalisme révolutionnaire (p. 61) ; comment penses-tu que cette orientation peut intéresser aujourd’hui de jeunes travailleurs précaires, qui souvent se syndiquent peu ?

Guillaume Goutte : C’est une orientation qui permet de ne tomber dans aucun des travers des autres types de syndicalisme : en alliant revendication immédiate et aspiration révolutionnaire, en refusant de faire le jeu de l’antagonisme, elle permet une action syndicale en prise avec les réalités mais pour laquelle le souci du pragmatisme ne vient pas annihiler toute perspective de révolution. En affirmant que rien n’est étranger au syndicalisme, le syndicalisme révolutionnaire rend la confédération syndicale légitime  pour  s’emparer  de tous les sujets, il sort la pratique syndicale du seul cadre de l’entreprise pour lui faire épouser les combats écologiste, féministe, antiraciste… Nombre de jeunes travailleurs sont à la recherche de ces convergences, que j’appellerais plutôt, dans le cadre du syndicalisme, « une confédéralisation des luttes ». Enfin, en prônant le modèle du syndicat local professionnel (un même syndicat pour tous les travailleurs d’une même profession d’un même territoire) contre celui du syndicat d’entreprise (qui ne réunit que les salariés d’une même boîte), le syndicalisme révolutionnaire propose une structure syndicale capable d’accueillir les travailleurs précaires, dépendant souvent de plusieurs employeurs et jonglant avec les entreprises et les statuts, et de leur donner les moyens de construire et de porter leurs revendications, en s’appuyant sur les secteurs moins précaires et souvent plus syndicalisés de leur profession. Ce modèle permet aussi de construire une vraie politique syndicale d’industrie (pour le contrôle ouvrier du contrat de travail, pour une politique salariale de branche…), ce que ne permet pas le syndicat d’entreprise, replié dans sa boîte, souvent coupé des réalités de sa branche et très institutionnalisé (CSE, etc.). Enfin, l’exigence d’indépendance portée par le syndicalisme révolutionnaire permet de penser et de construire le syndicalisme comme une pratique autonome de la lutte des classes, en le débarrassant des divisions alimentées par les logiques prédatrices des organisations politiques qui voudraient soumettre les syndicats à leur agenda. Elle permet au syndicalisme de retourner à l’essentiel, à savoir la défense des intérêts du monde du travail et la construction des processus d’émancipation intégrale des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes.

La RP : Tu montres dans Dix questions sur le syndicalisme la nécessité pour les syndicats d’être activement antifascistes (p. 71-79). Que faut-il faire à ton avis pour que des syndiqués cessent de se tirer une balle dans le pied en votant pour l’extrême droite ?

G.G. : De l’information et de la formation syndicales, surtout. En cela, les syndicats ont  un rôle  important   à jouer et  une  responsabilité  historique  à  honorer.  Il leur faut d’abord être intransigeants, en affirmant sans sourciller qu’il ne peut y avoir de place dans le syndicat pour les discours fascistes, racistes, antisémites, sexistes, homophobes et ceux qui les portent. Mais cette rigueur doit s’accompagner d’un important travail de formation des militants syndicaux sur ces questions : apprendre à connaître l’extrême droite, à la reconnaître,  à  déconstruire ses discours « sociaux », à démasquer ses impostures… Pour cela, le syndicalisme doit sortir du seul terrain de l’entreprise  et de  ses institutions, c’est primordial pour qu’il soit  en prise avec  ces sujets. Une fois  les militants formés,  il faut aller à la porte des entreprises et des centres    de formation, à la sortie des métros pour aller au contact des travailleurs et informer  sur  les  dangers de l’extrême droite : tracter, discuter, bref, informer, par tous les moyens possibles. Notre antifascisme ne peut pas être seulement un antifascisme de rue, qui    se contenterait de manifester une fois par an contre la haine ou d’appeler à faire barrage dans les urnes tous les cinq ans… Enfin, il faut avoir conscience que le fascisme prospère aussi sur le manque de sociabilité. Pour enrayer la progression de l’extrême droite, le syndicalisme doit être autre chose qu’un « service public juridique en droit du travail » : il doit construire des sociabilités de classe, comme il le faisait autrefois autour des Bourses du travail, pensées comme de véritables contre-sociétés ouvrières, qui proposaient des sociabilités nouvelles, en rupture avec l’individualisme et l’isolement, faites de solidarité interprofessionnelle, d’entraide, d’éducation et de culture. Nous devons renouer avec ces ambitions et ces pratiques   et, pour cela, nous devons réinvestir et redynamiser nos Bourses du travail et nos unions locales, qui sont les structures syndicales territoriales de proximité par excellence et devraient constituer le vrai tissu social de notre classe.

La RP : Tu as participé au récent congrès de la CGT. Quelles impressions en retires-tu concernant l’avenir du syndicalisme ?

G.G. : Ce fut un congrès assez désastreux, à bien des égards, qui a montré combien la CGT était fracturée. On a beaucoup insisté, notamment dans les médias, sur la guerre des places, en mettant en avant des « personnalités » censées incarner des lignes opposées. En réalité, il n’y avait pas beaucoup de fond politique dans cette guerre interne à la bureaucratie. Les opposants à Philippe Martinez ne sont pas vraiment plus « durs » que ses partisans, ils affichent simplement des postures plus radicales. Mais il s’agit d’un radicalisme sans lendemains, hors-sol, qui se heurte en permanence à la réalité du syndicalisme dans leurs territoires ou leurs professions, qui est celle de tout le syndicalisme de classe aujourd’hui, à savoir des déserts syndicaux et des syndicats affaiblis ou trop institutionnalisés pour incarner un syndicalisme véritablement orienté sur la construction de la grève générale. Martinez a payé des choix qui, s’ils sont pertinents  en eux-mêmes (rejoindre le collectif Plus jamais ça !  – Alliance écologique et sociale, par exemple), ont été pris sans trop se soucier de la vie démocratique de la CGT,  il  a  aussi  payé  sa maladroite  sortie en  faveur d’une « médiation » dans le conflit des retraites ; en cela,  la plupart des votes qui ont mis en échec la direction sortante ont moins été un désaveu de l’activité passée que l’expression d’une défiance, une sorte de « vote sanction ». L’opposition à Martinez s’est notamment construite autour d’unions départementales et de fédérations qui revendiquent leur appartenance – idéologique pour certaines (UD 13, Chimie), purement opportuniste pour d’autres (Commerce) – à la Fédération syndicale mondiale (FSM), un réseau aux accents crypto-staliniens et proche de certains régimes dictatoriaux (Corée du Nord, Syrie…). En cela, c’est sans doute assez révélateur de leur propre conception de la démocratie – autoritaire – et de l’indépendance syndicale, même si le jeu des partis politiques dans cette histoire est assez flou, avec des appartenances variées et qui se recoupent parfois, notamment s’agissant du PCF. Finalement, cette ligne, qui est surtout une his- toire de postures, a été mise en échec par le congrès : non seulement ses chefs de file  ne sont pas parvenus à imposer leur candidat au poste de secrétaire général, mais ils ont aussi été désavoués par un vote sur   le rapprochement avec la FSM, rejeté à 73 % par le congrès. Le choix de Sophie Binet comme secrétaire générale est un compromis (comme l’avaient été Martinez et Lepaon avant elle), sans doute le moins mauvais ; c’est une camarade issue de l’appareil, mais une  bosseuse,  qui  maîtrise  ses  sujets,  et  en  qui, je crois, on peut avoir confiance pour maintenir les élans  positifs  donnés à la CGT par la direction précédente, notamment concernant le féminisme et l’écologie. Mais la composition du  Bureau  confédéral peut laisser craindre de voir la direction confédérale se fracturer à son tour assez vite. Finalement, le plus grand drame aura été que les manœuvres autour de la  succession de Martinez auront occulté les vrais débats qui auraient dû mobiliser ce 53e congrès : nous n’avons eu aucune discussion sérieuse sur la structuration de la CGT (quels types de syndicat pour faire face aux évolutions du salariat et gagner une implantation massive ?), sur l’avenir des unions locales et leur place dans le retour d’un syndicalisme de proximité et de sociabilité, sur comment allier les  questions  d’emploi et d’écologie au-delà des débats sur nos liens avec les ONG, sur comment chasser le fascisme du pouvoir s’il y parvient en 2027… On pourrait aussi parler de la grève générale, en ces temps de mouvement social, mais ce serait mettre la charrue avant les bœufs : une grève générale se construit à partir de syndicats locaux d’industrie solides et d’un tissu social dense ; ce dont le mouvement syndical manque cruellement en 2023.

La RP : Mais en 1936 les travailleuses et travailleurs d’entreprises sans aucun syndicat avaient rejoint la grève générale, sans d’ailleurs aucun appel syndical préalable en ce sens. La question est donc bien plus vaste que l’absence de syndicats locaux, non ?

G.G. : Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler de grève générale en 1936, plutôt d’une généralisation des grèves, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Une grève générale, c’est  un  mouvement  concerté de grèves multiples qui touchent l’ensemble de l’appareil productif et des services. En 1936, on a des grèves spontanées, mais pas concertées, qui se multiplient, et d’ailleurs sans vraiment de portée révolutionnaire, même dans les occupations. Mais, oui, les syndicats ouvriers ne sont pas directement  à l’initiative des multiples  grèves  et  occupations de 1936. Mais ce sont bien des militants syndicalistes, pour la plupart issus de l’ex-CGTU, qui les impulsent et les animent, et qui depuis des années fécondaient le terreau sur lequel elles ont germé. Ces grèves ont été spontanées, mais elles ne sont pas tombées du ciel ! Elles restent, la plupart du temps, l’œuvre  de militants de classe, qui ont fait  le tour des quartiers et des boîtes pour en créer les conditions. Et ces militants proviennent du syndicalisme d’industrie, les syndicats d’entreprise et leur culture corpo n’existaient pas encore à l’époque.  Il  y avait une vraie pratique de la mobilisation professionnelle, une coutume. Ces grèves se sont appuyées sur des réseaux et un tissu social militants qui préexistaient, soigneusement construits et entretenus depuis des années par les syndicalistes de classe. Ça rejoint ce que je disais sur la sociabilité, avec laquelle il nous faut renouer pour créer, ici et maintenant, une contre-société. Car, aujourd’hui, nous n’avons plus ce réseau social et nous avons largement perdu, excepté dans quelques secteurs,  le savoir-faire de la mobilisation professionnelle, anéantie par plusieurs décennies de syndicalisme d’entreprise institutionnalisé, sur le terrain de l’employeur. Ce sont ces coutumes,  ces  cultures que la renaissance des syndicats locaux professionnels peut engendrer et dont nous avons besoin pour reparler un peu sérieusement de grève générale. Mais tu as raison, la question ne se limite pas aux syndicats locaux : il faudrait aussi parler de la disparition de toute tradition gréviste dans la plupart des entreprises, ce que le mouvement social de ce début 2023 montre dans une lumière crue. La manifestation est devenue centrale dans l’imaginaire du rapport de force : on en a fait l’alpha et l’oméga de la contestation, le lieu d’expression des antagonismes, balayant la grève et les autres modes d’action directe de notre classe, pourtant tellement plus efficaces et socialisants. Nous aurions d’ailleurs pu, dû, avoir ce débat au 53e congrès de la CGT ! C’est la culture de la gauche qui est venue contaminer et dévitaliser la coutume ouvrière, et neutraliser une partie du pouvoir du mouvement syndical. Or, sans cette tradition gréviste, difficile, là encore, de parler de grève générale.

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26 La Révolution prolétarienne – juin 2023

 

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