Syndicalisme et gilets jaunes : réflexions d’Annick Coupé

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Cette réflexion d’Annick Coupé est parue sur le site www.lefildescommuns.fr

Alors que le mouvement des Gilets Jaunes est en phase de dépasser les records de longévité du mouvement social en France, la CGT et Solidaires ont appelé à une journée de grève interprofessionnelle le 5 février. L’équipe du Fil a rencontré Annick Coupé pour discuter de l’avenir du mouvement syndical et social. 

« On est dans une situation que je n’ai jamais connue avec, dans le même moment, un mouvement durable et déterminé pour plus de justice sociale,  la montée d’un mouvement large contre le réchauffement climatique et un espace politique dans une crise immense. Le capitalisme n’a jamais été à ce point délégitimé et la gauche, dans son ensemble, est en décomposition sur pied.

Le mouvement syndical est enferré dans sa propre crise. Ça fait des années qu’il est traversé de profondes divergences entre ses deux pôles, le syndicalisme d’accompagnement et le syndicalisme de transformation.

L’ appel tardif lancé par la CGT à une journée de grève et de mobilisation interprofessionnelle le 5 février relève de ces difficultés. Il est un signe donné pour dire que le mouvement des Gilets jaunes peut se raccorder à un syndicalisme de lutte. Mais il est lancé alors même que les analyses au sujet de ce mouvement sont très clivées, y compris au sein de la CGT. Une partie des syndicalistes continue de voir ce mouvement comme une contestation réactionnaire. Et tou.te.s, favorables ou non à ce mouvement, sont confronté.e.s à la critique que leur renvoie les Gilets jaunes. Sur les ronds-points, il y a beaucoup de salarié.es qui soit sont précaires ou chômeuses et chômeurs, soit sont dans des secteurs où le syndicalisme est absent. Ils et elles ont rarement fait l’expérience d’un syndicalisme utile à leur coté et nourrissent donc une défiance à son endroit. Ce mouvement est donc aussi une remise en cause du syndicalisme tel qu’il existe aujourd’hui, c’est-à-dire concentré dans les grandes boites, dans certains secteurs et dans le service public. Nous nous le prenons en pleine figure. Cette situation n’est pas un choix du mouvement syndical, qui depuis des années cherche à se désenclaver, mais cela crée une réelle difficulté.

Je ne vois pas d’autres solutions que de se confronter à cette situation, en entrant autant que possible dans le mouvement. Ce n’est évidemment pas simple car les forces du syndicalisme sont précisément dans les territoires où le mouvement des Gilets jaunes s’est moins développé, comme en région parisienne. Dans les petites et moyennes villes, la situation peut être différente. Là, des syndicalistes, connu.es comme tels, sont présent.es sur des ronds-points et le plus souvent il n’y a pas de difficulté si ils/elles  acceptent d’être un.e parmi d’autres. Mais il y a aussi des endroits où c’est plus compliqué…

Ce mouvement révèle un monde du travail encore plus éclaté que nous ne le disons. Il n’y a pas seulement des différences entre salarié.es en CDI, précaires et chômeurs/chômeuses. Il y a aussi des différences entre les lieux de résidence. Les salarié.es des grandes villes, où il y a encore de l’activité, se sentent surement un peu plus à l’abri … Mais il y a un sentiment largement partagé par toutes et tous que, globalement, cela ne va pas. D’où le soutien au mouvement que révèlent les sondages. Inversement, ce mouvement des Gilets jaunes ne se développe pas  forcément dans les territoires où  syndicats et associations de luttes sont bien présents ; et pourtant nous retrouvons certaines de nos  idées et revendications dans les exigences des Gilets jaunes. Il y a de la circulation d’idées et des communautés de questions.

Il nous faut mieux comprendre les contradictions qui existent dans notre société entre les différentes formes de domination. Cette exigence ne concerne pas que les syndicats, elle concerne l’ensemble des mouvements sociaux. Et il nous faut retravailler sur les chemins de l’unification des opprimé.e.s. Cela ne se fera pas par le haut, par des appels  généraux à la convergence des luttes, déconnectée de des contradictions et des réalités diverses vécues par les un.es et les autres.

Je pense que la réponse est celle de droits égaux pour toutes et tous. Cela permet de ne pas laisser de terrains à l’extrême droite qui investit le champs du social avec ses idées racistes et d’exclusion dans ses bagages. Cela permet de poser, à coté de la question de la répartition des richesses, des sujets plus transversaux  comme par exemple le service public, mais aussi les questions d’égalité femmes/hommes, des discriminations racistes ou le droit à un environnement sain…

Je crois aussi qu’il nous faut user avec précaution de la notion de convergence. Assa Traoré, comme d’autres militant.es des luttes des quartiers populaires,  le dit souvent et fermement : la convergence se fait souvent sur le terrain des plus forts, c’est-à-dire des salarié.es les plus stables et le plus organisé.es. Si on veut faire cause commune avec les habitant.es des banlieues et ceux des villes petites et moyennes ou des zones rurales, il faut construire ensemble ces terrains de luttes et pas chercher une convergence en forme de ralliement. Il faut prendre la mesure des réalités qui sont parfois contradictoires.

Ce chemin n’est pas facile. J’ai aussi constaté depuis pas mal d’années qu’il est parfois difficile pour les militant.es de faire le travail de convictions dans les entreprises quand les idées d’extrême droite progressent. L’entreprise n’est plus le lieu de « socialisation » qu’elle a pu être dans d’autres périodes. La diversité des statuts au sein d’un même lieu de travail, les pressions sur les conditions de travail… tout cela ne facilite pas le travail militant sur le terrain… . D’où parfois cette oscillation entre des appels parfois incantatoires à la grève générale et les difficultés de concrétiser les mobilisations le terrain.

Tous les mouvements sociaux doivent  surement tous repenser leurs actions, leurs stratégies, leurs réflexions sur une perspective d’émancipation au XXIe siècle. Mais il n’y a pas de lieux pour cela aujourd’hui où pourraient se retrouver syndicalistes, militant.es associatifs, intellectuel.les… C’est une vraie difficulté. «

4833134Annick Coupé, ancienne porte-parole de l’Union syndicale Solidaires et actuellement engagée dans Attac.

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