L’article ci-dessous est prévu pour mars 2017 dans les Cahiers de l’Institut d’histoire sociale CGT. René Mouriaux, docteur en sciences politiques, spécialiste du syndicalisme, passe en revue le discours du Front national sous la direction de Marine Le Pen.
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Postures et imposture du marino-lepénisme
Montreuil, le 27 février 2017
Vous pouvez lire, ci-dessous, l’article qui sera publié dans le prochain numéro des Cahiers de l’Institut CGT d’histoire sociale (mars 2017) à la rubrique Actualités. Cette adresse exceptionnelle à l’ensemble des adhérents de l’IHS CGT est motivée par le contexte politique actuel. Bonne lecture.
(NDLR : les notes ne sont pas reproduites ici; lire original en PDF).
Quatre facteurs principaux ont contribué à favoriser l’essor du Front national depuis sa création (1972). L’arrêt de l’immigration en 1974 a provoqué en réplique la sédentarisation des Maghrébins et le regroupement familial. L’instauration du capitalisme mondialo-financiarisé a provoqué des dégâts socio-économiques d’ampleur (chômage de masse, précarisation, destruction des solidarités laborales). Le non-respect des engagements électoraux (la rigueur avec François Mitterrand, l’abandon de la lutte contre la fracture sociale par Jacques Chirac, le reniement du discours du Bourget avec François Hollande). Enfin, le terrorisme djihadiste a légitimé l’islamophobie et facilité le repli sur une identité nationale à la fois mythique et réactionnaire.
Le FN ne s’est pas seulement contenté de dénoncer la mondialisation, le système politique, l’immigration, les élites. Dans la ligne du GRECE et du Club de l’Horloge, il a élaboré une idéologie parti « catch-all », selon le vocabulaire de la science politique américaine (attrape-tout), le FN est traversé par des contradictions difficiles à maîtriser. Les provocations de Jean-Marie Le Pen séduisent certains mais en détournent d’autres. La scission mégrétiste de 1988 montre l’intensité des rivalités et des désaccords internes au sein du parti frontiste. En même temps, la progression du FN bute sur « un plafond de verre » suscité par son antisémitisme et son amateurisme.
Succédant à son père en 2011, Marine Le Pen entend à la fois professionnaliser sa formation politique, la respectabiliser et la rendre capable d’accéder au pouvoir d’État.
Après un démarrage difficile (1972- 1982), les premiers succès électoraux et l’échec à la présidentielle de 2001 (1982-2001), la phase de turbulences et d’affaiblissement (2001-2011), le Front National entre dans sa quatrième période avec le Marino-lepénisme.
L’impulsion donnée par la Présidente requiert un examen de la « dédiabolisation », du renouvellement doctrinal et du maintien masqué des grands piliers de l’univers extrême-droitier, à la fois dangereux, vulnérable et imposteur.
1- La dédiabolisation marinolepéniste
Jean-Marie Le Pen se souciait d’abord d’exister, d’influencer la vie politique française sans accéder pour autant au pouvoir. Sa fille, à l’inverse, vise réellement à gagner l’élection présidentielle et pour ce faire joue la carte de la respectabilité.
Tout en maintenant que son parti se distingue de tous les autres par son extériorité à l’égard du « système politique » bipartisan ( ni droite, ni gauche ) et en dénonçant l’ostracisme dont il serait victime en raison de sa critique des élites, y compris de la part des banques françaises, ce que ces dernières récusent, Marine Le Pen entend procéder aux aménagements nécessaires pour apparaître respectable.
Tout d’abord, la présidente du FN procède à l’épuration du service d’ordre. Plus de skins, plus de blousons de cuir. Lorsque Manuel Valls est agressé le 18 janvier 2017 par un régionaliste breton, Marine Le Pen condamne immédiatement l’acte. Elle ajoute :
« J’ai toujours été contre la violence », ce qui laisse planer un doute sur la véracité de ses déclamations puisque à Assas elle a milité activement au GUD.
En second lieu, « Marine » se démarque de son père. Elle l’exclut. Le sigle FN disparaît des calicots et des tracts. La présidente évite tout propos xéno-
phobe ou raciste, l’islamophobie lui suffisant. Enfin, Marine Le Pen euphémise son programme. Ainsi la « préférence nationale » est remplacée par la « priorité nationale ». Provoquant la colère de Marion Maréchal Le Pen, elle accepte le remboursement de l’IVG pour ne pas se couper de la jeunesse féminine acquise à ce droit. Le 2 février 2017, le rétablissement de la peine de mort est retiré du programme de la candidates frontiste à l’élection présidentielle.
2- Une profond remaniement de l’idéologie frontiste
Avec l’aide notamment de Florian Philippot, Marine Le Pen procède à une révision du corpus idéologique du FN. Avec l’aplomb qui caractérise sa manière d’agir, elle cite Charles de Gaulle, Montesquieu, Charles Péguy, Jean Jaurès, Georges Orwell, Karl Marx. Pour attester de son féminisme, elle évoque bien sûr Jeanne d’Arc mais aussi Olympe de Gouges, Marie Curie, Geneviève de Gaulle.
Marine Le Pen ne se contente pas de modifier l’enrobage du discours frontiste. Elle le restructure profondément. Plus question de dénoncer la « féminisation » de la société, sa déchristianisation à partir de Vatican II comme le faisait le patriarche de l’extrême droite. La fille organise son message à partir du refus du totalitarisme qui menace le monde contemporain sous deux formes.
Tout d’abord, le FN se présente comme le héros de la lutte contre le djihadisme.
Le discours prononcé par Marine Le Pen à Fréjus, le 16 septembre 2016, illustre bien la rhétorique et la thématique anti-islamique à la fois véhémente et maîtrisée :
« La France n’est plus en pleine possession de son territoire, et, tous les jours, nos forces de police ou de gendarmerie, quand ce n’est pas notre armée, sont confrontées à des codes, des mots, ou des crimes, qui ne sont pas de France, mais qui sont en France. Le mandat confié par la Constitution au président de la République fait de lui le garant de l’intégrité du territoire et de l’identité de la nation. Ce mandat est clair. Il a pourtant été trahi. Est présent sur notre sol au- tre chose que des criminels, sont présents des ennemis qui entendent faire régner des lois, des mœurs, une idéologie politique religieuse, venus de l’extérieur. Le résultat, vous le vivez, nous le vivons tous les jours. Les Français qui ont tant souffert, tant combattu, pour conquérir leur liberté, se voient dépouillés du droit d’être eux-mêmes, sur leurs terres et dans leurs frontières. Ils se voient privés du droit de demeurer ce qu’ils sont, par une offensive contre leurs intérêts vitaux qui ne dit pas son nom, par une dépossession méthodique et organisée de nos libertés collectives dont la première d’entre elles, celle de décider de notre destin. » (Intégrale du discours dans un feuillet de quatre pages du Monde. « Décrypter l’idéologie du Front National ». 25 octobre 2016.)
La seconde forme de totalitarisme contemporain auquel s’oppose le marino-lepénisme correspond au libéralo- mondialisme. Il englobe à la fois la construction européenne bruxelloise et les institutions mondiales, FMI et BM.
La mondialisation de notre temps mutile à la fois les peuples et les individus. Elle déracine les êtres humains, les standardise, les transforme en consommateurs conformistes, les enferme dans un univers virtuel. Pour développer cette analyse qui par contrecoup justifie le souverainisme, le nationalisme économique, la défense de l’identité nationale, Marine Le Pen puise chez Gilles Lipovetsky et Jean Baudrillard. Par rapport à l’anti-mondialisation de son père, pro-occidentale et anti-domination financière, celle de Marine Le Pen se veut humaniste et universaliste.
3. Un mouvement dangereux, fragile, imposteur
Depuis son accession à la tête du FN en 2011, Marine Le Pen parvient à donner le change. Fondamentalement son parti demeure dangereux pour trois raisons. Sa revendication de républicanisme n’empêche pas que le parti frontiste fonctionne autoritairement. Un seul point de vue y est admis. Il est toléré que des orientations différentes coexistent à condition qu’elles ne se manifestent pas publiquement. Le pouvoir de Marine Le Pen est autocratique, dogmatique. La démagogie la plus grossière utilise le mensonge, manifeste le mépris pour les citoyens qu’il convient d’embrigader et de subjuguer, selon la tradition de Mein Kampf et du nazisme. Dans les municipalités qu’il gère, le FN coupe les crédits aux associations culturelles et pourchasse le Secours populaire.
En second lieu, contrairement à sa dénomination, le FN est une organisation antinationale car toute son action vise à opposer les bons Français aux mauvais, à savoir les Musulmans et tous ceux qui s’opposent à l’intérêt national, notion assez floue qui permet de mettre dans le même sac les syndicalistes et les élites du système.
Enfin, le FN, comme nous venons de l’indiquer, s’oppose au syndicalisme de transformation sociale. Il a tenté de constituer des organisations professionnelles de son obédience. Il a échoué, faute de militants aptes à ce travail5. Lors du mouvement des policiers fin 2016, le FN a appuyé toutes les attaques anti-syndicales des mani- festants.
Dangereux pour les trois raisons que nous venons de brièvement expliciter, le FN de la quatrième phase ne se présente pas comme une force invincible. Sa construction est minée par des oppositions internes entre chrétiens et païens, européistes et anti-européens, entre classes moyennes indépendantes (avocats, médecins, petits entrepreneurs, agriculteurs) et salariés. Marine Le Pen invoque « le lien invisible », celui du cœur, qui unit tous les bons Français (discours de Lyon, 6 février 2017). Cette solidarité est bousculée par les divergences sur l’imposition, sur les contributions sociales, sur le statut des fonctionnaires. Joël Gomdin a raison d’insister sur ces contradictions pour bien combattre le Front National6. Le marino-lepénisme actuel « déextrême-t-il » le FN ? Quelles sont les options fondamentales du courant politique incarné en France par Joseph de Maistre, le général Boulanger, Édouard Drumont, Maurice Barrès, Charles Maurras, Philippe Pétain ? Michel Eltchaninoff évoque quatre piliers : la terre, le peuple, la vie, le mythe8. Ces grands thèmes continuent à structurer le marino-lepénisme, même si le contenu et parfois le vocabulaire sont modifiés. La présidente ne se réfère pas au mythe mais au cœur. La dédiabolisation s’avère une imposture. Idéologiquement et stratégiquement Marine Le Pen se pose en porte-parole des oubliés. Elle vise en réalité à établir un capitalisme national. Elle pratique sans cesse le grand écart entre l’enrobage social et le contenu programmatique libéral et pro- capitaliste. Le jeu d’équilibriste se poursuit sur le plan international. À Paris, elle condamne le racisme. À Berlin, elle soutient le parti xénophobe. En France, elle admet le remboursement de l’IVG. À New York, elle salue Donald Trump dont le vice-président manifeste avec les « anti- avortement ». Les 144 propositions présentées le 6 février 2017 ne comportent plus le retrait pur et simple de l’euro mais le prévoient après des négociations avec Bruxelles.
Remarques finales
En dépit des campagnes antifascistes et antiracistes impulsées notamment par le mouvement syndical, la lepéni- sation des esprits progresse en France, favorisée par le contexte national mais aussi international. Le petit patronat est sensible aux thèmes du FN et le grand se divise, quoique hostile au protectionnisme frontiste. Pierre Gattaz, à la différence de Laurence Parisot, n’hésite pas à inviter le parti d’extrême droite.
Les leaders de la droite dite républicaine, à l’exception d’Alain Juppé, reprennent des propositions islamophobes et sécuritaires à l’instar de Nicolas Sarkozy et de François Fillon. Par peur d’être perçus comme « pro système », les grands médias ménagent Marine Le Pen. Trois mois avant que ne se tienne le scrutin, l’éventualité d’un succès de cette dernière à l’élection présidentielle de mai 2017 s’avère plausible. Plus que jamais l’heure est à la résistance. Autrement dit, expliquer l’imposture, la contredire concrètement par l’action syndicale revendicative et propositionnelle.
René Mouriaux
Docteur d’État en sciences politiques.