Nous avons déjà évoqué (ici : https://wp.me/p6Uf5o-2Ie) l’anniversaire (30 ans) d’une des grèves les plus importantes qui ont marqué l’industrie automobile après 1968 : celle des usines Peugeot de Mulhouse (Haut-Rhin) et de Sochaux-Montbéliard (Doubs) en 1989, pendant sept semaines. Nous publions une correspondance de Véronique Bourquin-Valzer, militante de la région de Montbéliard, qui a vécu ce conflit de près. Unité syndicale et assemblées générales quotidiennes.
1989 : grève des Peugeot, toute la France les regardait !
L’an dernier la CGT de PSA n’avait pas raté le cinquantenaire de 1968, marqué dans le Pays de Montbéliard par la mort tragique de 2 ouvriers. Cette année c’est le trentenaire de la plus grande grève de l’histoire de l’usine, durant 7 semaines de l’année 1989.
En septembre éclate une grève ouvrière de très grande ampleur, dont le retentissement dépasse largement ses lieux d’origine, l’usine Peugeot de Mulhouse 12000 salariés en 1989 et Peugeot Sochaux, 22300. La grève commence à Mulhouse le 1er septembre, et le 8 septembre à Sochaux. Au-delà des différences entre les sites, le contexte est le même. Avec Jacques Calvet, président du groupe depuis 1984, Peugeot renoue avec les bénéfices : plus de 8 milliards de francs en 1988. Mais les salaires sont faibles : 4900 francs en moyenne pour un OS, alors qu’en Allemagne, chez Volkswagen, c’est à peu près le double. Dans le bassin d’emploi, il est bien fini le temps où « les Peugeot » étaient mieux payés que les salariés des entreprises environnantes. Alors, quand la direction annonce une augmentation des salaires de 1, 5%, cela sonne comme une provocation et met le feu aux poudres. La revendication de la CGT de 1500 francs d’augmentation apparaîtra encore plus légitime quand, le 27 septembre, le Canard enchainé publie la feuille d’impôt de Calvet : il gagne 35 fois le salaire d’un ouvrier et s’est accordé une augmentation de 46% sur 2 ans…
Depuis les années 1984-1985 l’usine de Peugeot-Sochaux connaît une modernisation importante, avec des investissements dans l’automatisation et l’informatique industrielle. Mais on constate, outre le niveau bas des salaires déjà évoqué, un vieillissement des ouvriers faute d’embauche (à part l’intérim) et la dégradation des conditions de travail avec accélération des cadences. Comme l’écrivent alors les sociologues Michel Pialoux et Stéphane Beaud « Des secteurs entiers de l’usine continuaient à vivre dans des conditions qui n’étaient pas tellement différentes de celles des années soixante-dix ». Les ouvrières et les ouvriers expriment par la grève un mécontentement lié à la baisse du pouvoir d’achat et plus largement à l’alourdissement des charges de travail. La grève démarre en carrosserie, alors même que la direction y expérimente un nouveau management « à la japonaise », avec le passage des anciens ateliers aux nouveaux, « les ateliers du futur », où la main d’œuvre est sélectionnée sur les bases de la qualification, de la « motivation » et de la docilité face aux nouvelles normes. La carrosserie restera le bastion de la grève tout au long du conflit. Dans ce secteur de l’usine, fief de la CGT, travaillent 6000 ouvriers majoritairement des Ouvriers spécialisés (OS). Car cette grève est bien d’abord une grève des OS de chaîne, qui défilent en bleu de travail et qui affirment leur dignité, elles et eux qu’on présente comme marginalisés par l’évolution technologique. Même si la participation des ouvriers professionnels a été très importante.
A partir du 14 septembre les débrayages se généralisent dans l’usine. Le 15 septembre on compte 2100 grévistes et la production est sévèrement impactée : 270 véhicules au lieu de 1800. L’unité syndicale se fait, avec la CGT, la CFDT, et FO même si les revendications diffèrent : pour la CGT c’est 1500 francs, 500 pour la CFDT et 250 pour FO. A noter également la participation massive des non-syndiqués. Remarquable est la façon dont la grève est conduite, de bout en bout, par l’Assemblée Générale (AG) quotidienne. Une grève aussi marquée par la participation importante des femmes, bien que la main d’œuvre soit à 85% masculine. Notons que la CGT carrosserie est dirigée par 3 jeunes femmes. De même visibilité forte de la main d’œuvre immigrée (12% de l’usine seulement car les « retours au pays » ont été favorisés par la direction).
Cette grève est rythmée par des défilés quotidiens dans les ateliers, où les grévistes sont encadrés par les cadres aux ordres de la direction. On échange des noms d’oiseaux : « suivettes » contre « cocos ». Philippe Duvernoy ancien responsable de la sécurité peut bien en sourire aujourd’hui, il n’empêche qu’il reconnaît dans les colonnes de l’Est Républicain (quotidien régional) avoir fait crever les pneus des grévistes : « Un éclairage sur les méthodes de la Direction Peugeot qui se poursuivaient en 1989 alors qu’officiellement ses milices patronales avaient été dissoutes dans les années 70 » écrit Bruno Lemerle (ancien responsable de la CGT Peugeot) dans un récent bulletin de la CGT.
Cependant, grève joyeuse, c’est certain. Marquée aussi par un élan considérable : manifs quasi-quotidiennes à Montbéliard (des milliers de participants, du jamais vu depuis 1968), collectes conséquentes auxquelles contribuent de nombreux non-grévistes et intérimaires, une aide financière de certaines communes environnantes et de la France entière. Un moment fort est la venue d’Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT, qui remet le 6 octobre aux grévistes un très gros chèque. Un appel national de soutien paraît, signé par des syndicalistes et des personnalités connues du monde politique et culturel. Tout le monde en France parle de Peugeot, qui fait la une des médias !
Néanmoins l’appel des syndicats à étendre le mouvement, entre autres chez Faurecia ou à Vesoul se heurte à un échec et les manifs des Mulhouse à Paris le 18 septembre puis des Mulhouse et des Sochaux le 26 octobre n’aboutissent pas à une réelle convergence dans l’action avec Poissy ou Aulnay.
Le 2 octobre Calvet lance un ultimatum aux syndicats convoqués à Paris, le 4 le tribunal ordonne l’évacuation de la forge, les négociations commencent le 13, la grève demeure solide à Sochaux, jusqu’au 23 où la reprise est votée. Mais les acquis de la grève sont fort importants. Parmi ceux-ci :
▪ Le salaire mini passe de 4033 F à 4400 F soit + 367 F ▪ Augmentation mini 250 F ▪ 13ème mois : augmentation moyenne de 727 F. Fin de la pénalisation en cas de maladie;
▪ Intéressement augmenté de 60 %. Versement d’un acompte de 500 à 1500 F au 1/12/1989 ▪ Lancement 605 : Versement intégral aux grévistes de la prime de 500 F;
▪ Annulation de toutes les sanctions et licenciements.
Merci à la CGT d’avoir permis que la mémoire de la plus longue grève à Peugeot-Sochaux ne se perde pas. Alors que l’emploi industriel continue à baisser, que la pénibilité du travail augmente de plus en plus et que le recours à l’intérim se généralise, dans un contexte difficile pour le mouvement ouvrier, la grève de 1989 montre qu’il est possible de résister, et qu’une lutte peut être victorieuse.
Véronique Bourquin-Valzer Ensemble! 25