Nous reproduisons un article de Dan Israel dans Médiapart sur l’élection ce 22 novembre de Yves Veyrier comme secrétaire général de Force Ouvrière.
Chez FO, l’élection d’un «réformiste» pour un syndicat très divisé
Yves Veyrier a été élu à la tête de Force ouvrière avec à peine 45 % des voix. Le signe que la confédération est profondément partagée entre ses diverses tendances, réformiste et trotskiste notamment, après le départ de Pascal Pavageau, éjecté six mois après son arrivée.
Ils avaient réussi à s’unir pour faire tomber leur tout nouveau dirigeant, mais lorsqu’il s’est agi de choisir son successeur, ils n’ont pu que constater leurs dissensions. Les 200 cadres de Force ouvrière réunis mercredi et jeudi 21 et 22 novembre ont élu Yves Veyrier au poste de secrétaire général. Il remplace Pascal Pavageau, qui avait démissionné le 17 octobre, six mois après son élection, emporté par l’affaire du fichage de ses militants, sous la pression de ses camarades.
À 60 ans, discret et excellent connaisseur de la maison, l’homme était le plus ancien membre du bureau confédéral et s’était proposé pour effectuer un mandat de transition, en attendant un nouveau congrès dans deux ou trois ans. Cette candidature sous le signe de la modestie n’aura pas suffi à lui permettre de l’emporter nettement. Il a recueilli 45 % des voix, contre 43 % pour Christian Grolier, le secrétaire général de la fédération de la fonction publique, et 11 % pour Patrice Clos, le dirigeant de la fédération des transports (1 % des votants se sont abstenus ou ont voté blanc).
C’est la première fois dans l’histoire du syndicat que trois candidats se présentaient pour le diriger, et il faut remonter 29 ans en arrière, avec l’élection de Marc Blondel en 1989, pour trouver une élection où il n’y avait pas un candidat unique, désigné par consensus après des luttes internes restées secrètes.
Cette élection a donc révélé aux yeux de tous le fait que FO fait à peine office de maison commune entre différents courants internes, qui cohabitent mais peinent de plus en plus à parler d’une même voix. Les divergences entre les différents courants sont une constante chez FO, mais rarement auront-elles été aussi visibles.
Yves Veyrier, ancien ingénieur chez Météo-France, est entré au bureau confédéral en 2004, à la demande de Jean-Claude Mailly, tout juste élu secrétaire général. Il a longtemps été considéré comme le chef de fil des trotskistes, très présents dans le syndicat fondé en 1947 pour s’opposer à la CGT, alors officiellement communiste.
Mais le nouveau secrétaire général s’est peu à peu éloigné de cette étiquette et est depuis plusieurs années identifié comme un très proche de Mailly (dont il est régulièrement décrit en interne comme « le clone », voire « le clone triste »), qui a quitté son poste en avril, sur fond de fortes oppositions sur sa ligne très conciliante avec Emmanuel Macron.
Jean-Claude Mailly a immédiatement salué l’élection de son ami, alors qu’en avril, à la fin d’un congrès très tendu, il avait publiquement dénoncé l’« hypocrisie » et la « duplicité » de Pascal Pavageau. Ce dernier ne cachait plus son opposition avec le dirigeant sur le départ et n’avait pas voté en faveur de son dernier rapport d’activité.
Yves Veyrier, qui s’occupait notamment de la communication auprès de Jean-Claude Mailly, n’a jamais mené de négociations au nom de son syndicat. Il va devoir rapidement imprimer sa marque, dans un contexte social agité : outre la mobilisation des « gilets jaunes », à propos de laquelle FO n’a donné aucune directive nationale, les partenaires sociaux discutent actuellement de la réforme de l’assurance-chômage et parleront bientôt des retraites.
Tout comme Mailly, Yves Veyrier se réclame du « réformisme militant ». Ce concept, forgé par Marc Blondel et très ancré chez FO, promeut un alliage de dialogue social au sein de l’entreprise et une demande faite à l’État de garantir une égalité des conditions de travail pour tous les salariés français. Dans les faits, le nouveau patron du syndicat était soutenu par les militants « réformistes », favorables à la négociation et peu enclins à l’affrontement brutal avec le pouvoir. Ils pèsent environ 40 % des voix au sein du syndicat et sont regroupés autour de Frédéric Homez, le dirigeant de la fédération de la métallurgie.
Son principal concurrent, Christian Grolier, 52 ans, était de son côté le candidat soutenu par la branche trotskiste, qui pèse presque aussi lourd à FO et est bien plus revendicative. C’est l’alliance, inédite, entre trotskistes et réformistes qui avait fait tomber Pascal Pavageau, désavoué par son propre bureau confédéral. Mais cette alliance n’a pas tenu une fois Pavageau parti et un candidat consensuel n’a pu être trouvé.
Le troisième candidat, Patrice Clos, 53 ans, était soutenu par les « anarchistes » de FO, très présents dans l’Ouest et favorables à une lutte frontale avec le gouvernement. Ils étaient restés les seuls soutiens de Pascal Pavageau, jusqu’au bout. Les tensions sont telles aujourd’hui que l’un des dirigeants de fédération confie sa crainte d’assister à « une implosion du syndicat ».
La très délicate question de l’audit financier
Force ouvrière a vécu ces dernières semaines la plus grave crise de son histoire. Après le scandale du fichier classant ses cadres en fonction de leur préférence politique, de leur degré de soutien à Pavageau et les décrivant de façon dégradante, le syndicat a subi un grand déballage sur ses finances.
Le 11 novembre, Le Parisien a révélé que le budget 2017 de la confédération était déficitaire de 632 000 euros, après un excédent d’un million d’euros un an plus tôt. Il a surtout révélé les salaires des dirigeants (Jean-Claude Mailly touchait environ 8 000 euros mensuels, tout compris) et pas moins de 388 000 euros de notes de frais pour les 13 membres du bureau confédéral en 2017.
Des chiffres qui ont immédiatement remis sur la table le sujet de l’audit financier, réalisé par un expert extérieur, que Pascal Pavageau souhaitait lancer et qu’il avait annoncé en juin. Pour beaucoup de ses soutiens, c’est cette décision qui a directement menée à son éviction de la tête de FO. De fait, une fois qu’il a été déboulonné, les autres dirigeants ont opté pour la solution moins dangereuse d’un « état financier complet », réalisé en interne.
L’Express a recensé quelques-unes des anomalies mises au jour par Pavageau, avec des situations surprenantes dans la comptabilité du centre de formation interne ou dans les relations entre la confédération et certaines de ses fédérations. Sans compter que sur les 33 millions d’euros de recettes en 2017, seuls 8,8 millions provenaient des cotisations des adhérents. 21 millions d’euros, soit près des deux tiers du budget, ont été apportés par les subventions publiques, notamment par l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN), alimentée par une contribution des entreprises (0,016 % de leur masse salariale), qui distribue depuis la loi de 2014 des fonds aux organisations syndicales et patronales. Le reste, environ 3 millions, est venu des réserves financières de FO.
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Dans la lettre de démission qu’il a adressée aux dirigeants du syndicat, Pascal Pavageau lui-même laissait entendre que sa volonté d’imposer l’audit financier a précipité sa chute. « C’est la première chose que vous avez cherché à m’imposer d’arrêter », écrivait-il le 17 octobre, dénonçant ceux qui espèrent « que certains tiroirs ne soient jamais ouverts ».Yves Veyrier et Christian Grolier n’étaient pas pressés de revenir publiquement sur ces données sensibles. Seul Patrice Clos revendiquait ouvertement un audit complet des finances de la confédération.
Au titre des dossiers gênants, le syndicat a aussi été tout récemment condamné pour avoir imposé le statut d’auto-entrepreneur à l’un de ses militants, chargé de la formation. Or, selon nos informations, ce militant n’était pas le seul à être dans cette situation, qui concernerait une dizaine de personnes…
Voilà qui fait tâche, alors même que FO doit se mettre très vite en ordre de bataille pour une échéance importante, celle des élections professionnelles dans la fonction publique, le 6 décembre. En 2011, le syndicat avait gagné la première place dans la fonction publique nationale (et la troisième place pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière). Si Christian Grolier, chargé de ce secteur, aurait pu compter sur sa relative notoriété auprès des agents publics, Yves Veyrier, lui, fait pour l’heure figure de parfait inconnu parmi les fonctionnaires. Il lui reste très peu de temps pour essayer de maintenir son syndicat au rang qu’il occupait avant la longue litanie des scandales.