Benjamin Birnbaum revient des Etats-Unis où il a assisté à la conférence de Labor Notes, aile combative du syndicalisme étatsunien. Cet article est paru sur le site d’Ensemble!, Mouvement pour une alternative de gauche écologique et solidaire.
Qu’est-ce qu’est Labor Notes ?
La conférence de Labor Notes réunit l’aile combative du mouvement ouvrier américain. Il ne s’agit pas d’un syndicat mais d’un courant présent dans des syndicats variés, qui se définit comme « troublemakers », fauteurs de trouble. Le combat des fauteurs de trouble est double : la lutte des classes les oppose aux patrons, la lutte contre la bureaucratie les oppose à la plupart des dirigeants syndicaux.
Les Etats-Unis connaissent une baisse importante du taux de syndicalisation depuis plusieurs décennies. Cette baisse est encore plus nette dans le secteurs privé. Toutefois, la conférence de Labor Notes de cette année (la 37e) a été la plus grande de son histoire (2000 participant-e-s, des traductions [partielles] en 6 langues) ce que traduit un renforcement de l’aile combative du mouvement ouvrier américain. La grève des enseignants de Chicago du 1er avril 2016 en constitue un exemple : les grèves sont très rares aux Etats-Unis et ne conduisent généralement pas à des mobilisations conséquentes et pourtant avec entre 20.000 et 25.000 de personnes dans la rue ce 1er avril 2016 constitue un événement majeur.
Les luttes aux Etats-Unis
Afin de comprendre les objectifs des luttes aux Etats-Unis il faut garder à l’esprit la structure fédérale des Etats-Unis qui donne aux Etats fédérés, voire aux villes des compétences budgétaires importantes. Par conséquent, les luttes sont souvent menées à l’échelle de l’Etat fédéré ou la ville. Ainsi, le salaire minimum de 15 dollars/heure dans la ville de Seattle co-existe avec des endroits sans salaire minimum. Les Etats fédéres gèrent notamment l’éducation, le transport, la santé et les infrastructures.
La conférence a été rythmée par environ 120 ateliers-débats ainsi que meetings autour de luttes actuelles particulièrement importantes. Les ateliers-débats ont été divisés en deux parties : d’un côté des formations très concrètes pour militant-e-s sur par exemple le contact avec les médias, les secrets d’un bon tract, comment motiver les troupes, organiser une lutte créative, cartographier son lieu de travail, utiliser les réseaux sociaux etc. Je pourrais notamment transmettre le contenu de l’atelier sur les tracts. De l’autre côté des sujets plus généraux comme la lutte contre le réchauffement climatique, le traité trans-pacifique, les liens avec les mouvements « black lives matter » et LGBTQ, l’histoire du mouvement ouvrier, la lutte contre les privatisations, la grève, le socialisme, l’enseignement supérieur.
Les meeting sur les luttes en cours :
– L’éducation à Chicago. Frappées par l’austérité beaucoup d’écoles n’ont plus d’infirmières ni de bibliothèques et les écoles sont menacées de privatisations ou fermetures. Ces fermetures ont lieu dans les quartiers pauvres et souvent noirs ou latinos – ce qui explique aussi pourquoi depuis 10 ans le nombre d’enseignant-e-s non-blanc-he-s diminue de façon continue. Le syndicat des enseignant-e-s de Chicago (CTU) mobilise toujours avec la communauté (« community »). La « community » est un concept relativement vague qui a été utilisé sans cesse pendant la conférence. Elle peut désigner un groupe culturel ou ethnique ou alors un quartier, en tout cas le concept est utilisé par opposition au lieu de travail. Vu la situation de fermeture d’écoles la CTU arrive relativement facilement à convaincre par exemple les parents d’élèves de la nécessité de faire grève et la grève du 1er avril a été suivie par 90 % des enseignant-e-s. La démarche de collaborer avec la communauté pousse également à intégrer des revendications qui ne sont pas directement économiques, notamment contre le racisme (Black Lives Matters) et les violences policières.
– Mobilisation des travailleur-euse-s agricoles en Californie, dans l’état de Washington et au Mexique. Face au constat que celles et ceux qui récoltent les fruits ne peuvent pas les acheter à cause de leurs salaires trop bas une mobilisation a commencé autour du droit de se syndiquer, contre le travail des enfants (dans l’état de Washington le travail est légal à partir de 12 ans) et pour l’augmentation des salaires (15 dollars par heure aux USA) et pour la baisse du temps de travail qui est de 12 heures par jour à San Quentin au Mexique. Comme moyen d’action ils mettent notamment en avant le boycott de certaines entreprises du secteur agricole. A noter : la dimension internationale de la lutte et la solidarité des travailleur-euse-s des deux côtés de la frontière.
– Intervention de Mark Brennan de Labor Notes : les choses changent, désormais un abonnée à la revue de Labor Notes est candidat aux primaires (Bernie Sanders), les syndicalistes américain-e-s sont de plus en plus engagé-e-s contre le changement climatique et les violences policières et la lutte pour le salaire de 15 dollars/heure progresse. En plus, il ne faut pas avoir peur de méthodes radicales car pour gagner nous ne pouvons pas toujours respecter les règles, il faut faire grève, occuper des bâtiments et usines.
– Les enseignant-e-s de Los Angeles (United Teachers Los Angeles – UTLA) : en termes de nombre d’adhérent-e-s il s’agit du 2e syndicats d’enseignant-e-s aux USA. Leur militantisme a commencé dans la communauté et assez logiquement ils défendent donc la justice sociale dans l’école et la communauté. A Los Angeles 90 % des élèves sont non-blanc-he-s et pour beaucoup d’entre eux l’anglais est seulement la 2e langue. Dans ce contexte, l’état de Californie encourage la création d’écoles privées qui excluent les pauvres et coupe les budgets des écoles publiques. La UTLA demande donc +10 % de salaires et des meilleurs conditions de travail et d’étude. Pour cela la UTLA participe notamment à la coalition « taxons les millionnaires ». La coalition – terme étroitement lié à la communauté, évoquée plus haut – désigne une alliance entre syndicats et organisations de la communauté, autrement dit entre lieu de travail et lieu de vie. Cette pratique est très répandue et constitue souvent un élément indispensable pour une campagne qui veut réussir. C’est une sorte de levier pour la lutte. En effet, vu la structure fédérale des USA beaucoup de revendications immédiates peuvent être satisfaites à l’échelle de la ville ou de l’état. En même temps, la UTLA lutte contre le « racisme institutionnel » et pour « Black Lives Matter ». La UTLA se définit comme organisation pour le changement social, racial, politique et économique. Nous sommes donc bien loin de la séparation entre syndicats et partis politiques à la française.
– Les travailleur-euse-s du transport (Teamsters) : Campagne « End part time poverty » contre le travail précaire chez UPS, la première entreprise mondiale du transport de colis. En parallèle, les militant-e-s du courant Labor Notes luttent pour que leur syndicat de rejoigne la campagne nationale pour le salaire minimum de 15 dollars (« fight for 15 »). UPS paie un maigre salaire 10 dollars et la moitié des travailleur-euse-s est au temps partiel.
La dimension internationale de la conférence est également à noter. 150 militant-e-s internationaux (venant du Canada, Mexique, France [Sud et CGT], Allemagne, Grande Bretagne, Brésil, El Salvador, Corée du Sud, Palestine, Israël, Suède, Thaïlande, Turquie, Chine, Colombie, Japon, Inde, Hong Kong, Islande, Australie, Bangladesh, Bermuda) ont participé.
Egalement à noter : le format des atelier-débats. Parfois plus sous forme de cours magistral, mais souvent très participatif en altérant réflexion en petit groupe puis réflexion collective, lecture et critique de documents…
Interaction entre politique et syndicalisme
La campagne de Bernie Sanders a été omniprésente à la conférence. Ainsi, dans le programme ont figuré plusieurs ateliers de la campagne « Labor for Bernie » qui entend à la fois soutenir la campagne de Sanders et créer une structure nationale pérenne pour porter les revendications de la classe ouvrière – dans ce sens « Labor for Bernie » entend dépasser le cadre d’une campagne électorale. Ces ateliers ont à chaque fois attiré entre 150 et 200 personnes, donc les salles étaient pleines. « Labor for Bernie » a pour objectif de porter le débat politique dans les syndicats. C’est un enjeu électoral et financier important. D’un côté dans les syndicats se trouve un potentiel de voix important pour Sanders, de l’autre côté les syndicats financent des campagnes politiques (ce qui traduit également un soutien officiel). Or, dans la plupart des directions nationales des syndicats (tous sauf 7, j’ai pu obtenir la site des syndicats et sections locales qui soutiennent officiellement Sanders) les bureaucraties préfèrent Hillary Clinton et financent sa campagne. « Labor for Bernie » veut donc mener la bataille en interne pour que les syndicats soutiennent Sanders ou à défaut ne soutiennent aucun-e candidat-e, ce qui rend la campagne de Clinton plus difficile, vu qu’elle compte sur l’appui des syndicats. En même temps, cette bataille autour des financements permet souvent aux militant-e-s de Labor Notes de démasquer le caractère anti-démocratique des directions syndicales qui refusent de consulter leurs membres par crainte qu’ils et elles soutiennent Sanders (appréciation d’ailleurs très réaliste). D’ailleurs, beaucoup de sections locales soutiennent officiellement – et à l’encontre de leur direction – la campagne de Sanders. Ensuite, les syndicalistes mènent un vrai travail de terrain auprès de leurs collègues, ils passent des coups de fils, discutent avec leurs collègues, organisent des meetings (des choses très différentes de ce que peut raconter Jean-Luc Mélenchon [« la campagne se fait sur internet… »] qui se dit inspiré par la campagne de Sanders). « Labor for Bernie » est une initiative inédite qui essaie de profiter de l’audience qu’attire la campagne de Sanders pour faire entendre durablement un discours en faveur des travailleur-euse-s.
La suite de la campagne des primaires : peu de militant-e-s croient réellement à la victoire de Sanders et beaucoup craignent que Sanders se fera voler de manière anti-démocratique l’investiture par les super-délégué-e-s (et si cela arrive des actions de blocage du bâtiment dans lequel aura lieu l’investiture auront lieu). A partir de cette configuration beaucoup d’interventions soutiennent une candidature indépendante de Sanders et la création d’une organisation des travailleur-euse-s indépendante des deux grands partis et soulignent le contexte qui a rarement été aussi favorable à cette entreprise. Toutefois, la réussite de la campagne de Sanders crée chez certain-e-s (une petite minorité à Labor Notes mais un nombre de personnes non-négligeable dans le pays) l’impression que le Parti démocrate est moins verrouillé qu’on croyait.
Dans le cadre de la conférence un meeting a eu lieu avec Kshama Sawant et Gayle McLaughlin. La première est conseillère municipale et militante trotskyste de Seattle et y a mené la bataille pour les 15 dollars, la deuxième a été maire de Richmond. Les deux ont été élues avec des partis indépendants et avec un programme de gauche.
Plusieurs partis politiques ont tenu des stands lors de la conférence : Socialist Alternative (affilié au CIO, le parti de Sawant), Socialist Action, Interantional Socialist Organisation, Democratic Socialists of America (DSA). Les deux dernières organisations – dont des militant-e-s font partie de la rédaction de la revue de renommée internationale Jacobin – connaissent d’ailleurs Ensemble, grâce au comité jeune Paris. Toutes ces organisations soutiennent plus ou moins activement Bernie Sanders et mettent en avant le fait de créer un parti ouvrier indépendant. En même temps, DSA semble beaucoup profiter de la campagne de Sanders qui a déclaré être un « socialiste démocratique » et google envoie celles et ceux qui cherchent « socialiste démocratique » vers le site du DSA. Par ailleurs, le DSA est en train de quitter l’internationale socialiste et cherche des partenaires internationaux. J’ai le contact des camarades et j’ai également pu rencontrer Dan La Botz.
Conclusion
Une conférence très dynamique qui montre la multitude et la créativité des luttes en cours aux Etats-Unis. Que Bernie Sanders soit passé par Labor Notes n’est pas juste un petit détail et démontre l’importance de cette conférence et sa revue. Je conseille de suivre activement les publications de Labor Notes et de participer aux conférences suivantes – peut-être avec plus d’un militant vu la richesse du programme, des luttes et des intervenant-e-s. J’ai pu prendre les données de contact de plusieurs camarades, donc de ce point de vue les conditions sont également réunies pour suivre l’évolution. Par ailleurs, il faut noter que l’articulation entre syndicalisme et anti-racisme a été abordé dans la plupart des ateliers, chose dont nous ne pouvons qu’apprendre.
Je suis disponible pour approfondir mes propos, donner des informations plus détaillées sur les ateliers-débats auxquels j’ai participé et/ou pour écrire un article par exemple sur la pratique des « coalitions », la campagne « Labor for Bernie » ou la conférence en général ou alors faire des entretiens avec des militant-e-s comme Dan La Botz sur la conférence en général, Guillermo Perez de United Autoworkers Pittsburgh (sur la lutte commune entre associations de latinos et syndicats) ou Mike Elliot de United Autoworkers Chicago (qui travaille avec Black Lives Matter) ou Rand Wilson de Labor for Bernie…
Le site internet : http://www.labornotes.org/
Benjamin Birnbaum