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La semaine qui vient de s’écouler a été marquée par une forte activité gréviste dans les raffineries, les dépôts de carburant, les ports, la SNCF, les centrales nucléaires le transport aérien ainsi que par des blocages de grande ampleur à proximité des sites de carburants et des zones industrielles. C’est incontestablement un tournant dans la mobilisation.. Dès le 31, ce seront les cheminots qui entameront une grève reconductible ; puis la RATP deux jours après. Les manifestations du 26 mai n’ont pas montré d’essoufflement en terme de participation et cette nouvelle journée de mobilisation est la troisième en nombre de manifestants après le 9 mars et le 31 mars.
La mobilisation toulousaine du 26 mai lire ici
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A cette étape de la mobilisation, on peut déjà dégager quelques idées fortes de ce mouvement social.
1 – Comme en 2010, c’est le secteur privé qui est le fer de lance de la mobilisation, l’industrie pétrolière en particulier, ingrédient essentiel pour paralyser l’économie. Dans le texte ci-jointlire ici, nous avions, à l’époque, souligné cela en nous interrogeant sur la possible fin d’un cycle de lutte (1995, 2003, 2006) qui voyait le secteur public être en première ligne. Pour autant et pour en revenir au secteur privé, d’autres secteurs comme la métallurgielire ici, le commerce et les services sont peu présents.
2 – Le secteur public, la fonction publique sont hors champ d’application de la loi El Khomri et donc peu présents dans les mobilisations. L’accumulation de frustrations, bien réelles dans la fonction publique depuis l’arrivée de l’équipe Hollande, ne suffit pas pour se saisir de la mobilisation contre la loi El Khomri pour entrer dans la lutte sur des revendications propres. C’est cela qui fait la différence entre une situation propice à la grève générale et une situation de grève de soutien ou par procuration. Notons qu’en 1995, si les cheminots ou encore en 2003 les enseignants ,les syndicats ont su percevoir cette situation et ont organisé des temps forts et/ou des manifs le samedi permettant aux salarié-e-s du privé de participer à la lutte,aujourd’hui pour le mouvement en cours l’intersyndicale n’a pas encore élaboré les modalités favorisant une participation massive des fonctionnaires à la lutte.Ce devrait être une tâche prioritaire des syndicats dans les jours à venir.Car, désormais, le temps presse
Il est intéressant d’examiner aussi ce que font, dans ce conflit, les salarié-e-s des ex-services publics (Télécoms, Poste, EDF) privatisés ces dernières années et donc concernés par le code du travail. Ceux des Télécoms et de la Poste sont totalement absents de la mobilisation avec un très faible taux de grévistes. En ce qui concerne EDF, les centrales nucléaires sont entrées dans le mouvement le jeudi 26, au moins pour 24hlire ici. Pour les Télécoms, qui fut le premier grand secteur public privatisé (par la gauche sociale-libérale), cette défaite s’est accompagnée d’une réorganisation brutale conduisant, entre autre, à de nombreux suicides. Les collectifs de travail ont été démantelés, une concurrence féroce a été organisée parmi les salarié-e-s et les syndicats de lutte, CGT et SUD, ont reculé. La CFDT, qui avait accompagné dans les années 90 le démantèlement des PTT puis la privatisation des télécoms, a payé très cher ces trahisons jusqu’à reculer à la 4ème place derrière la CGT, SUD et FO ,lors des élections professionnelles. Mais, l’évacuation progressive des fonctionnaires du secteur, le peuplement de l’entreprise de cadres et de commerciaux, l’externalisation du cœur de métier (la construction du réseau et son entretien) ainsi que celle des nouveaux outils de communication ont conduit la CFDT à redevenir la première organisation à Orange. Une expérience à méditer…
3 – Le troisième constat que nous devons faire est que les grèves reconductibles se développent là où le syndicalisme est fort. Ce ne sont pas les appels à la grève générale qui font la grève générale mais la capacité d’équipes syndicales sur le terrain à s’approprier le mot d’ordre (actuellement la reconduction), à le faire vivre et à le faire partager. Face aux difficultés de démarrer le mouvement dans divers secteurs, la grève reconductible et le blocage de l’économie en paralysant de secteurs clef, tels que celui des carburants (transports routiers, avions…), sont apparus comme la solution.
Pour autant, cela ne doit pas nous faire oublier des éléments importants.
Le premier est que la bourgeoisie et le patronat, les différents pouvoirs, élaborent des contre-feux, des lois, pour amoindrir la force des actions et, surtout, annuler leur fonction première, la paralysie de l’économie. « La gauche » n’a jamais annulé les restrictions au droit de grève prises ces dernières décennies. Les pénuries constatées ces derniers jours sont autant le produit d’un affolement des automobilistes, d’une désorganisation momentanée de la distribution que d’une réelle pénurie.
Le second est que le blocage des dépôts de carburants fait l’objet, rapidement, d’évacuations par les forces de l’ordre que le mouvement syndical n’a pas les moyens d’empêcher.
Enfin, n’oublions jamais que les différents pouvoirs, de gauche comme de droite, ont acquis une force, un savoir faire afin de réprimer les mouvements sociaux ,savoir faire bien supérieur à celui des syndicats et des opposants à la loi El Khomri.
Chiens de garde et coups tordus
Le rouleau médiatique est en marche. Automobilistes et usagers des transports « pris en otage », casseurs mettant nos villes « à feu et à sang », haine anti-flics…, c’est un florilège de formules à l’emporte-pièce qui parsème, voire même qui structure les éditoriaux des médias. Les chiens de garde du système sont à l’œuvre… Rien que de bien courant en fait.
Ce qui est plus nouveau, c’est la volonté, au delà des habituels casseurs, de chercher, face au front syndical (CGT, FSU, Solidaires) encore intact, à mettre tout le poids du conflit et surtout celui des « désordres » sur une seule centrale syndicale, la CGT en l’occurrencelire ici. Cela obéit à une double démarche. D’abord, en focalisant sur la CGT, il s’agit de ne pas parler du front syndical, de faire comme si celui-ci n’existait pas ; puis de jouer sur un vieux ressort : la « peur du rouge ». Le mur de Berlin est tombé il y a bientôt 30 ans mais il est intéressant de constater que, pour certains commentateurs, les cadres de pensée de l’époque n’ont pas évolué.
Ensuite, la mise en scène d’un combat « Valls vs Martinez », pain béni pour les raccourcis de toutes natures et au delà du fait d’obéir aux codes de simplification de la médiacratie, peut laisser apparaître un coup tordu des crânes d’œuf de l’Elyséelire ici. Quelque soit l’issue du mouvement social, c’est « tout bénef » pour le locataire de l’Elysée. Si le mouvement social est victorieux (retrait du texte voire vote d’une motion de censure lors du second passage à l’Assemblée Nationale), c’est Valls, le fusible, qui dégage (et se trouve « carbonisé » pour un bon moment). Et Hollande pourra toujours arguer qu’il a fait de son mieux pour calmer son premier ministre, un peu trop autoritaire et pas assez à l’écoute (cf. les « ouvertures » de Leroux – le « relou » ou de Sapin sur l’article 2 de la Loi). Si le mouvement social est défait, là aussi Hollande tire les marrons du feu en montrant qu’il va au bout de ses réformes et ne cède pas « devant la rue »… En toile de fond bien sûr, l’élection de 2017.
La gauche radicale invisible.
Nous avons entendu la déclaration de candidature de Mélenchon, puis de Poutou, pour 2017. Nous avons suivi l’appel pour des primaires à gauche et ses différentes variantes (avec ou sans le PS). Nous avons pris connaissance de l’appel des cent (certain e s étaient déjà engagé e s dans la bataille des primaires) ; et nous avons aussi constaté que la gauche radicale était dans son ensemble favorable au vote de la motion de censure. Toutes ces initiatives ne parviennent pas à cacher l’impuissance de la gauche radicale à faire un pont avec la mobilisation sociale. Il ne s’agit pas pour celle-ci de prodiguer des conseils sur la façon de lutter mais d’expliquer pourquoi il faut abattre ce gouvernement et ce qu’il faut faire immédiatement en mettant sur pied un plan de mesures d’urgences. Alors que, dans les manifestations, de plus en plus de cortèges scandent « Valls démission », il n’y a pas de traduction politique de cette exigence de la rue. La gauche radicale est menacée pour 2017 d’un éparpillement dramatique ; tout comme en 2007 après la puissante mobilisation contre le TCE.
Des spécialistes en tout genre ont vu dans Nuits Debout une solution aux impasses et aux atermoiements de la gauche radicale ; mais ce n’est évidemment pas le cas. Pour des raisons liées à l’urgence de la situation, bon nombre des participant e s à Nuits Debout se joignent aux actions de l’intersyndicale, comme les blocages, et de façon très efficace, à Toulouse, à celles du collectif « Y a pas d’arrangements » (ou ailleurs à celles des collectifs « On bloque tout »). Nous sommes donc en présence d’une addition de forces dispersées pour lutter contre la loi El Khomri et non d’un mouvement social coordonné, entraînant tous les acteurs de celui-ci vers un objectif commun. La sortie politique d’une lutte sociale d’ampleur se pose donc à nouveau. lire ici