Dans Syndicalisme Hebdo du 21 octobre 2025, un article de Jérôme Citron explique la démarche CFDT et son interprétation de la « suspension » de la réforme des retraites de 2023. Il décrit et commente le projet de budget de la sécu, dont les « efforts » ne sont pas « équitablement partagés« . La CFDT propose une hausse de la CSG. La CGT et la CFDT critiquent toutes les deux la « loi rectificative » proposée par Matignon, puisque le coût de la suspension serait payé par les retraité-es, dont l’indexation des pensions serait amoindrie. La CGT dénonce une « suspension-enfumage« .
Budget de la sécu : ça s’annonce tendu
Extrait de l’hebdo n°3983
Difficile de se faire une idée précise du projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2026. Le texte, examiné par la Commission des affaires sociales en fin de semaine, est en effet davantage la copie du gouvernement Bayrou que celle du deuxième gouvernement Lecornu. Preuve en est : la suspension de la réforme des retraites n’y figure pas encore (lire l’encadré). Pour des questions d’agenda – les lois de finances doivent être votées avant la fin de l’année et dans un calendrier très contraint1 – le Premier ministre a fait le choix de présenter un PLFSS non abouti tout en assurant qu’il était « prêt à faire évoluer le texte ». En s’engageant à ne pas utiliser l’article 49-3 (vote bloqué), il indique vouloir donner le dernier mot aux parlementaires. Le Premier ministre a toutefois martelé une ligne rouge pendant son discours de politique générale : il n’acceptera pas un texte prévoyant un déficit allant au-delà de 5 % du PIB en vue de respecter les engagements européens de la France.
L’annonce d’économies élevées
Les discussions s’annoncent donc particulièrement compliquées, tant les économies annoncées sont élevées. Après un déficit de la Sécurité sociale qui devrait atteindre 23 milliards d’euros en 2025, le gouvernement envisage de voter un budget en déficit de 17,5 milliards pour 2026 alors même que les dépenses de retraites et de santé augmentent mécaniquement du fait du vieillissement de la population. In fine, le gouvernement table donc sur un retour à l’équilibre en 2029.
Pour arriver à ce résultat, il mise sur une augmentation des dépenses de santé (Ondam) de seulement 1,6 %, ce qui paraît très peu réaliste. En 2025, par exemple, l’augmentation sera de 3,5 %. Il a également prévu un cocktail de mesures afin de réaliser 7,5 milliards d’euros d’économie dans la branche santé : limitation des arrêts maladie, doublement des franchises pour les consultations et les médicaments, report de la prise en charge de la protection sociale complémentaire du personnel soignant, nouvelle cotisation sur les titres-restaurant et les chèques-vacances, etc. À cela s’ajoute la création d’une taxe d’un milliard d’euros sur les complémentaires santé.
Toujours dans une logique d’économies rapides, le gouvernement prévoit le gel des pensions et de toutes les prestations sociales (3,6 milliards). Et le Premier ministre a réaffirmé son intention de compenser le manque à gagner de la suspension de la réforme des retraites, qu’il estime à 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027. « Ce PLFSS est particulièrement dur, regrette Jocelyne Cabanal, la secrétaire nationale de la CFDT chargée de la protection sociale. Si nous nous sommes réjouis de l’annonce du gel de la réforme des retraites et de l’ouverture dont a fait preuve le Premier ministre lors de son discours de politique générale, cela ne signifie pas pour autant approbation de ce texte en l’état. »
Une Assemblée nationale extrêmement divisée
Tous les regards se tournent à présent vers les parlementaires, qui vont devoir tenter de se mettre d’accord en ce qui concerne la modification en profondeur les équilibres du PLFSS. Une gageure, tant l’Assemblée paraît divisée. L’extrême droite et l’extrême gauche ne souhaitent manifestement pas jouer le jeu, comptant avant tout faire tomber le gouvernement. Le bloc central dénonce déjà une hausse des impôts et des cotisations inacceptable à leurs yeux. Le Parti socialiste, quant à lui, espère obtenir de nouveaux financements, notamment grâce à une taxe Zucman ou son équivalent. Difficile de savoir s’il est encore possible de rapprocher les différents points de vue…
1. Concernant le PLFSS, l’Assemblée et le Sénat disposent respectivement de vingt et quinze jours pour la première lecture, avec un temps total d’examen limité à cinquante jours, auxquels s’ajoutent les huit jours dévolus au contrôle du texte par le Conseil constitutionnel. Le délai d’examen du PLF est, quant à lui, long de 70 jours.
Gel de la réforme des retraites
C’est une victoire pour la CFDT, qui ne boude pas son plaisir. Résolument opposée à la réforme des retraites portée par Élisabeth Borne, elle n’a jamais renoncé à soigner cette « blessure démocratique » en exigeant des aménagements. Le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, semble avoir entendu le message. Lors de son discours de politique général, le 14 octobre dernier, il a annoncé la suspension de la réforme Borne. Techniquement, c’est comme s’il avait décidé de figer dans le temps les évolutions prévues dans la loi.
Pour mémoire, depuis 2023, l’âge minimal de départ à la retraite progressait de trois mois chaque année pour finalement atteindre 64 ans. L’âge minimal restera finalement à 62 ans et 9 mois jusqu’au 1er janvier 2028. En ce qui concerne la durée minimale de cotisation, la mécanique est identique. Alors qu’elle était censée augmenter pour atteindre progressivement 172 trimestres, elle restera à 170 trimestres jusqu’au 1er janvier 2028. La première génération concernée est celle des personnes nées en 1964, qui ne pouvaient pas partir avant 63 ans. Selon le gouvernement, 3,5 millions de salariés sont susceptibles de bénéficier de ce gel.
Cette suspension de la réforme Borne doit à présent être votée via un amendement dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS). Ce n’est donc qu’en ayant connaissance du contenu exact de cet amendement que l’on connaîtra les détails de la mesure, notamment ses conséquences sur les carrières longues. Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé qu’il comptait intégrer au PLFSS deux mesures en faveur de la retraite des femmes ayant eu un ou plusieurs enfants. Là non plus, on ne connaît pas encore le détail des mesures, mais l’idée est de s’inspirer des travaux du « conclave retraites » – lequel proposait de calculer la retraite sur les 24 meilleures années au lieu des 25 pour les femmes ayant eu un enfant (et sur les 23 meilleures années pour deux enfants, etc.) et de prendre en compte les trimestres acquis au titre de la maternité dans le dispositif carrière longue.
Pour que ce gel devienne effectif, il faudra donc que le PLFSS soit voté, ce qui reste encore hautement hypothétique. Selon le gouvernement, ce « geste fort » reste bel et bien une monnaie d’échange qui doit permettre de trouver un compromis au sujet du budget de la Sécu et, plus généralement, sur le budget de l’État (PLF). Le Premier ministre a franchi une première étape en évitant une censure à la suite de son discours de politique générale, mais le chemin est encore long d’ici à la fin de l’année et le vote final des PLFSS et PLF.
Retraites : Non à la suspension enfumage !
Sous la pression de la mobilisation, le Premier ministre a été contraint d’annoncer dans sa déclaration de politique générale la suspension de la réforme des retraites. Il vient de dévoiler la rédaction qu’il intègrera au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Cela valide les craintes de la CGT :
- La suspension est en réalité un décalage, comme l’a confirmé le chef de l’Etat. Les 64 ans sont maintenus, leur application est seulement décalée. Ceci permet aux générations nées entre 1964 et 1968 de partir 3 mois plus tôt que prévu par la réforme. Une petite avancée pour les générations concernées mais c’est ensuite la confirmation dans la loi des 64 ans.
- De plus, le gouvernement prend prétexte du décalage pour amplifier les mesures anti-sociales déjà contenues dans le PLFSS : la ponction sur les mutuelles complémentaires (qui sera forcément répercutée sur le prix des contrats et donc sur les frais de santé des salariés et des retraités) à laquelle s’ajoute l’année blanche. Après avoir été gelées en 2026, les pensions seront minorées de 0,9 points sous l’inflation en 2027 et de 0,4 points les deux années suivantes. Une énorme perte de pouvoir d’achat pour les retraité·es, actuel·les et futur·es. Inacceptable !
La CGT le réaffirme, la seule vraie suspension c’est le blocage immédiat de la réforme à 62 ans, 9 mois et 170 trimestres pour l’ensemble des générations, avant son abrogation pure et simple. Pour financer le blocage (100 millions d’euros en 2026 et 4 milliards d’euros en 2030) et l’abrogation (3,5 milliards d’euros en 2026 et 15 milliards d’euros en 2030), une multitude de dispositions peuvent être prises et notamment :
- La suppression progressive des 80 milliards d’exonérations de cotisations sociales dont 5,5 Md€ qui ne sont pas compensés par l’Etat et qui participent aux trappes à bas salaires
- L’égalité de salaires femmes / hommes qui rapporterait au minimum 6 milliards d’euros par an pendant 40 ans
- L’élargissement de l’assiette des cotisations pour y intégrer toutes les primes, l’intéressement et la participation (4,4 milliards d’euros)
- L’augmentation du forfait social sur les dividendes (alignement sur les cotisations dites patronales 10 milliards d’euros minimum)
- La lutte contre le travail illégal qui fait perdre de 6 à 8 milliards d’euros de cotisations retraite
La CGT appelle les parlementaires à amender en profondeur le PLFSS pour y intégrer un blocage immédiat de la réforme des retraites puis son abrogation. La CGT appelle également les parlementaires à supprimer du PLFSS l’ensemble des régressions prévues pour le monde du travail : l’année blanche gelant pensions, minima sociaux et salaires des agents publics, l’explosion des franchises médicales, la limitation des arrêts en accidents du travail / maladies professionnelles, la baisse du budget des hôpitaux et de nombreux services publics.
Seule la mobilisation du monde du travail permettra d’empêcher ce budget de régression et de gagner l’abrogation de la réforme des retraites. Les retraité·es seront mobilisé·es le 6 novembre prochain, cette mobilisation doit faire tache d’huile ! La CGT réitère son appel à multiplier les luttes si possibles dans un cadre unitaire au niveau des entreprises, des territoires, des branches et au niveau national interprofessionnel.
Montreuil, le 23 octobre 2025













