Dirigeants communistes: quelle culture syndicale?
Le PCF et la CGT sont deux organisations couramment associées. Or le lien entre les responsables communistes et le mouvement syndical s’est délité depuis les années 1980, en même temps que les stratégies patronales ont réduit les contre-pouvoirs dans les entreprises et que le PCF a perdu une bonne part de son ancrage dans les milieux populaires. Julian Mischi, sociologue et auteur de l’ouvrage Le Communisme désarmé (Agone, 2014), revient pour Terrains de luttes sur l’évolution du rapport des dirigeants communistes avec l’action syndicale et la CGT.
La puissance passée du PCF est indissociable du lien que ses militants avaient tissé avec les milieux ouvriers et syndicaux. Ce parti s’appuyait sur des réseaux syndicaux étoffés et valorisait l’action de ses adhérents sur leur lieu de travail. Avec les mairies et les organisations de masse, le mouvement syndical constituait l’un des trois piliers de la présence du PCF dans la France populaire. La CGT, tout particulièrement, assurait à ses militants un contact direct avec les réalités quotidiennes des salariés. Souvent, les ouvriers s’engageaient d’abord au syndicat avant de chercher un débouché politique en rejoignant « le parti », à l’occasion notamment des campagnes électorales. Les luttes municipales prenaient la forme explicite d’une lutte de classe à l’échelon local avec, d’un côté, des listes menées par des ouvriers syndiqués, parfois associés à des enseignants et, de l’autre, les membres de l’encadrement des entreprises, alliés avec les commerçants et professions libérales. Mineurs, métallos, cheminots, postiers, travailleurs du bâtiment, gaziers et électriciens…, les syndicalistes ont fait la force du PCF et de son ancrage dans les milieux populaires.
Conflits sociaux en terre communiste
La fragilisation du mouvement ouvrier, sur fond de crise des grands bassins industriels, remet en cause ce modèle. Non seulement le PCF perd en influence depuis la fin des années 1970 mais ses différents réseaux tendent à s’autonomiser. Les élus s’investissent prioritairement dans leurs mandats, tandis que certains militants vont privilégier l’engagement associatif (au Secours Populaire ou chez les locataires par exemple) alors que d’autres, chez les intellectuels notamment, se retrouvent plutôt dans les réseaux d’ATTAC ou du Monde Diplomatique. De leurs côtés, nombre de militants ouvriers se replient sur leur entreprise où les conditions de la lutte se dégradent fortement. Fragilisé, le PCF assure de moins en moins un rôle idéologique de coordination des engagements, il perd sa position centrale dans l’univers de la « gauche de gauche ».
Dans ce contexte d’éclatement des écosystèmes communistes locaux, l’univers du parti se distancie progressivement de celui du syndicat. Alors que les militants des entreprises valorisent l’action au sein du syndicat, les responsables du PCF travaillent surtout à maintenir leur influence dans les collectives locales. Les mandats d’élus locaux permettent en effet de maintenir l’audience du PCF, qui s’effondre au plan national, et d’assurer des ressources financières à ses responsables.
Cette dissociation entre le syndicat et le parti ne se fait pas sans heurts dans les terres d’influence communiste comme l’illustre l’émergence au cours des années 1980 de luttes « catégorielles » dans des municipalités gérées par le PCF. De façon inédite, des conflits sociaux secouent des mairies communistes de la région parisienne et des grandes agglomérations, allant jusqu’au déclenchement de mouvements de grève par les employés municipaux CGT. Ceux-ci s’opposent à d’autres camarades, élus et cadres territoriaux, qui sont à la tête des mairies communistes.
Ces rivalités entre syndicalistes et élus illustrent le processus de désouvriérisation du PCF et de ses équipes municipales. Ouvriers, employés et techniciens des services municipaux critiquent chefs de service et cadres administratifs, qui disposent d’un pouvoir grandissant non seulement dans les mairies mais aussi au sein du parti, où les cadres de la fonction publique territoriale occupent désormais une place centrale. Les réseaux du PCF se restructurent autour de professionnels de la gestion publique locale avec une présence accrue de collaborateurs d’élus, directeurs de cabinet, cadres technico-administratifs, chargés de mission, etc. En revanche la CGT de la fonction publique reste surtout organisée au sein des franges populaires des agents des collectivités, qui, à l’image des catégories C, sont de loin les plus nombreuses.
Des dirigeants de moins en moins issus du syndicalisme
A partir des années 1980, des responsables issus du monde des collectivités territoriales remplacent à la tête des fédérations départementales du PCF les permanents d’origine ouvrière, formés dans les écoles du parti et de la CGT. Ces nouveaux dirigeants n’ont pas été éveillés à la politique par les combats syndicaux alors que c’est au sein du militantisme en entreprise que l’itinéraire des anciennes générations militantes prenait souvent sa source.
Concernant la direction nationale, rappelons que Georges Marchais, ajusteur de métier, milite d’abord à la CGT avant de rejoindre le PCF. Permanent syndical, il est responsable de l’Union des syndicats de travailleurs de la métallurgie de la Seine puis prend des responsabilités au PCF qu’il dirige de 1972 à 1994. Le parcours de ses successeurs est, en revanche, étroitement associé à l’univers des collectivités locales. Robert Hue, infirmier de profession, ne devient pas permanent par le syndicat mais par l’obtention d’un poste de collaborateur parlementaire puis par la conquête de mandats électoraux. Maire, conseiller général et régional, il préside l’association nationale des élus communistes et républicains lorsqu’il devient secrétaire général du PCF en 1994. Quant à Marie-George Buffet, élue secrétaire nationale du PCF en 2001, elle a d’abord travaillé dans la municipalité communiste de Plessis-Robinson avant d’être élu adjointe au maire de Châtenay-Malabry puis conseillère régionale.
Le passage dans les collectivités locales gérées par le PCF en tant qu’élu ou collaborateur devient prépondérant pour les nouveaux dirigeants du parti, qui ont peu de culture syndicale. Du moins pas la culture syndicale du monde salarié, car plusieurs sont passés par le syndicalisme étudiant, à l’image de Marie-George Buffet, licenciée en histoire-géographie et dirigeante de l’UNEF. Pierre Laurent, qui lui a succédé à la tête du parti en 2010, a auparavant animé l’Union des étudiants communistes avant de devenir directeur de la rédaction de l’Humanité après avoir obtenu un maîtrise de sciences économiques à la Sorbonne.
Un lien distendu avec le mouvement syndical
En alimentant les réseaux communistes en cadres ouvriers, la CGT avait assuré au PCF un lien privilégié avec les milieux populaires. Or la nouvelle génération de dirigeants communistes a peu d’expérience ouvrière ou syndicale. Dans les fédérations, les responsables du PCF sont davantage insérés dans le monde politique local administratif que dans l’espace des mobilisations militantes. Souvent cadres des collectivités locales, leurs profils traduisent la professionnalisation de l’administration communale, qui peut d’ailleurs les mettre en porte-à-faux avec des agents communaux s’efforçant de maintenir une activité syndicale sur leur lieu de travail. Ces derniers doivent pour cela lutter contre la diffusion des principes du management public et d’une conception dépolitisée de l’action municipale que certains élus communistes peuvent reprendre à leur compte.
La désignation de trois nouveaux responsables départementaux durant l’automne 2014 illustre bien ce changement de profils des dirigeants communistes locaux. Outre un enseignant de trente-cinq ans qui prend la responsabilité du PCF dans le Gard, c’est un chargé de mission et collaborateur d’élu de trente-trois ans qui a été promu à la tête de la fédération du Rhône tandis que la puissante fédération de Seine-Saint-Denis est dirigée depuis octobre par une cadre de la fonction publique territoriale. Les syndicalistes – ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs tout particulièrement – se font plus rares dans les rangs des responsables communistes même si on les retrouve toujours en nombre au sein de la base militante. Le PCF recrute de moins en moins ses animateurs parmi les cheminots, agents de service des collectivités, métallos, salariés de la chimie et de l’agroalimentaire, postiers, des milieux où les forces syndicales restent pourtant encore relativement structurées.
Sans parler du projet politique en lui-même, il est vrai que les militants de la CGT peuvent se sentir mal à l’aise dans un parti qui est devenu une organisation très décentralisée sans grande cohérence nationale. Depuis les années 2000, les alliances électorales (avec ou sans le PS par exemple) sont à géométrie variable, selon les élections mais aussi selon les lieux. Elles dépendent des rapports de force interne dans les fédérations et du poids des élus locaux. Ce mode d’organisation donne du poids aux individualités locales et peut opérer comme un frein à l’engagement de militants attachés à une culture organisationnelle valorisant la force du groupe et la discipline collective.
Une prise de distance réciproque
La prise de distance entre le PCF et la CGT est un mouvement réciproque, qui a été favorisé par la stratégie de la confédération : celle-ci prend ses distances avec son principal allié politique dans les années 1990 afin d’éviter de sombrer avec lui[1]. A cette époque, les dirigeants des deux organisations ont voulu marquer leur autonomie respective dans un contexte de crise du mouvement communiste international. Du côté de la CGT, l’accent est mis sur l’investissement du secteur des relations professionnelles. Dans cette optique, les syndicats n’ont pas à porter un projet politique, mais à être des acteurs de la démocratisation de l’action publique[2]. La dépolitisation, que l’on observe chez certains élus-techniciens, se retrouve en quelques sortes dans le discours des dirigeants syndicaux qui autolimitent la portée de leur champ d’action.
Or le syndicalisme et la résistance au néo-libéralisme s’avèrent fragiles sans levier politique. Le découragement face à l’absence de perspective politique apparaît même comme un frein à l’engagement syndical alors que l’espoir d’un changement des rapports de force politiques est un ressort à la mobilisation syndicale, comme l’ont illustré les conflits des « années 1968 » qui étaient associés à la forte politisation des combats sociaux. Plus récemment, la dynamique du Front de Gauche, à l’occasion surtout des élections présidentielles de 2012, a remobilisé des militants syndicaux, présents de façon inédite sur la scène politique dans le cadre notamment du Front des luttes. L’expérience ne semble cependant pas s’être inscrite dans la durée, faute à la fois de volonté politique et de réduction des débats aux seuls enjeux électoraux.
Au sein des mondes communiste et cégétiste, perdure une co-présence amicale que l’on retrouve par exemple dans les pages de l’Humanité. Seul ce quotidien, qui n’est plus officiellement le journal du PCF, relate régulièrement et sérieusement les conflits sociaux et les actions des syndicalistes. La voix des militants de la CGT y occupe une place de choix. Mais ces pages « sociales » cohabitent avec les pages « politiques » sans toujours dialoguer : leurs protagonistes semblent appartenir à des univers sociaux différenciés.
Julian Mischi
Pour poursuivre sur ce sujet, lire Le Communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, Agone, 2014.
[1] Leïla de Comarmond, Les vingt ans qui ont changé la CGT, Denoël, 2013.
[2] Sophie Béroud, « Le Mouvement syndical au miroir des élections de 2007. Les redéfinitions complexe du rapport au politique », La Pensée, 349, janvier-mars 2007, p. 111-121.