CGT : un point de vue sur le congrès

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Voici notre point de vue sur le congrès CGT : une observation « engagée ». Nous le complèterons ultérieurement par la publication des discours introductifs et conclusifs de Philippe Martinez, ainsi que par l’Appel du congrès.

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52ème Congrès CGT 

Rien n’est résolu, le débat va continuer

Jean-Claude Mamet

Normalement, la fin d’un congrès apaise une discussion. Et trace une ligne de conduite pour les mois qui suivent. Le 51ème congrès à Marseille avait laissé dans un grand flou bien des questions stratégiques. Mais le collectif militant CGT était néanmoins ressorti de Marseille avec un plan d’action contre la loi Travail, jusqu’à la « reconduction » des grèves. Il n’en est rien pour le 52ème congrès. Le congrès s’est achevé, mais c’est une fin provisoire. On serait tenté de dire que le débat du prochain congrès va commencer.

Malaise ou déception

Rien n’est vraiment résolu en effet. Bien des délégué-es se disent déçu-es et l’ont dit, même s’il faut être prudent avec les paroles véhémentes prononcées devant un micro.

Plus que jamais, la CGT est traversée par un débat cruel sur sa place dans les luttes sociales, et même dans la vie politique, puisque beaucoup de commentateurs proclament son déclin. Les moments de tension, de confusion, et même de colère ont été assez nombreux. Philippe Martinez a conclu la question vendredi 13 mai par un satisfecit démocratique : on discute, on n’est pas toujours d’accord, on vote, et on continue la CGT tous ensemble. C’est à la fois vrai et faux.

Vrai parce que la CGT parvient toujours, malgré les débats houleux, à savoir jusqu’où ne pas aller trop loin. « Ici c’est ma famille » a même dit David Gistau en tant que président de séance pour rétablir le calme, et il s’est fait applaudir. On n’a même entendu des délégués expliquer que le discours introductif du secrétaire général était bon, alors que les textes d’orientation sont mauvais.

Mais c’est faux aussi parce que souvent les controverses ne sont pas clairement préparées en amont du congrès et dans le feu de celui-ci (ainsi les délégué-es qui défendent des positions convergentes n’ont toujours pas le droit de se concerter). Il reste donc une impression de malaise : « on s’en est sorti », mais quelle était vraiment la question posée ? On « s’engueule » sur un bout de phrase, mais qu’y a-t-il derrière ? Exemple : le fameux ajout voté majoritairement sur les « syndicats » de la Fédération syndicale mondiale (FSM) avec lesquels la CGT pourrait entrer en contact, comme avec ceux de la Confédération syndicale internationale (CSI) ou de la Confédération européenne des syndicats (CES) dont elle est membre.

Plus généralement, la CGT n’échappe bien sûr pas aux difficultés de la situation générale. Aucun syndicat ne va vraiment bien. Même Laurent Berger dit que le syndicalisme est « mortel ». La crise du « collectif » est générale. Elle renvoie à celle du sens, du projet, des rapports des forces, des outils qui vont avec, etc. Dans une telle situation, une certaine modestie devrait prévaloir, notamment face à des jugements à l’emporte-pièce souvent entendus. Il n’empêche que les organisations de lutte sont menacées de déphasage avec l’époque, donc d’affaissement. Le déphasage avec le mouvement des Gilets jaunes, par exemple, peut avoir de lourdes conséquences quant à la capacité du syndicalisme à incarner un projet généraliste, face à l’irruption d’autres mouvements qui bousculent la société de bas en haut et de haut en bas.  Il n’y a d’ailleurs pas que les Gilets jaunes, mais aussi le mouvement sur le climat, le mouvement féministe, lesquels traversent maintenant la CGT, et cela s’entend.

Dire cela implique seulement admettre la nouveauté dans son effet de reconstruction possible, pour peu qu’un dialogue s’installe avec des expériences partagées.

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Beaucoup de questions accumulées

 

La liste des questions en débat est longue, bien plus longue même que les 5 thèmes officiellement mis en avant pour ce congrès. On peut citer :

-le rapport dégradé au salariat dont les Gilets jaunes révèlent le fossé ou le décalage avec l’implantation CGT ; en corollaire de cela : l’incapacité de la CGT à mettre réellement en œuvre les décisions qu’elle prend depuis au moins le congrès de Nantes (2009, donc 10 ans) pour changer ses structures, décisions très fortement rappelées par l’introduction de Philippe Martinez ;

– l’approche du travail réel, ignoré pendant si longtemps par la Confédération générale du travail (et toute la gauche !), et son lien avec le « statut du travail salarié », qui demeure un concept mal maitrisé, souvent confondu avec une revendication classique ;

-le besoin de dynamiser le répertoire d’actions (par exemple l’ordonnancement et le style des manifestations) pour attirer la jeunesse ou les précaires ;

– évidemment la question de l’unité d’action, de l’illusion d’une CGT seule capable de riposter, et en même temps la prise en compte difficile de clivages stratégiques bien réels (avec la direction CFDT) ;

– derrière l’épouvantail CFDT, problème lancinant mais ô combien répété, il y a le problème de la lutte des classes aujourd’hui (réforme, révolution), du rapport entre classe et genre, entre classe et écologie, etc. ;

-discuter de ce qui se joue dans l’expression subversive de la manifestation politique par rapport à la difficulté de faire une grève classique sur le plan interprofessionnel (on l’a déjà noté en 2016) ;

-le rapport au politique, qui demeure un tabou, après des décennies de hiérarchisation (avec le parti sensé donner la bonne ligne) ;

-le déficit démocratique, au sens où tout peut être dit et contredit, mais sans organisation clarifiée de la portée des divergences (les procédés de vote sont conçus pour donner une prime à la « tribune », qui par nature « sait » mieux les choses que les délégué-es) ;

– et bien sûr les questions du syndicalisme international, dont la portée symbolique et historique est forte au moins pour les plus politisés.

Cela fait beaucoup ! Et cela donne même le tournis. Ce qui produit souvent un désarroi, plutôt que des réponses. Cette accumulation de questions du temps présent n’est d’ailleurs pas propre à la CGT. Elle est commune à tous les syndicats, les associations, toutes les organisations progressistes. Le partage des débats est donc une nécessité absolue, pour tout le monde. Ce qui nécessite de rompre vraiment avec la conception d’une citadelle vieille de 125 ans, mais assiégée ou entourée d’ennemis.

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Bonnes surprises

Sur deux questions au moins, le besoin de secouer la maison CGT est en train de faire des progrès très visibles : le féminisme et l’écologie. Les bouches s’ouvrent. Le mouvement de la société s’invite au congrès. Celui-ci était d’ailleurs quasiment à parité dans les délégué-es : 45% de femmes. Et même, pour 49%, des adhérents de 2018, donc tout récents. Il y a là un volontarisme de direction qui peut être discutable (mais justifié par un progrès des adhésions féminines), qui a produit des effets de congrès. C’est la première fois par exemple que les interventions se succèdent au rythme : une femme/un homme.

Sur l’exigence féministe, un tabou a sauté depuis quelques mois (effet MeToo) : il y a des violences sexistes dans toutes les organisations, donc dans la CGT aussi. Le Collectif Femmes-mixité CGT de la ville de Paris y est pour quelque chose par ses révélations (dans Médiapart). Une dizaine de militantes s’étaient données rendez-vous le matin du deuxième jour de congrès pour accueillir les délégués dans la bonne humeur, mais avec un sachet gratuit de « bonbons antisexisme » distribué avec l’invitation à ouvrir une vidéo sur les violences sexistes subies. A visionner sur YouTube : https://uriz.fr/9JIc. En groupe, c’est décapant.

Et puis, il y a ces interventions percutantes de militantes. Celle de Catherine Marchais (services publics- Nanterre) critiquant des « tribunes d’hommes » lors de la journée internationale du dimanche 12 mai et qui appelle à une « visibilisation du visage féminin dans le syndicalisme international ». Elle propose que « le syndicat des femmes employées de Guinée conduisent la manifestation internationale du 17 juin », pour le centenaire de l’OIT à Genève. Celle de Sophie (Sociétés d’études-Cap Gémini) qui déplore que ce soit « dans la presse que nous apprenons des cas [de violence] dans la CGT », appelle à des « sanctions » lorsque les faits sont avérés et dénonce le « patriarcat comme étant la sœur jumelle de la domination capitaliste ».

Sur l’exigence écologiste, c’est la première fois qu’elle est autant présente dans un congrès CGT. Alexandra (FAPT- 05) « se réjouit que l’écologie apparaisse dans le congrès ». « A quoi bon la RTT s’il n’y a plus de montagnes ! ». Il faut « oser » un syndicalisme « antiraciste, féministe, antifasciste, et écologiste ». Néanmoins, un autre délégué, Pierre Laurent (cheminots-Metz), déplore la faiblesse du document d’orientation sur l’écologie, appelle à « combattre nos vieilles habitudes, nos réflexes », et à « balayer devant notre porte ». Par exemple, « en tenant compte de l’impact écologique de chacune de nos revendications ».

Et en effet, le grand consensus CGT pour relancer une « politique industrielle » peut parfois revêtir de fortes ambiguïtés, comme par exemple le refus des fermetures des centrales à charbon. Ou pire : la demande de réouverture de mines à Salau par un délégué de l’Ariège. Alors qu’il y a un risque d’amiante avéré et qu’une opposition locale à ce projet (y compris dans la CGT) s’est construite avec un collectif « Stop mine Salau« . Un délégué de la chimie a aussi clairement dit que « la logique de classe » devait prévaloir sur la logique écologique, et même l’égalité femmes/hommes…

Gilets jaunes : pas une ligne !

Le congrès confédéral s’est terminé sans qu’aucune orientation n’ait été mise par écrit sur le mouvement social des Gilets jaunes qui secoue le pays depuis novembre 2018. On note à peine une évocation des « gilets jaunes, rouges, roses », dans un tardif « Appel du congrès » qui n’a pas été discuté, et un ajout « gilets jaunes » dans l’énumération des différents « mouvements citoyens ».

Le document d’orientation, écrit avant l’acte 1 du 17 novembre 2018, est resté intact six mois après. Philippe Martinez a parlé des Gilets jaunes dans son introduction, et tout le monde a noté une évolution positive. Catherine Perret, secrétaire confédérale, a également évoqué dans une conférence de presse les nombreuses expériences locales d’actions communes avec les Gilets jaunes. Mais de tout cela, il ne reste aucune trace à la sortie.  Cela parait invraisemblable, mais c’est ainsi.

Pourtant de nombreux délégué-es ont posé ce débat, souvent de manière très critique, mais aussi de façon constructive. Caroline Viau (services publics-Val de Marne) a pointé un mouvement « qui a ouvert une brèche contre le président des riches. Cela bouscule nos pratiques ». Elle a ajouté que c’était « la responsabilité de chaque militant » d’aller voir ce qui se passe et d’agir. William (FERC-Tourcoing), a expliqué comment une syndicalisation à la CGT avait pu se produire chez les Gilets jaunes du secteur, pour peu qu’on fasse preuve de « souplesse » et de solidarité. Un amendement expliquait très modestement que la CGT doit être « attentive au mouvement des Gilets jaunes ». Or il a été combattu par la commission des résolutions, mis au vote, et rejeté par le congrès.

Ce qui indique indirectement que la confrontation de la culture militante CGT avec la « trainée de poudre » des « jaunes » est loin d’être simple. Notons aussi que les fédérations et unions départementales (chimie, commerce, Bouches du Rhône, Val de Marne…), classées « oppositionnelles », qui avaient pris l’initiative le 28 avril dernier d’une manifestation nationale coorganisée avec des Gilets jaunes, et même des partis politiques, ne sont pas intervenues pour en tirer le bilan. Or ce bilan est maigre. La démonstration d’une stratégie alternative à la confédération ce 28 avril n’est absolument pas probante (la manière de faire a sans doute compté aussi dans ce résultat).

Les difficultés ne doivent donc pas être dissimulées, et elles ne concernent pas que la CGT. Mais aucun débat spécifique n’a été prévu sur ce point, par exemple dans une commission ad hoc, ou dans des interventions « interactives », comme cela se produit parfois. Il est évident que la direction ne le voulait pas. Parce que ce débat divise trop ? Ou parce qu’il est insupportable qu’un mouvement né en dehors du syndicalisme puisse atteindre une telle portée générale ? Un vrai mystère.

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Le débat travail n’a pas eu lieu

Le document d’orientation avait fait de la question du « travail » une priorité. Le texte en lui-même ouvrait bien le débat. La commission Santé-travail de la confédération tente de renouveler l’approche du réseau militant sur ce thème, en remettant en cause une vision « avant-gardiste », où les équipes syndicales savent à l’avance les bonnes revendications, et tentent de les faire adopter pour agir. Or une telle approche « avant-gardiste » oublie à la fois le travail réel dans son épaisseur, et aussi l’expression directe (jamais facile à faire émerger) des salarié-es sur leur vie de travail, leurs gestes, leur ressenti, les finalités des procédures, les modes d’organisation. Le syndicalisme s’est longtemps focalisé sur le travail qui exploite, mais a ignoré le travail vécu, qui déborde les consignes. On en discute un peu à la pause-café, mais jamais dans les réunions syndicales : ce n’est pas considéré comme important.

Cela fait plusieurs congrès que la direction CGT tente de ressourcer la pratique syndicale « par la porte d’entrée » du travail réel. Cela résulte aussi d’un croisement du syndicalisme avec les recherches en sociologie ou psychologie du travail. Mais cette discussion n’a jamais lieu dans les congrès, et il en fut de même cette fois-ci.

Certes, bien des congressistes ont dénoncé les dégradations de la santé, les risques professionnels, les outils et produits dangereux, les attaques contre les CHSCT, et l’inhumanité du travail dominé par le management néolibéral. Les syndiqué-es privé-es d’emploi et précaires du Collectif national des travailleurs privés d’emploi (CNTPEP) ont fait de remarquables interventions, notamment pour remettre à l’ordre du jour une sécurité sociale intégrant la question du chômage. Mais quasiment aucune intervention n’a pris à bras-le-corps la démarche-travail censée être l’orientation confédérale. Les rapporteurs, en dépit du texte écrit, n’ont guère sollicité le congrès sur ce point, qui reste sans doute un tabou ou un angle mort.

Ce tabou se dévoile aussi dans le débat assez vif autour de la notion de « nouveau statut du travail salarié » (NSTS) : faut-il plutôt parler de « statut du travail » tout court, pour intégrer les non-salarié-es des plates-formes, et certains « indépendants » ? La résistance est plutôt vive sur ce point. Comme partout dans le monde social, la plus grande confusion se propage maintenant, sous l’impact des dites plates-formes et de l’imaginaire qu’elles mobilisent sur la prétendue autonomie individuelle, trompeuse mais néanmoins recherchée. On mesure là l’effet de liquidation de la notion même de salariat porteur de droits collectifs, ce qui n’exclut nullement (au contraire !) la liberté personnelle. Mais on mesure aussi un attachement à une vision du salariat défini par la subordination compensée par des droits. Les droits seraient alors le pendant d’une subordination acceptée. C’est ainsi qu’une congressiste a pu dire que la subordination « est une conquête ». S’il est vrai que le Code du travail rééquilibre les inégalités structurelles de la relation purement contractuelle, faut-il s’en tenir là ? La subordination juridique n’est-elle pas le contraire de l’émancipation ?

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Stratégie de luttes et unité syndicale

Avec les affiliations internationales (voir plus loin), les débats les plus animés ont porté sur les luttes et l’unité. Il est compréhensible que cette question soit lancinante, puisque la CGT n’a pas réussi depuis plusieurs années à gagner sur les combats menés (loi Travail, ordonnances, SNCF…), qu’elle est passée deuxième organisation après la CFDT, et qu’elle est mise au défi fin 2018 par un mouvement populaire né en dehors d’elle, qui reprend pour beaucoup ses propres revendications et qui a réussi à fortement déstabiliser le pouvoir Macron.

Une telle situation devrait conduire à une réflexion très approfondie sur les nouvelles données du combat social, face à l’Etat néolibéral et à un patronat qui est partout et nulle part, disséminé sur la scène internationale, mais sachant aussi se glisser dans les chaines de sous-traitance en cascade, ou le marché dématérialisé par internet (Amazon). Comment bloquer durablement l’économie ? Il y des conflits locaux mais comment faire grève sur le plan interprofessionnel ?

Ludovic (Métaux-Nord), co-auteur d’un document d’orientation dit « alternatif » (une première dans un congrès CGT) élaboré avec plusieurs syndicats (dont Goodyear, Info-com) ne mâche pas ses mots : « Combien de temps allons-nous rester sur une orientation qui ne gagne pas ? La CGT ne sert à rien si elle ne sait pas créer la convergence des luttes ». Ce qui bien sûr implique pour lui d’abandonner toute perspective incluant la CFDT, notamment sur la question des retraites à venir.

Gérald Lecorre (inspection du travail-Seine-Maritime) est très applaudi lorsqu’il déplore que la CGT n’ait pris « aucune initiative nationale » sur la disparition des CHSCT et qu’il propose « un appel clair sur les retraites et la convergence des luttes avec les Gilets jaunes », en ajoutant qu’il faut arrêter de discuter avec le Haut-Commissaire aux retraites J.P. Delevoye.

Cependant, aucun des délégué-es qui sont très critiques sur la stratégie confédérale ne revient sur le bilan du congrès de Marseille, en plein mouvement contre la loi Travail, qui avait appelé à la « reconduction » des grèves (appel du congrès). Pourquoi le résultat a-t-il été modeste ? Certainement pas à cause de la CFDT à ce moment-là !

D’autres délégué-es sont donc plus mesuré-es. Rim Hidri (SCOP-TI, Bouches-du-Rhône) soulève l’émotion du congrès à cause de la lutte exemplaire de cinq ans menée contre Unilever. La SCOP prouve qu’il n’y a « pas de besoin de patron » pour faire tourner une entreprise. Mais elle ajoute que « la convergence des luttes », que les Fralib « ont essayé », « n’est pas simple ». Et que les mouvements sociaux sont « dans une situation très complexe ». Au cours d’une conférence de presse, Laurent Brun (Fédération des cheminots), revient sur le conflit du printemps 2018, dont il tire un bilan d’échec lucide. Il revient sur la forme de lutte adoptée : « 90% des cheminots ont participé au mouvement à un moment ou l’autre. Bien sûr si 90% s’étaient mis en grève reconductible dès le début, peut-être que le conflit n’aurait pas duré trois mois ». Mais il ajoute d’une manière plus générale : « Nous ne parvenons pas à transformer le mécontentement en mouvement important ». L’objectif semble cependant de relancer une grève à l’automne 2019.

Même les plus critiques le disent : « Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton ». Alors concrètement, on fait comment ? D’une certaine manière, même la critique que fait la direction CGT aux Gilets jaunes (Martinez en tête) de ne pas chercher à faire grève dans les entreprises, est facile à faire, mais pas non plus très opérationnelle. La question posée renvoie à celle des collectifs de lutte démantelés au sein des entreprises, notamment les plus emblématiques. Quelles sont aujourd’hui les « communautés pertinentes de l’action collective » ? (Pour employer l’expression célèbre du sociologue Denis Segrestin en 1980) ? Et quels sont les répertoires efficaces d’action, ne serait-ce que dans les manifestations de plus en plus précédées des fameux « cortèges de tête » qui renouvellent la manière d’occuper la rue (à Paris) ? Voilà les questions auxquelles il faut réfléchir sans doute, dans la CGT comme dans tous les syndicats. Le politologue Jean-Marie Pernot, dans une interview récente à Options (journal de l’UGICT CGT) en février 2019, n’hésite pas à dire : « L’enfermement dans l’entreprise est mortifère », d’où ajoute-t-il, « cette difficulté à se connecter à une mobilisation comme celle des gilets jaunes ». Laquelle, on le sait, cible directement le pouvoir politique, clef de voûte du néolibéralisme.

Mais sur ce plan du rapport au politique : qu’a fait la direction CGT du collectif Marée populaire qu’elle avait acceptée de construire pour le 26 mai 2018 ? Ce réseau pluraliste (syndicats, associations, forces politiques) aurait pu permettre peu à peu de cibler le pouvoir Macron dans une optique de lutte socio-politique. Voilà une occasion gâchée.

La CFDT a bon dos

Il est très commode de cibler la CFDT comme responsable des maux dont souffrirait le syndicalisme CGT, dont la direction est accusée de pactiser avec elle contre toute évidence factuelle récente. Même la très malencontreuse déclaration commune intersyndicale de décembre 2018, fustigée en interne et remise en cause par le bureau confédéral lui-même, n’a pas eu alors autant d’effet de freinage en elle-même.

Il est évident, depuis longtemps, que la direction CFDT ne vise pas l’émancipation sociale anticapitaliste, et a mis la lutte des classes aux poubelles de l’histoire. La CGT dit l’inverse, même si des délégué-es s’échinent à ne pas le croire et à répéter en mantra ce qui est déjà écrit dans les textes. Le problème posé devient alors : la CGT peut-elle toute seule mobiliser majoritairement le salariat, privé et public ? Comment convaincre à l’action à la fois les Gilets jaunes et les salarié-es qui votent CFDT par pragmatisme ? Ne faut-il pas que le débat intersyndical -et la controverse- devienne public et traverse tout le salariat ? Unité, débat public, démocratie syndicale vont ensemble.

Au congrès de Marseille (2016), Philippe Martinez avait paru mettre de côté le « syndicalisme rassemblé », trop réduit disait-il à faire de la CFDT un « partenaire privilégié ». Des congressistes avaient alors apprécié. Mais il y a une ironie de l’histoire ! Le document adopté en 2016 définissait le « syndicalisme rassemblé » comme la construction « de l’unité syndicale sur la base des revendications » (Le Peuple spécial congrès, page 171, 2016). Or en 2019, un délégué (soutenu par d’autres) a proposé de remplacer la notion de « syndicalisme rassemblé » par celle « d’unité d’action sur la base des revendications ». Exactement la formule de 2016. Mais elle n’a pas été retenue cette fois. Il y a donc bien évolution 2016-2019. De même que la réaffirmation d’un objectif CGT de syndicalisme « unifié », étrangement nullement critiquée !

Mais si la formule du « syndicalisme rassemblé » se conforte, elle reste totalement désincarnée. Une fois de plus, alors qu’on invoque l’unification, personne ne dit mot de la FSU, et encore moins de Solidaires.  Aucun délégué n’a demandé que des débats se précisent davantage sur les rapports de la CGT avec ces deux syndicats plutôt proches dans les luttes courantes.  Et la direction ne le prévoyait pas. Alors, oui : la CFDT a bon dos pour évacuer ce qui permettrait au syndicalisme d’innover vraiment.

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Les démons de l’internationale

La direction confédérale a sans aucun doute sous-estimé l’offensive menée depuis des années par les partisans d’un retour à un pseudo-syndicalisme anti-impérialiste incarné par la FSM.

Elle avait pourtant les moyens de répondre en montrant qu’il est possible de pratiquer un syndicalisme internationaliste par des pratiques concrètes (un « internationalisme de base », dira une déléguée), avec des relations directes de syndicats à syndicats, dans des branches, et même des multinationales. On peut citer de ce point de vue les contacts syndicaux menés dans l’entreprise STMicroélectronics, mettant en contact des syndicats d’Asie avec ceux de France et d’Italie. Christelle, déléguée de la FAPT en Allier parlera du travail fait chez Orange avec les syndicalistes du Sénégal. Ainsi que des actions syndicales menées dans Geopost (colis) dans le monde, grâce un réseau UNI Global Union (900 syndicats affiliés dans le secteur des services dans le monde).  On peut citer en Europe les relations possible et stimulantes menées pour créer une petite internationale des livreurs à vélo, grâce au réseau Altersommet (qui a succédé au Forum social européen, en bien plus modeste), où participent la CGT, la FGTB et d’autres, affiliées à la CES. La direction CGT pourrait davantage mettre en valeur des liens concrets avec des structures de la CSI (par exemple le Bangladesh). La remarquable brochure éditée à la veille du congrès par les Cahiers de l’Institut d’histoire sociale (IHS) de la CGT aurait pu contribuer à faire progresser la discussion si elle était parue plus tôt.

Il est certain que c’est le bilan négatif de la CES qui a prolongé sur le terrain européen-international le débat de « démonisation » de la CFDT mené sur le terrain national. D’autant que Laurent Berger sera promu président de la CES au congrès de celle-ci (21 au 24 mai 2019) immédiatement après le congrès CGT (il semble que ce soit contre l’avis de la CGT et de FO). On mesure là les retombées, dans la CGT, d’être devancée par la CFDT dans les résultats cumulés de représentativité syndicale : ce sont les syndicats droitiers qui gagnent. Le réflexe est donc d’afficher une position de durcissement politique, alors que la stratégie confédérale, oscillante d’une période à l’autre, peine à être comprise et ne porte pas de résultat. Dès lors, l’explication facile fait mouche : tout vient des affiliations internationales de la CGT, en Europe et dans le monde. Au lieu que ce soit la CGT qui booste la CES, c’est la CES qui se décalque sur la CGT. Cela marche d’autant mieux que l’Europe a une mauvaise image en général chez les travailleurs.

Dans notre article anticipant le congrès (lire : http://wp.me/p6Uf5o-2vw), nous avions évoqué la « matière inflammable » des congrès CGT. Il fallait qu’un maillon craque. Ce ne fut pas à travers l’amendement réclamant un « statut d’observateur » à la FSM (qui fut finalement abandonné), mais seulement dans l’ajout voté très majoritairement portant sur les « syndicats de la FSM » en plus des organisations (de la CSI ou la CES) avec lesquelles la CGT entretient aussi des relations bilatérales. Ce qui est déjà le cas par exemple avec le syndicat CTC (Centrale des travailleurs) de Cuba, comme la journée d’échange internationale du dimanche 12 mai, à la veille de l’ouverture du congrès, l’a montré. A travers cet ajout, les pro-FSM ont remporté une victoire symbolique. Ils sauront l’utiliser dans la suite du congrès (où plusieurs votes à main levée sur des amendements ont été très serrés), et dans les mois qui viennent.

Du ressentiment à l’affaissement possible

Pour conclure, dans ce congrès difficile, il ne s’agit pas ici de sous-estimer le ressentiment, voire la rancœur, de beaucoup de congressistes et de militant-es en colère ou désemparés.  Dans son discours de clôture du congrès, Philippe Martinez a voulu rassurer en affichant haut et fort que la CGT était bien « de classe », mais aussi « de masse », ce qui pour lui donne une place centrale aux Unions locales, soupçonnées de marginalisation.

Mais cela n’enlève pas le sentiment d’en écart très grand entre des paroles applaudies (celles du secrétaire général) et une manière de décider qui reste constamment au milieu du gué.

Qu’un congrès syndical n’ait rien à dire de concret en termes d’orientation, sur le mouvement des Gilets jaunes, est proprement stupéfiant. Qu’on ressasse le « syndicalisme rassemblé » depuis 1993 sans jamais être capable d’expliquer en quoi cela dépasse la simple unité d’action, tout en proclamant l’objectif lointain d’un « syndicalisme unifié », cela évite certes un trop gros repli identitaire sur la seule CGT, mais ne satisfait personne. Que Philippe Martinez, le dernier jour du congrès, donne une interview à l’Humanité (lire : http://wp.me/p6Uf5o-2yJ) où il explique qu’il faut maintenant mettre les bouchées doubles (comme il l’a d’ailleurs dit dans son discours introductif) sur l’implantation, la syndicalisation, alors qu’aucun vrai plan de travail ne ressort du congrès, ne peut que susciter l’étonnement. Citons-le : « Il y a besoin maintenant de passer aux travaux pratiques… Il nous faut opérer de grands changements dans notre mode d’organisation si nous voulons être la CGT de tous les travailleurs ».  Et il ajoute : « Comme nous n’avons pas réussi à la faire depuis vingt ans, bien entendu que la tâche va être rude ». Mais le congrès a surtout été occupé par autre chose.

Que la direction CGT, et notamment celles et ceux en charge du document d’orientation, ait eu l’intention de faire partager la réflexion des militant-es sur l’approche syndicale par le travail et la co-définition des revendications par cette méthode de bas en haut, mais que rien dans le congrès n’a été fait pour que ce soit vraiment le cas, cela interroge sur le but poursuivi.  Où la CGT veut-elle aller collectivement sur cette question ? Personne ne peut le savoir au sortir du congrès.

Que la CGT expérimente un pas de deux avec les forces politiques (Marée populaire en 2018) sans en tirer aucun bilan, ni aucune idée nouvelle, et en laissant Laurent Berger occuper la scène politique avec des ONG et Nicolas Hulot, c’est s’exposer à la paralysie récurrente dans le rapport au politique et à la critique publique d’une incapacité d’initiative. Sauf que devant ce vide, des fédérations et syndicats CGT se mettent à appeler à voter Ian Brossat tête de liste PCF aux élections européennes, comme au bon vieux temps !

Autrement dit, le débat d’orientation va continuer. Mais continuer sous quelle forme ? Peut-être ce congrès est-il le témoin que les méthodes de débat et de décision de la CGT sont surannées, notamment en congrès. Alors que les questions posées à tout le syndicalisme mériteraient des moments de vrais débats (commissions ?), des échanges nourris horizontalement, avec le droit de faire circuler les points de vue dans la presse CGT, ce congrès n’avait même pas prévu de tribunes de discussion ! Alors que le congrès est proclamé être celui « des syndicats », le poids des fédérations et des responsables de délégation est en réalité exorbitant, mais occulté ; mais lesdites fédérations ou les unions départementales ne cherchent même pas (sauf exception, comme la chimie) à publier leur réflexion collective. Ne serait-ce pas cela aussi le fédéralisme ?

Pour répondre aux inquiétudes et éviter les découragements, la CGT de notre époque est encore à inventer. Cela concerne d’ailleurs tout le syndicalisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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