Commerce Paris : initiatives syndicales inédites

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Depuis quelques années, le syndicalisme du commerce parisien se distingue par des initiatives syndicales unitaires originales. C’est d’une part la mise en place depuis 2010 du Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris (CLIC’P), comprenant CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC, SUD,  agissant de manière coordonnée sur le temps partiel, les salaires,  les ouvertures de nuit ou de dimanche, etc. Voir à ce propos l’article du Monde du 5 octobre 2013, ci-dessous.

Mais c’est aussi la mise en place d’une intersyndicale contre l’ouverture du travail le dimanche, action étendue à des organisations professionnelles d’une partie du petit patronat du commerce, soucieux de qualité du travail.

  • Clic-P, le collectif qui fait trembler les commerces

LE MONDE | 05.10.2013 | Par Bertrand Bissuel

Un magasin Leroy-Merlin ouvert le dimanche 29 septembre 2013.

C’est la bête noire des supérettes parisiennes et de plusieurs grandes enseignes implantées dans les quartiers chics de la capitale. Elle a fait rendre gorge aux Apple Stores, à Uniqlo et à une kyrielle de magasins qui ne respectaient pas la réglementation sur les horaires d’ouverture. Son nom claque comme un slogan publicitaire : Clic-P, pour Comité de liaison intersyndicale du commerce de Paris.

Dans le débat sur le travail de nuit et le repos dominical, ce collectif se distingue par la guérilla judiciaire qu’il poursuit sans relâche depuis trois ans. Mais son action est contestée par des salariés, désireux d’être employés après 21 heures ou le dimanche.

Le Clic-P a vu le jour en février 2010, quelques mois après l’adoption de la « loi Mallié », du nom d’un député UMP des Bouches-du-Rhône qui l’avait défendue : ce texte accordait de nouvelles possibilités aux commerces de détail pour accueillir les clients le dimanche.

A l’époque, la mairie de Paris avait lancé une consultation sur le sujet, associant syndicats de salariés et organisations d’employeurs. « Il y avait un lobbying patronal très fort pour étendre les autorisations d’ouverture dominicale, raconte Karl Ghazi (CGT), l’un des « animateurs » de Clic-P. La seule façon d’inverser la tendance, c’était de rassembler nos forces et de nous battre ensemble. Les salariés demandaient que cesse le chauvinisme d’étiquette, dans un secteur où le syndicalisme est faible. »

« IL FALLAIT STOPPER LE PHÉNOMÈNE »

Six syndicats locaux ont décidé de s’allier : la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, la CGT, Force ouvrière (FO) et SUD. Des coalitions très larges émergent généralement dans des entreprises frappées par un plan social. Il est rarissime qu’elles se constituent sur un secteur et un territoire donnés. « Je ne l’ai jamais vu jusqu’à présent », confie une avocate, engagée dans la défense des salariés depuis plus de vingt ans.

Le Clic-P s’est d’abord attaqué à des supérettes parisiennes ouvertes tout le dimanche, dans l’illégalité la plus complète. Des magasins Franprix, Monop’, Carrefour City, G20 ont été condamnés à fermer leurs portes à 13 heures, le septième jour. « Il fallait stopper le phénomène, qui faisait tâche d’huile », explique M. Ghazi. Puis l’offensive s’est élargie au non-alimentaire et à de prestigieuses enseignes qui souhaitaient recevoir du public, tard le soir. Le BHV et les Galeries Lafayette du boulevard Haussman ont dû ainsi renoncer à leurs nocturnes, en 2012.

« L’intersyndicale s’est montrée efficace car elle a regroupé des personnes qui sont parties de leurs points forts », commente Me Vincent Lecourt, l’un des conseils du Clic-P : certaines appartenaient à des syndicats bien implantés dans les entreprises, d’autres étaient douées pour la communication ou la rédaction de textes, quelques-unes connaissaient des avocats spécialisés, etc. « C’est cette combinaison de moyens qui a permis d’affronter sur le terrain judiciaire, à armes quasiment égales, de grands groupes », ajoute Me Lecourt.

Au sein du comité, il y a de fortes têtes dont certaines sont en conflit ouvert avec leurs instances nationales. Entre l’union syndicale CGT du commerce de Paris et sa fédération, par exemple, les relations sont exécrables : en 2012, la seconde a coupé ses financements à la première. « Nous sommes d’accord sur les objectifs mais nos points de vue divergent sur la manière d’agir », dit, un brin embarrassée, Michèle Chay, secrétaire générale de la fédération CGT du commerce.

UNE DÉFECTION CAUSÉE PAR LA PRESSION

Le syndicat CFTC, qui faisait partie du Clic-P, a été exclu, fin juin, par sa confédération : « Il refusait de respecter nos règles internes de fonctionnement », justifie Patrick Ertz, président de la fédération CFTC du commerce. Depuis, le banni a rejoint l’UNSA.

Jusqu’à présent, le collectif avait su rester soudé. Mais une première lézarde est apparue, jeudi 3 octobre, lorsque FO a annoncé qu’elle se retirait de l’intersyndicale et qu’elle suspendait les actions judiciaires qui allaient être engagées : « Nous ne sommes plus sur la même longueur d’ondes avec le Clic-P en termes de stratégie mais cela ne veut pas dire que nous sommes en opposition avec lui », argumente Christophe Le Comte, secrétaire fédéral adjoint de FO-employés et cadres.

Une défection causée par la pression, devenue très forte ? Il est vrai que le Clic-P a été la cible de vives critiques, en particulier d’une partie du personnel du magasin Sephora sur les Champs-Elysées : ces salariés reprochent à l’intersyndicale d’être à l’origine d’une décision judiciaire qui les empêche aujourd’hui de travailler après 21 heures – et de percevoir du même coup des rémunérations majorées. Leur avocate, Me Joëlle Aknin, considère qu’« il y a un vrai clivage entre la vision passéiste du travail, défendue par le Clic-P, et la conception plus ouverte « .

Le problème n’est pas là, objecte Laurent Degousée (SUD), mais dans le faible niveau des rémunérations et l’ampleur de l’emploi à temps partiel au sein du commerce de détail, qui poussent les salariés à accepter des horaires atypiques en contrepartie d’un coup de pouce sur le bulletin de paye.

Les employés de Sephora, qui sont volontaires pour travailler la nuit, « ne sont pas sur une île déserte », complète M. Ghazi : l’extension du travail nocture conduit à la « dérégulation des temps sociaux » (crêches, transports en commun…). Dans cette affaire, conclut Eric Scherrer (UNSA), c’est aussi « l’ordre public social » qui est en jeu : le droit du travail est fondé sur des mécanismes de protection applicables à tous les actifs ; ils n’ont pas à être remis en cause au motif que, ici ou là, des salariés sont prêts à y déroger.

  • Commerce : unité syndicale originale !

 Des syndicalistes ont tenu le 10 février dernier une conférence de presse à la Bourse du travail de Paris. Y participaient CFDT, CGC, CFTC, CGT, FO, UNSA, SUD, des syndicats du petit commerce (maroquinerie, jouets, objets d’art…), et Éric Heyer, économiste à l’Office français de conjoncture économique (OFCE). Ils ont critiqué le rapport Bailly (ex-PDG RATP) demandé par le gouvernement, qui écarte à long terme une ouverture totalement « libérée », mais commence par l’autoriser pendant 18 mois par décret.  Ce décret, contre lequel les syndicats ont porté plainte, a été annulé par le conseil d’Etat. Le gouvernement l’a réécrit. L’action en justice a repris. A suivre…

Interview de Karl Ghazi, de l’Union syndicale du commerce parisien CGT (parue sur le site du mouvement Ensemble-front de gauche)

Commençons par l’annulation en Conseil d’Etat du décret ubuesque de Bailly, qui prétendait refuser dans son rapport  le principe d’une extension des ouvertures pour les magasins d’ameublement mais, au nom de l’équité, autorise les magasins de bricolage à ouvrir 18 mois avant une nouvelle loi !  Victoire ou partie remise ?

Karl Ghazi- Plutôt partie remise : dès que la décision du Conseil d’Etat a été connue, le gouvernement s’est empressé d’annoncer qu’il allait sortir un nouveau décret pour autoriser les magasins de bricolage à ouvrir de façon permanente. Depuis, il a soumis ce nouveau projet à la « consultation » des organisations syndicales. Malgré les critiques de fond portées par le Conseil d’Etat (violation du Code du Travail, du préambule de la Constitution et des traités internationaux), le ministère du travail feint de croire que la décision de la juridiction administrative est motivée par la forme. Il suffirait donc, selon Sapin, de prendre un décret à durée indéterminée pour respecter la Loi. Nous serons donc contraints de saisir à nouveau le Conseil d’Etat. Car, il faut le rappeler : il ne s’agit pas du tout, au contraire de ce qu’annonce le gouvernement, de régler un problème provisoire mais d’installer, dans la durée, l’ouverture des magasins le dimanche dans les enseignes de bricolage.

Vous avez bâti une intersyndicale un peu particulière, avec tous les syndicats de salariés, mais aussi une partie des syndicats de patrons commerçants. Est-ce que cela révèle chez eux un souci social ou une simple distorsion de concurrence ? Que représentent-t-ils dans le secteur ?

KG– Les « petits patrons » emploient des dizaines de milliers de salariés (30.000 sur la seule branche de l’habillement de détail, soit autant que les Grands magasins). Leur premier combat, c’est évidemment leur survie qui est fortement mise en cause par l’ouverture des grandes chaînes de distribution tous azimuts. Aucun ne peut suivre sur des ouvertures 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, aucun ne veut céder ses parts de marché à la concurrence. Parallèlement, ils défendent aussi un modèle de société qui fait la place à un jour de repos commun, en dehors des considérations de concurrence déloyale. Sans idéaliser ce patronat, nous ne pouvons que constater que dans ces branches, les salaires sont moins bas, la précarité et la flexibilité moins forts. S’il leur est moins simple d’importer dans leurs petites structures les méthodes de l’industrie, ils ont aussi un véritable attachement à la reconnaissance des métiers, lié à leur positionnement « qualité ».

Quelles sont vos bases revendicatives fortes  et communes ?

KG- Nous estimons ensemble que la question du travail dominical pose à l’ensemble de la société la question du jour de repos commun. Nous réaffirmons notre attachement à l’existence de ce jour et nous voulons limiter les exceptions aux impératifs sociaux ou économiques. Dans l’immédiat, nous demandons que le rapport Bailly tire les conséquences de ses propres constatations (il fait le contraire !) et le retrait de tout projet de généralisations des ouvertures dans le bricolage. Nous combattons aussi fortement le projet d’accorder 12 dimanches ouverts par an et par établissement qui constitue une généralisation larvée des ouvertures du dimanche. Pour une enseigne comme Monoprix, ce serait la possibilité de maintenir en permanence des magasins ouverts  le dimanche dans les grandes villes.

Même l’Office français de conjoncture économique (OFCE) en la personne de Eric Heyer, présent à votre conférence de presse et analyste connu, met en cause la propagande des grands distributeurs du dimanche. Mais que veulent en réalité les distributeurs qui font du lobbying sur l’ouverture du dimanche ? Est-ce qu’ils se trompent sur l’intérêt économique en terme de chiffre d’affaire (ce qui serait bizarre) ou ne veulent-ils en fait que déréguler à outrance la profession, faire pression à la baisse sur les salaires, flexibiliser les horaires, etc.  ?

KG- L’élément essentiel, celui dont personne ne parle, c’est la concurrence. Les enseignes de distribution connaissent des croissances faibles de leurs chiffres d’affaires et doivent aller chercher cette croissance chez la concurrence. Le petit commerce est une proie fragile et, en période de crise, la concurrence s’exacerbe. Les plus forts sont prêts à consentir des « sacrifices » (majoration des salaires, contreparties) pour tuer les plus faibles qui ne pourront pas suivre. Si le bénéficie des ouvertures déréglementées des magasins n’est absolument pas démontré en matière de croissance ou d’emplois pris sur le plan macroéconomique, cela ne veut pas dire, bien sûr, que celui qui déréglemente le plus vite et le plus n’en tire pas un profit pour sa propre entreprise.

Cela, bien sûr, n’est pas exclusif de la volonté ancienne et maintes fois confirmée de faire du commerce le laboratoire de la déréglementation et de la flexibilité de l’ensemble du salariat. Et les « contreparties », aujourd’hui consenties, sont seulement destinées à établir le fait accompli de l’ouverture du dimanche. On voit mal comment les thuriféraires du « coût du travail trop élevé » continueront d’accepter, sur le long terme, que le travail du dimanche coûte plus cher, eux qui trouvent, déjà, qu’il coûte trop cher toute la semaine !

Comment le rapport des forces évolue-t-il maintenant après la création de cette intersyndicale originale ? Que disent Bailly et le gouvernement ? Avez-vous prévu d’autres actions communes après cette conférence de presse ?

KG- Le gouvernement traite les petits patrons… par le mépris. Le Directeur général du Travail, présent lors de l’audience devant le Conseil d’Etat a déclaré que ces « petits » patrons ne représentaient (SIC) « que quelques milliers de salariés ». Il semble que rien ne doive l’arrêter dans sa volonté de complaire aux lobbies des grandes enseignes.

Néanmoins, l’intervention des petites entreprises, à nos côtés, renforce notre propos sur l’absence de bénéfices, voire les méfaits économiques et sociaux de la déréglementation des horaires dans le commerce. Nous nous sommes promis de mener la bagarre ensemble jusqu’au bout, sans nier nos différences d’approche (nous sommes moins portés qu’eux sur certains aménagements possibles à la règle du repos dominical).

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