La Conférence sociale Travail-Retraites, ouverte au CESE par le ministre du Travail Jean-Pierre Farandou le vendredi 5 décembre 2025, est prévue pour durer jusqu’à l’été 2026. A priori sans enjeu de propositions négociées (ou alors une négociation en parallèle à la conférence, ce qui est la demande de Force Ouvrière), mais un « relevé des débats ». Voici des interventions syndicales prononcées.
- Intervention CGT : BINET-CESE-2025_12_05 Intervention de Sophie Binet à la Conférence Travail Emploi Retraites
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président du CESE, Cher·es collègues,
Intervention de Sophie Binet Conférence Travail, Emploi, Retraite CESE / 05 décembre 2025
Après ces interventions théoriques passionnantes, je m’excuse par avance de revenir à la basse réalité.
Les millions de travailleuses et de travailleurs qui se sont mobilisés pendant 6 mois contre la réforme des retraites attendent toujours son abrogation.
Il ne s’agit ni d’un totem, ni d’une lubie.
Ses effets sont très concrets et se font d’ores et déjà sentir. On nous impose de travailler plus tard et dans le même temps, ce sont des dizaines de milliers de seniors licenciés à tour de bras qui se retrouvent sans emploi ni retraite. Ce sont des millions de travailleurs et de travailleuses qui occupent des emplois intenables passés 55 ans, voire 50 ans. Ce sont des millions de femmes qui doivent attendre 67 ans pour partir avec une retraite incomplète. Car oui. Contrairement aux caricatures, l’âge légal de départ à la retraite des salariés français est proche de celui des pays de l’OCDE. Là où nous avons toujours le bonnet d’âne c’est en matière d’emploi des seniors et de conditions de travail. Et le problème, c’est qu’au lieu de s’attaquer à ces fléaux, on reporte, toujours plus loin, l’âge de départ en retraite. Résultat : le chômage des seniors, les inaptitudes et les arrêts maladies explosent.
Si une majorité de françaises et de français sont toujours favorables à la retraite à 60 ans, c’est bien parce qu’aujourd’hui, de fait, près de la moitié des salariés ne sont déjà plus en emploi à 60 ans. Et je ne parle pas de toutes celles et ceux qui meurent avant : 3 morts au travail chaque jour un chiffre en augmentation depuis la suppression des CHSCT. Monsieur Senart a conclu son propos ce matin par un appel à la responsabilité. Messieurs les patrons présents ou absents, j’espère que vous avez bien entendu l’appel.
Le décalage de l’application de la réforme confirme qu’abroger la réforme des retraites est possible. Alors qu’on nous promettait faillite et panique financière, les places boursières ont réagi à la hausse.
Reste à définir le financement nécessaire et c’est pour nous un des objectifs de cette conférence. Les pistes de financement ne manquent pas, la CGT a déjà fait de très nombreuses propositions, nous aurons donc l’embarras du choix. Car oui, messieurs les patrons, si comme vous l’avez dit ce matin, vous souhaitez un dialogue apaisé, il faut commencer par ranger la tronçonneuse et par reconnaitre que c’est NOTRE travail qui crée les richesses, et que le problème c’est qu’une part de plus en plus importante de ces richesses est captée pour financer le capital. Reste aussi à enfin mettre en place un vrai système de départ anticipé pour pénibilité. Et le point positif, Monsieur Farandou, c’est que vous avez une excellente expérience en la matière. L’accord gagné par la CGT à la SNCF est une très bonne base : 3 ans de départ anticipé pour les métiers pénibles, allégement des fins de carrière avec la possibilité de faire les 18 derniers mois à mi-temps payé 80%, droit à reconversion à mi carrière pour tous les métiers pénibles… Maintenant que vous êtes ministre, nous comptons sur vous pour étendre ces avancées à tous les travailleurs et travailleuses !
Reste enfin à ouvrir un horizon pour les jeunes générations, qui, à force de discours anxiogènes et de réformes régressives doutent de leur possibilité de bénéficier d’une retraite. L’élévation du niveau de qualification est un point d’appui pour notre économie, il est temps de permettre la validation des années d’études dans le calcul de la retraite !
Cette conférence doit permettre d’éclairer le débat public et de dépasser les faux débats. J’en citerai trois :
- Les projections le montrent. Comme l’a rappelé à de multiples reprises le COR, et je cite Pierre- Louis Bras : malgré l’augmentation du nombre de retraité.e.s, les dépenses de retraite sont maitrisées et diminuent même plutôt à terme. Pourquoi ? Parce que du fait des multiples réformes depuis 1993, le niveau des pensions va Prétendre mettre à contribution les retraité·es serait donc aussi injuste que dangereux. Il faut augmenter, légèrement, le financement que nous consacrons à nos retraites. C’est un choix de société : c’est celui de la retraite par répartition ET à prestation définie. Soit nous le faisons collectivement, soit celles et ceux qui en auront les moyens épargneront pour tenter d’éviter une chute de niveau de vie pour leurs vieux jours.
Pas question de balayer ce débat en agitant le taux de prélèvement obligatoire. D’abord parce le chiffrage est discutable : dans les pays où les retraites fonctionnent par capitalisation, les cotisations ne comptent pas comme prélèvements obligatoires. Par ailleurs au XXe siècle, l’histoire du progrès social est allée de pair avec une hausse de la socialisation et donc des prélèvements obligatoires. A qui veut- on faire croire, alors que les risques sociaux et environnementaux, les besoins d’éducation, de transition augmentent, que le progrès viendrait au contraire d’une baisse de l’intervention publique ? Pour faire place à quoi ? à davantage, encore de marchandisation ? Messieurs les patrons, quand on se revendique de la modernité, on ne recycle pas des propositions du 19e siècle.
- Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, la capitalisation, l’épargne retraite, ne résout absolument pas le problème de financement de notre système de retraite. Elle coûte cher aux salariés et aux finances publiques – plus d’un Milliard de manque à gagner pour nos impôts du fait des niches fiscales –. C’est ce qu’expérimentent les fonctionnaires à qui on a imposé en 2003 un régime de retraite complémentaire par capitalisation, le Résultat, il faut au moins 26 ans à un fonctionnaire pour « récupérer » son épargne alors que leur espérance de vie à la retraite est de 24 ans ! Et c’est sans compter les risques liés aux crises financières et à l’instabilité des marchés ! Il faut dire les choses clairement, le seul argument en faveur de la capitalisation c’est d’ouvrir un marché pour les banquiers et les assureurs.
- Enfin, on entend de plus en plus que la question centrale serait de donner à chacun et chacune la liberté de partir à la retraite quand il le souhaite. Mais de quelle retraite parlons-nous ? Une retraite à minima, d’un montant faible, qui ne permet pas de maintenir un niveau de vie proche de celui de la vie active ? Comme syndicalistes, nous savons que la liberté n’est réelle que si elle se fonde sur un droit réel. En l’occurrence, ce que nous voulons mettre à l’ordre du jour, c’est le droit à la retraite à 60 ans comme véritable salaire continué, un droit au bonheur et au temps libéré, qui après une carrière dans l’emploi, nous garantit, pour longtemps, le plus longtemps possible, une Sécurité sociale qui permet de s’occuper de soi, des autres, d’avoir des loisirs, de participer à la vie sociale, collective, voire oui aussi de faire du syndicalisme.
Alors reste à acter la méthode : nous ne sommes pas dans un cadre de négociation, il ne s’agit pas de sortir avec un accord, global ou partiel, mais avec un relevé de discussion reprenant les points d’accords comme de désaccords et l’ensemble des options qui sont sur la table. Et le CESE est le lieu parfait car c’est cette méthode qui est utilisée au quotidien.
Cette conférence sera utile si elle débouche sur des changements concrets. Si les candidats et candidates aux élections présidentielles veulent y piocher, ce sera avec plaisir. Mais cela ne peut pas être notre unique objectif. La CGT propose donc qu’à l’issue de la conférence, organisations syndicales et organisations patronales puissent chacune proposer un sujet de referendum. Car si les retraites, l’emploi et le travail sont des sujets centraux pour les françaises et les français, on ne peut pas dire que c’est l’élection présidentielle qui permettra de trancher sur ces questions tant les enjeux sont larges. Souvenons-nous. Pourquoi sommes-nous aujourd’hui dans une profonde crise politique ? Parce qu’un Président de la République a fait mine de croire que son élection en 2022 avait validé son projet de réforme des retraites alors qu’il s’agissait d’un barrage républicain. Evitons de reproduire cette erreur en 2027 et permettons enfin, aux françaises et au français, de trancher clairement sur cette question qui les intéresse tant.
Monsieur le Ministre, nous fêtons cette année les 80 ans de la Sécurité sociale et de nos retraites par répartition. Monsieur le Ministre du Travail et de la Sécurité sociale, quand on occupe le fauteuil d’Ambroise Croizat on ne peut pas être « agnostique » sur le sujet. Nous avons besoin de vous entendre défendre nos retraites par répartition, ce trésor national qui nous a permis de traverser toutes les crises, en 2008, en 2020, ce monument que les travailleurs et travailleuses du monde entier nous envient. Construit grâce à la clairvoyance des résistant·es dans un pays ruiné, la Sécurité sociale n’aurait jamais existé si les arguments gestionnaires dominaient, comme trop souvent aujourd’hui. Donnons-lui enfin les moyens de fonctionner car c’est notre meilleur atout face aux défis inédits auxquels nous sommes confrontés.
Ouvrir la porte à une négociation interprofessionnelle
L’inFO militante
L’article que vous êtes en train de lire est tiré de la revue « L’inFO militante », le bimensuel de la confédération Générale du Travail Force Ouvrière.
La quasi-totalité des organisations syndicales et patronales, à l’exception notable du Medef, étaient présentes à l’ouverture de la Conférence Travail-Emploi-Retraites le 5 décembre au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Lors de cette séance, à laquelle participait le ministre du Travail Jean-Pierre Farandou, trois thèmes ont été abordés : les mutations du travail et leurs conséquences sur les conditions de travail ; la progression des parcours professionnels et salariaux, l’emploi des jeunes et des seniors et la mobilisation des compétences pour la réindustrialisation (sujet auquel participait la délégation FO, menée par Patricia Drevon, secrétaire confédérale) ; et les liens entre démographie et système de retraite. Pour le gouvernement, qui a décidé cette conférence au long cours, l’objectif est d’engager des travaux entre syndicats, organisations patronales et experts autour des enjeux du travail, de l’emploi et des retraites (du privé et du public). Des ateliers de travail seront programmés jusqu’à l’été 2026 à cet effet. Il n’est donc pas question de négociation, mais, explique le gouvernement, plutôt « de diagnostics » permettant d’éclairer le débat public, voire d’alimenter l’agenda social du gouvernement. Lors de cette journée, la secrétaire confédérale Patricia Drevon a souligné, au nom de FO : Pour nous, cette conférence doit être un levier de véritable négociation, pour le privé comme dans le public, et ce, dans le respect de l’agenda autonome des partenaires sociaux. Nous ne sommes pas là pour alimenter les débats des futures élections présidentielles.
La conférence travail, emploi et retraites est lancée
Avec les partenaires sociaux dont la délégation CFE-CGC, et le ministre du Travail, une première réunion plénière organisée le 5 décembre au CESE a cadré les prochains travaux de la conférence emploi, travail et retraites.
UNE JOURNÉE D’ÉCHANGES ET DE CADRAGE
En plein débat budgétaire à l’Assemblée nationale, cette journée d’échanges et de cadrage a notamment réuni les cinq organisations syndicales représentatives (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) ainsi que l’UNSA et la FSU, et deux des trois organisations patronales représentatives (CPME, U2P), le MEDEF ayant refusé de participer aux travaux. Pour objectiver les enjeux, trois tables rondes (mutations du monde du travail, prévention et conditions de travail ; parcours professionnels, emploi des jeunes et des seniors, compétences pour réindustrialiser le pays ; situation du système des retraites) ont rythmé la journée avec les analyses de chercheurs et d’experts, précédées d’interventions des représentants syndicaux et patronaux.
Au Palais d’Iéna, la délégation CFE-CGC était composée de neuf élus (photo ci-dessus) avec, de gauche à droite, Hugues Thibault (délégué fédéral à la fédération CFE-CGC des services publics), Anne-Michèle Chartier (déléguée nationale), Jean-François Foucard (secrétaire national aux parcours professionnels), Maxime Legrand (secrétaire national en charge du secteur organisation du travail et santé au travail), François Hommeril (président confédéral), Farida Karad (trésorière nationale), Marie-Christine Caraty (nouvelle présidente de la fédération CFE-CGC des services publics), Christelle Thieffinne (secrétaire nationale à la protection sociale) et Bertrand Mahé (délégué national).
LE TÉMOIGNAGE DE FRANÇOIS HOMMERIL
Intervenant en amont de la deuxième table ronde sur les enjeux d’emplois, de compétences et de préservation de l’industrie, François Hommeril a évoqué deux cas concrets illustrant le poids de l’action syndicale. D’abord la fondation AMIPI (6 usines de production de faisceaux électriques pour l’industrie automobile) agissant depuis des années en faveur de l’insertion des personnes en situation de handicap mais aujourd’hui menacée de liquidation avec près de 600 emplois menacés. « Le dossier est dorénavant en bonne place sur le bureau du Premier ministre et il s’agit de faire preuve de bon sens humain et de bon sens économique. »
Le président de la CFE-CGC a ensuite narré – « un de mes plus beaux souvenirs de syndicaliste » – le sauvetage, en 2021, de l’usine Jacob Delafon à Damparis (Jura), devenue La Jurassienne de céramique française. Un site industriel d’excellence préservé grâce à une forte mobilisation des acteurs syndicaux, économiques et des pouvoirs publics. Après avoir subi la crise de l’énergie en 2022 ayant fait planer un plan social, l’entreprise, propriété du groupe familial Kramer, a retrouvé un bon niveau d’activité, incarnant une forme exemplaire de made in France, de préservation des emplois et des compétences, et démontrant que la réindustrialisation est possible. « La morale de cette histoire, c’est que l’économie n’est pas une science exacte. L’économie, la performance et la croissance sont une affaire de volonté sincère, d’engagement et de rencontres entre tous les acteurs pour soutenir des projets, des hommes et des femmes qui créent de la valeur. »
UN ESPACE DE DISCUSSION POUR ÉLABORER DES SOLUTIONS
Côté gouvernemental, Jean-Pierre Farandou, ministre du Travail et des Solidarités, et David Amiel, ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’État, sont intervenus pour remercier les parties prenantes de la conférence dont les discussions, « sans obligation de résultats », doivent « jeter les bases d’un débat apaisé et permettre d’éclairer le débat public sur des enjeux essentiels ». Les ateliers à venir ne constituent donc pas des séances de négociation mais un espace de discussion destiné à élaborer des solutions. Les productions pourront alimenter l’agenda social du pays, ont insisté les divers intervenants.
Sur la méthode, suivront deux autres réunions plénières et six ateliers jusqu’à l’été 2026. Les travaux sont placés sous l’autorité de trois garants : Jean-Denis Combrexelle, ancien directeur général du Travail ; Anne-Marie Couderc, ancienne ministre de l’Emploi et dirigeante d’entreprise ; et Pierre Ferracci, président du groupe Alpha (cabinet de conseil dans les relations sociales).
6 ATELIERS (SECTEUR PRIVÉ ET SECTEUR PUBLIC)
Si le calendrier et les intitulés précis restent à déterminer, les trois ateliers thématiques (trois pour le secteur privé et trois pour le secteur public) seront coordonnés par douze animateurs « choisis pour leurs compétences, leurs qualités et leur légitimité », souligne Jean-Denis Combrexelle.
À partir du 30 janvier, les ateliers réuniront les partenaires sociaux avec l’appui des services de l’administration. « Dans ces espaces de discussion pour comprendre les impacts des transitions démographique, numérique et écologique, seront notamment abordés le rapport au travail, les conditions de travail, les compétences, la réindustrialisation, les filières d’avenir, la compétitivité et la productivité, les parcours professionnels, les mobilités et les évolutions du système de retraite », détaille Jean-Denis Combrexelle.
Mathieu Bahuet














