Voici une nouvelle contribution au débat du 52ème congrès de la CGT qui s’ouvre lundi 13 mai 2019. Gérard Billon (fédération construction-bois), qui préside l’Union locale CGT de Malakoff (92), nous autorise cette publication. Elle porte sur le défi des Gilets jaunes et les enjeux d’implantation de la CGT. Gérard Billon est par ailleurs signataire d’une contribution collective (« L’internationalisme en acte« : voir ici : http://wp.me/p6Uf5o-2xv) sur les engagements internationaux de la CGT.
Note : les documents publiés ici n’engagent évidemment que leurs auteurs.
Gérard Billon
Syndicat inter-entreprise SIEMMVE
CGT UL de Malakoff
UD des Hts de Seine
Fédération de la Construction
Contribution à la discussion du 52ème Congrès confédéral
« La préparation du congrès confédéral qui va s’ouvrir dans quelques jours est bizarre.
Alors qu’avec les gilets jaunes, on est depuis maintenant plus de 6 mois dans un mouvement de contestation sociale qui ne se dément pas, alors que le syndicalisme est directement interpellé par celui-ci sur son inefficacité, voire sur sa compromission, bien que bon nombre des revendications qu’il porte depuis longtemps soient au cœur du mouvement, le débat dans les syndicats, avec les syndiqués, n’a pratiquement pas lieu.
Or, tout devrait nous conduire à considérer ce congrès comme une opportunité et à en faire un grand moment de réflexion et de débats collectifs qui permette de définir des orientations claires pour faire rayonner un syndicalisme de conquêtes sociales et démocratiques pour l’ensemble du monde du travail.
Le congrès confédéral étant le congrès des syndicats affiliés à la CGT, il ne peut pourtant pas se passer des débats dans les syndicats, afin de nourrir les délégués-es des réflexions, critiques et propositions des syndiqués-es pour traiter sur le fond des questions qui nous sont posées et de la stratégie de la CGT qu’il faut mettre en œuvre pour celà.
Pour l’instant, il me semble que nous en restions à des postures ou des prises de position de structures, en considérant les délégués-es comme des représentants de ces structures et non pas des syndicats, ce qui risque de nous conduire à des divisions, des querelles d’appareils et en définitive à une paralysie de la confédération.
Au contraire, nous avons besoin de renforcement de son autorité politique et organisationnelle pour que la CGT redevienne une force sociale reconnue, qui donne confiance aux syndicats et aux syndiqués-es et soit reconnue utile, indispensable même, par les salariés-es , les privés-es d’emploi, les retraités-es , quels que soient leur catégorie et leur statut.
Cette autorité, cette légitimité, elle se construit sur les choix d’orientation fait par les syndicats et donc s’ils ne sont pas discutés et décidés dans ce cadre, où vont-ils l’être ?
Et quelle sera l’efficacité de leur mise en œuvre s’ils apparaissent déterminés par le sommet, par Montreuil et par le secrétaire général, en dehors d’eux ?
Surtout que dans cette période, il serait vain de faire comme s’il n’y avait pas des désaccords entre nous sur les raisons de nos difficultés et sur la stratégie à adopter pour repasser en phase conquête.
Ce n’est pas anormal, ni grave, mais ça peut le devenir si nous ne poussons pas le débat, à partir de notre vécu dans les syndicats sur l’orientation proposée par la direction confédérale sortante.
Dans les syndicats, parmi les militants-es, nos élus-es et mandatés-es, les syndiqués-es , on ne peut pas dire qu’il y ait vraiment la patate en ce moment.
Bien sûr il y a des luttes, il y a un mécontentement profond de la politique actuelle, bien sûr le travail syndical, fait dans des conditions de plus en plus difficiles, permet de faire reculer pouvoir et patronat sur quelques décisions particulièrement néfastes mais l’idée que l’on a face à nous un rouleau compresseur libéral, aggravée par l’absence de perspectives politiques de transformation sociale, nous cantonne dans une attitude de constats de dénonciation et d’appels généraux à l’action, certes justifiés, mais qui apparaissent pour les salariés-és incantatoires et inutiles pour faire aboutir leurs propres revendications .
Cette situation résulte d’une offensive délibérée des forces libérales qui, singulièrement depuis les 30 dernières années, pour soumettre la société aux intérêts financiers, ont multiplié les mesures et batailles en tous genres pour réduire l’influence du syndicalisme de conquête sociale et celle de toutes les autres organisations et associations qui permettent aux populations d’être représentées et d’avoir leur place sur la champ social et politique. Citons par exemple pour ce qui nous concerne plus directement :
- Aucune lutte interprofessionnelle gagnante depuis 1995 et au contraire, remise en cause d’acquis sociaux « historiques »,
- Confinement de la mesure de représentativité dans les entreprises ou il y a un syndicat,
- Mesures d’institutionnalisation des syndicats, dans les entreprises, comme dans la société (Lois Larcher) les faisant apparaitre comme partie prenante d’une
« démocratie sociale » débouchant sur une politique régressive,
- Lois El.Khomry et Macron réduisant encore les droits des institutions représentatives des personnels, des syndicats, et des salariés-es,
- Redoublement de la férocité de la répression
Tout cela a conduit à un recul de la CGT, de nos forces organisées et de nos positions électorales dans les entreprises et dans les catégories où nous étions en capacité de présenter des candidats, à un affaiblissement plus général de la participation aux élections professionnelles et dans une grande partie du salariat, de la population, au sentiment que le syndicalisme n’était plus une force qui comptait pour résister efficacement à la dégradation des conditions de vie, qu’elle n’était utile que pour quelques catégories « privilégiées », et sur laquelle on ne pouvait plus compter pour relever le défi du progrès social dans les réalités du monde actuel.
Évidemment, il s’agit là du sens général du rapport des forces ces dernières années et cela ne gomme aucunement les luttes, les authentiques réussites syndicales que nous avons pu impulser ici ou là mais qui n’ont aucunement inversé ce recul général, cette crise de la représentativité qui ne touche pas d’ailleurs que le mouvement syndical.
Avoir une claire conscience de cela n’est ni pour le plaisir de baigner dans la morosité, ni à fortiori pour chercher des boucs-émissaires, mais il me semble que c’est nécessaire pour faire un bilan lucide, pour regarder la portée de ce que avons fait, de ce que avons dit que nous allions faire et que nous n’avons pas fait, de façon à ce que puissions avoir le vrai débat indispensable pour nous mettre d’accord sur ce qu’il faut qu’on change dans notre démarche et notre organisation, sur les conceptions et stratégie syndicale que nous voulons, ensemble, mettre en œuvre pour faire vivre une dynamique de mobilisation pour le progrès social dans les réalité du salariat d’aujourd’hui.
Dans l’affrontement de classe actuel, où l’identification de l’adversaire est de moins en moins identifiable physiquement, nous avons besoin de dépasser une bataille circonscrite aux entreprises dans lesquelles nous sommes organisés, qui concentre une minorité du salariat très caractérisée, pour déployer une démarche qui nous identifie comme un acteur social au service du bien-être et de l’émancipation de tous.
Certes, l’ancrage revendicatif est indispensable mais il ne peut suffire s’il n’est pas articulé avec une démarche de proposition, d’action et de négociation qui permette à la fois de gagner des avancées sociales immédiates et de nourrir une dynamique de transformation de la société dans le sens du progrès social et démocratique.
Ainsi, la convergence des luttes, dont on parle beaucoup en ce moment, doit je pense se travailler dans la réalité de l’entreprise, qui est aujourd‘hui multiforme et donc prendre en compte les aspirations de l’ensemble de celles et ceux qui entrent dans le processus de production de valeur (sous-traitants, intérimaires, auto-entrepreneurs, etc..), et pas seulement celles des salariés-es de l’entreprise qui accapare cette valeur, le donneur d’ordre.
Sinon, on apparait comme recherchant le ralliement et pas la convergence.
Or la CGT doit redevenir dans la conscience des salariés-es le syndicat qui agit sans ambiguïté pour le pouvoir d’achat et des conditions de travail de toutes et tous, pour ne laisser personne sans droits ni garanties collectives.
Nous avons, au travers de notre revendication d’un nouveau statut du travail et de sécurité sociale professionnelle, un outil extrêmement fort pour identifier notre démarche.
C’est une réponse de classe à la soumission du travail aux impératifs financiers qui nous permet de retrouver ainsi la vocation inclusive du syndicalisme, bien mal perçue aujourd’hui. Bien sûr, il ne s’agit pas de l’utiliser comme un bréviaire, mais de le conjuguer avec nos batailles sur les salaires, sur l’emploi, sur les conditions de travail et de vie, pour répondre aux exigences de démocratie et de droits égaux pour tous.
D’autres questions méritent également d’être largement discutées au moment du congrès parce qu’elles se posent tous les jours dans les syndicats et nécessitent que l’on y apporte des réponses plus cohérentes, plus communes dans la CGT afin que les militants-es s’y retrouvent et que notre démarche soit plus lisible pour les salariés.
Il en est ainsi de la stratégie des luttes que nous préconisons pour impulser une dynamique de mobilisation sociale gagnante, avec ce que cela implique en terme de recherche d’une unité d’action syndicale qui tire les revendications vers le haut et ne fasse pas passer nos positions sous la table, et des rapports aux forces politiques qui permettent de faire grandir le rapport des forces sans nous mettre à la remorque de leurs objectifs propres.
Egalement, il faut que nous dépassions les accords de principe sur les questions de qualité de la vie syndicale. En effet, celles-ci n’existent pas en elles-mêmes mais découlent directement des choix de stratégie que nous faisons pour notre organisation.
On n’a pas la même politique d’organisation si on pense que nos difficultés sont dues à un manque d’implantation dans la réalité du salariat d’aujourd’hui ou au contraire au fait que Philippe Martinez n’appelle pas à la grève générale…
Ainsi syndicalisation, déploiement, structuration, formation, vie démocratique dans les syndicats, politique de cadres, place et rôle des UL, bataille des idées… sont autant de sujets sur lesquels il y a nécessité d’échanger, de discuter, de confronter pour définir des conceptions communes et avancer dans leur mise en œuvre.
Les documents du congrès, tant dans le bilan d’activité que dans l’orientation, traitent de ces questions et propose des résolutions qui vont dans le sens d’une CGT qui se transforme pour mieux s’adapter à la réalité du monde du travail d’aujourd’hui, et ainsi être perçue comme un acteur majeur pour la défense quotidienne des droits et revendications dans les entreprises et comme une force qui compte pour représenter le monde du travail dans tout le champ social et politique.
Je n’ai pas de doute sur le fait que les travaux du congrès vont confirmer et enrichir cette option mais, le problème que l’on a, c’est après de mettre en œuvre ce que nous avons décidé… et les manques dans les débats préparatoires dans les syndicats ne vont pas cette fois ci, arranger les choses.
C’est pourquoi, il me semble que nous devrions décider à l’issue du congrès d’un plan de travail confédéral sous la responsabilité de la CE Confédérale qui sera élue et en renforçant le dispositif de coopération au CCN, qui permette de mettre l’ensemble de la CGT au diapason de la stratégie décidée au congrès et de nous identifier parmi les salariés-es, les retraités.es, les privés.es d’emploi quels que soient leur secteur professionnel, leur catégorie, leur statut, comme le syndicat utile et efficace pour gagner des conquêtes sociales et imposer une société de progrès social, démocratique et durable à la place de la loi du capital.
Nous pourrions ainsi redonner à la confédération, le rôle central qu’elle doit avoir pour que la CGT toute entière retrouve sa place d’organisation dans laquelle le monde du travail se reconnait pour parvenir à son émancipation.«