Covid et gratuité dans les transports (Silicon Valley)

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Cet article relate une mobilisation des chauffeurs de bus et de leur syndicat (ATU) de la Silicon Valley (Californie). Ils ont réussi à imposer la gratuité des transports, afin de lutter contre la propagation du virus COVID dans les bus. Ils ont exercé une sorte de « droit de retrait » pour la sécurité. L’article est paru dans Labour Notes et il est traduit par Patrick Le Tréhondat que nous remercions.

 Amalgamated Transit Union (ATU), fondé en 1892, est le syndicat des travailleurs-euses du transports en commun aux Etats-Unis et au Canada. 200 000 membres.

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Labor_Notes

Les chauffeurs de bus de la Silicon Valley instaurent la gratuité dans les transports

Richard Marcantonio

 

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En raison de l’augmentation des cas de Covid, les chauffeurs de bus de Santa Clara, en Californie, exigeaient  depuis longtemps de reprendre l’embarquement des passagers par la porte arrière, ce qui permettait réduire le risque d’infection. Cependant, la direction de la Valley Transportation Authority (VTA) refusait, allant même jusqu’à reprocher aux travailleurs d’être malades. Mais La pression s’est accrue de la part de la  la section syndicale locale 265 de l’Amalgamated Transit Union, ainsi que des groupes d’usagers et des groupes communautaires.

Mais ce sont les chauffeurs de bus de base qui ont forcé la main à la direction lorsqu’ils ont commencé à planifier l’arrêt de l’embarquement par la porte d’entrée avant , que la direction soit d’accord ou non. En fait la direction préférait laisser faire n’importe quoi plutôt que de voir les travailleurs diriger l’entreprise. Le 3 février 2021, la direction a annoncé qu’elle reprendrait l’embarquement par la porte arrière.

La montée en puissance du Covid à la VTA

 

C’est dans le comté de Santa Clara, au cœur de la Silicon Valley, que le Covid a touché ce que l’on pense être sa première victime américaine le 6 mars 2020. (En fait, plusieurs décès sont survenus en février dans le comté et ont par la suite été déterminés comme étant liés à Covid). Le 19 mars, la VTA avait cessé de faire collecter le prix de transport pour réduire les contacts entre les conducteurs et les passagers. L’embarquement se faisait par la porte arrière ce qui était une évidence en cas de pandémie. Les chauffeurs de bus racontaient des histoires sur les passagers qui tâtonnaient pour composter leurs billets  ou qui enlevaient leur masque pour discuter. Par contre, l’embarquement par la porte arrière créait une distance de sécurité entre les passagers et le conducteur, les protégeant tous les deux.

L’embarquement par la porte arrière présentait également un avantage secondaire. Comme le compostage des billets dans un bus VTA se trouve à la porte d’entrée avant, cela signifiait que le public voyageait gratuitement. À une époque où beaucoup réclamaient la gratuité des transports publics, et où certaines agences de transport aux États-Unis et à l’étranger avaient déjà supprimé le paiement des transports, cet intérêt supplémentaire partagé suscitait un soutien accru de la population aux revendications du syndicat.

Le 1er  août 2020, cependant, affirmant «Nous avons fait notre part pour protéger nos clients», la VTA avait repris l’encaissement des billets à la porte d’entrée avant. Peu de choses avaient changé pour justifier ce changement, si ce n’est l’installation de ce qu’un chauffeur de bus a décrit comme une «barrière en plastique sale» qui n’empêchait pas les microbes en suspension dans l’air de se frayer un chemin entre les passagers et le chauffeur ou vice versa.

La décision de VTA avait eu de graves conséquences pour les travailleurs des transports en commun. 15 d’entre eux étaient tombés malades du  Covid avant même le mois d’août, alors que les passagers embarquaient par l’arrière ; 72 cas seront confirmés entre août à Noël. Un chauffeur de bus, Audrey Lopez, avait perdu la vie à cause de Covid. La nouvelle année  2021 commençait encore plus mal, avec plus de 60 tests positifs rien qu’en janvier.

 

Blâmé et puni

 

Le jour de la fête de Martin Luther King [troisième lundi du mois de janvier], le président de la section syndicale 265, John Courtney, a remis une lettre à la direction. Notant que la convention collective garantit le droit à des conditions de travail sûres, Courtney invoquait le droit individuel de chaque membre de refuser d’effectuer un travail devenu dangereux par la vague de Covid.  Il demandait également une série de mesures de protection, dont l’arrêt du compostage des tickets et la reprise de l’embarquement à l’arrière uniquement.  Courtney demandait la fin des pratiques punitives de la VTA contre les travailleurs qui présentaient des symptômes de Covid : si les travailleurs appelaient pour dire qu’ils étaient malades, ils étaient obligés, en attendant les résultats des tests, de poser des jours de vacances, et beaucoup de ceux qui étaient testés positifs se voyaient refuser les indemnisations dues.

Courtney a rapidement alerté ses alliés de la coalition Voices for Public Transportation et de la Blue Collar Task Force et les dirigeants des syndicats de transport de la région de la Bay sur les préoccupations de son syndicat. Le lendemain, il a rencontré la direction. Celle-ci a reproché aux travailleurs d’avoir importé de manière imprudente le virus sur le lieu de travail. Ken Blackstone, de l’AVT, a  même déclaré à une station locale de  Fox News : «La plupart des personnes qui contractent le Covid-19 le font en dehors de leur travail».

Bien que la VTA ait reconnu qu’elle violait la nouvelle loi de l’État qui l’obligeait à fournir au syndicat des informations détaillées sur les cas de Covid sur le lieu de travail, elle refusait d’accéder aux demandes du syndicat concernant des mesures de sécurité supplémentaires. Elle refusait non seulement l’embarquement par la porte arrière, mais ne proposait  pas de propositions alternatives.

Courtney a alors interrogé  la direction : «Pour quelle raison nous embarquons par  la porte avant ? » Il a attendu une minute entière face à des regards vides avant d’apporter sa propre réponse : «C’est à cause de l’argent.»

 

Il crie  «folie», et est sorti

 

Monica Mallon, une organisatrice de la coalition Voices, avait déjà examiné les finances de VTA et avait constaté qu’il lui restait tellement d’argent non dépensé provenant des fonds d’exploitation des transports en commun d’urgence qu’elle avait reçus grâce à la loi CARES que les montants relativement faibles qu’elle collectait auprès des passagers ne lui manqueraient pas.

Le lendemain, la réunion mensuelle régulière du comité de sécurité conjointe patronat-syndicat de la VTA a eu lieu. La direction n’a pas voulu reconnaitre l’augmentation des cas de Covid, et a plutôt voulu parler de vieilles affaires qui n’étaient pas du tout liées à la pandémie.

«Nous avons fini la réunion dans la confusion», a expliqué la déléguée à la sécurité Anne Marie Ruiz. «Puis Frank Poso, un mécanicien, a crié « Folie! » Et à son signal, nous sommes tous sortis de la réunion pour protester.»  Ruiz a résumé l’attitude de la direction: «Ils se soucient plus de leurs 2,25 dollars que de nos vies.» Le syndicat a alors intensifié sa campagne de pression avec des entretiens avec la presse où il critiquait les affirmations de la VTA.

 

«Entre nos propres mains»

 

Pendant ce temps, les conducteurs de bus exprimaient leur préférence : nous conduisons les bus et nous avons le pouvoir d’arrêter d’ouvrir la porte d’entrée à l’avant. Un groupe de travailleurs a donc organisé une réunion et invité les groupes communautaires de la coalition Voices à se joindre à eux. «Nous en sommes à un point où les conducteurs doivent prendre les choses en main», a déclaré un conducteur de bus de longue date. «Nous avons fait preuve de patience, nous avons essayé de travailler avec VTA et regardez ce que cela nous a apporté.» Une conductrice plus récente dans le métier a déclaré que bon nombre de ses collègues estimaient que la direction ne se souciait pas des chauffeurs. «Je peux trouver un certain nombre de personnes qui seront prêtes à passer à l’embarquement par la porte arrière sans l’approbation de VTA», a-t-elle dit, et a promis de discuter de l’idée avec les collègues de sa ligne. Un autre conducteur posé une question aux groupes communautaires: «Comment pouvez-vous tous nous soutenir?» À l’étape suivante, les groupes communautaires ont commencé à rédiger une lettre à la direction appuyant les revendications du syndicat. La lettre a été soumise le 1er février par le South Bay Labour Council avec la signature de 30 autres groupes. Le NAACP local  [organisation anti-raciste] a également adressé sa propre lettre.

 

La direction recule

 

Malcolm Flint, un organisateur bénévole local du Sunrise Movement, a convoqué les sympathisants du mouvement pour planifier une action au siège de VTA. Des affiches ont été conçues et des prises de parole prévues ainsi qu’une caravane, et des interventions dans la presse et sur les médias sociaux L’action devait coïncider avec l’anniversaire de Rosa Parks le 4 février 2021, célébré à l’échelle nationale comme la Journée de l’équité dans le transport en commun. Mais la veille, alors que la direction avait appris que les travailleurs et les coalitions communautaires se mobilisaient pour une action collective, le syndicat a soudainement commencé à progresser dans ses négociations. Le matin du 3 février 2021, Courtney s’est entretenue avec la directrice générale par intérim de la VTA, Evelynn Tran. «Elle semblait avoir entendu dire que les chauffeurs se préparaient à prendre des mesures de sécurité de leur propre chef», a déclaré Courtney. «Je l’ai persuadée qu’il valait mieux ne pas se tromper en matière de sécurité.» L’après-midi même, la VTA a annoncé qu’elle rétablirait l’embarquement des passagers par les portes arrière et suspendait le compostage des tickets de transport. Mais la VTA pouvait encore essayer de reprendre la collecte des tickets et l’embarquement par la porte avant. Alors que les discussions se poursuivaient sur les critères pour mettre fin à l’embarquement par l’avant, le groupe qui avait organisé la manifestation au siège de la direction a décidé de suspendre, mais pas d’annuler, son action prévue. Courtney a noté que le plus gros résultat de la lutte, au-delà de la concession de VTA de restaurer l’embarquement par l’arrière, était que les 1 500 membres de la section syndicale locale 265 «viennent de voir de leurs propres yeux à quel point il est important d’être unis au sein de notre syndicat, et d’avoir le soutien des autres syndicats et de la communauté pour gagner ce dont nous avons besoin. »

 

17 février 2021

 

Richard Marcantonio est avocat-conseil chez Public Advocates Inc., une organisation à but non lucratif de défense des droits civiques et de la justice économique. Il est cofondateur de la Voices for Public Transportation Coalition et membre du Blue Collar Task Force.

Publié sur le site de Labor Notes.

Traduction de Patrick Le Tréhondat

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