Nous avions publié avant le congrès de la CES (fin septembre à Paris) des éléments de débats portés par les organisations, par exemple sur le salaire minimum, ou sur la réduction du temps de travail. Martine Hassoun, journaliste à Options, mensuel de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT) CGT, nous autorise à publier son article rendant compte des débats du congrès, notamment sur le salaire minimum, la RTT et les réfugiés.
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Syndicalisme européen
A la recherche d’un second souffle
Au cœur des débats du 13ème congrès de la CES qui s’est tenu du 29 septembre au 2 octobre dernier à Paris : la stratégie à adopter pour lutter contre les politiques d’austérité en œuvre sur le continent. Actions de lobbying ou campagnes revendicatives transnationales : le choix est resté ouvert. Echo.
Le 13ème congrès de la Confédération européenne des syndicats n’a pas dérogé à la règle. Une fois encore, c’est par l’allocution d’un haut dirigeant de la Commission européenne que les délégués ont débuté leurs travaux : cette fois, un vibrant plaidoyer de Jean-Claude Junker, son président, pour le développement des droits sociaux, la lutte contre la précarité et le renforcement du dialogue social en Europe… Au Palais de la Mutualité où se tenait la rencontre, ce discours prononcé par un homme qui accompagne depuis plus de dix ans toutes les politiques qui contredisent sans cesse ces objectifs n’a pas surpris outre mesure. L’Europe se cherche. A avoir méprisé les conditions de vie et les droits des salariés dans l’Union, elle suscite chaque jour un peu plus le rejet. Avec cinq millions de jeunes à la recherche d’un emploi et, selon l’ONG Oxfam, 123 millions de ses habitants « exposés au risque de pauvreté » partout sur le continent, les partis xénophobes gagnent du terrain. Au point qu’au sein de la Commission, les plus lucides estiment urgent de donner des gages de leur bonne volonté à maintenir un semblant d’Europe sociale.
Le syndicalisme doit-il y répondre ? Doit-il venir à leur secours pour remettre en selle un projet maintes fois piétiné depuis des années ? La question déjà posée en 2011, lors du congrès d’Athènes, a été omniprésente lors du congrès de Paris. « Si depuis 2008, la CES est parfaitement lucide sur les désastres auxquels mène l’économie libérale, explique Jean-Marie Pernot, chercheur à l’IRES, spécialiste du mouvement syndical international, elle n’a pas clarifié sa position quant aux institutions européennes ». Quelle ligne de conduite veut-elle adopter à l’égard de la Commission ? Quel rôle doit-elle s’assigner ? « Longtemps considérée comme une simple interface entre les autorités bruxelloises et les confédérales nationales, l’organisation n’a désormais plus d’interlocuteurs », assure Frédéric Imbrecht, responsable confédéral CGT en charge des questions européennes. « Depuis plus de quinze ans, l’organisation syndicale européenne s’affronte à une Commission qui se fait l’expression d’un patronat qui, pour déréglementer et privatiser, n’a pas besoin du syndicalisme européen ».
Salaire minimum : l’amendement de la CGIL
Dés lors, le débat ouvert : faut-il répondre aux appels du pied de Jean-Claude Junker, tenter de récupérer une place d’interlocuteur privilégié auprès des institutions européennes, afficher sa volonté pleine et entière de dialoguer avec une Commission et un patronat qui s’y refusent en attendant que le temps changent ? Ou, au contraire, la CES doit-elle prendre acte de la réalité, changer de cap et se réinventer, construire de nouvelles façons d’agir en usant de l’étendue de son réseau -90 organisations adhérentes dans plus de 39 pays représentants plus de 60 millions de membres- pour imaginer de nouvelles solidarités avec cette frange grandissante du salariat qui vit aux marges des droits et ne se reconnaît plus dans le syndicalisme national, a fortiori le syndicalisme européen ?
Bien sûr, les oppositions classiques entre les syndicats nordiques et ceux du Sud se sont à nouveau exprimées. Entre ceux pour qui la CES ne doit pas sortir du rôle qu’elle s’est longtemps assigné, celui d’être d’abord une structure de lobbying , et ceux pour qui elle doit être un outil pour aider à mieux coordonner des campagnes transnationales pour les intérêts des salariés européens, ainsi que le défendra Gail Cartmail, dirigeante des TUC britannique, les divergences de fond se rappelleront au bon souvenir des délégués. Pourtant, le combat engagé par la CGIL qui, le 1er octobre, a déposé un amendement réclamant l’instauration d’un « mécanisme de fixation d’un salaire minimum européen » a montré que rien n’est figé. Il n’y a pas si longtemps l’organisation s’opposait à un tel principe. Avec le DGB allemand même, elle le combattait. Désormais, elle milite pour. Et, surprise, une majorité de voix se prononceront en ce sens. « Un événement historique », dira Anne Dufresne, sociologue belge, spécialiste du mouvement syndical européen et présente ce jour là au palais de Mutualité.
La responsabilité des confédérations nationales
Les défis que la CES a à relever s’accumulent. De la manière dont elle veut s’attaquer à la déstructuration des conventions collectives, à la montée du travail indépendant ou aux attaques contre le droit de grève, elle n’a pas encore fixé de stratégies revendicatives. « Le temps presse », rappelle Joël Decaillon, ancien secrétaire général adjoint de l’organisation, aujourd’hui, vice-président de l’association Lasaire. « Aujourd’hui, en Grèce, l’assentiment de quatre salariés suffit, à établir un accord d’entreprise. En Grande-Bretagne et en Espagne, le droit de grève est sérieusement attaqué. Au Portugal, les deux-tiers des travailleurs ne sont plus couverts par la sécurité sociale, l’assurance chômage ou l’assurance retraite… Au risque de perdre sa crédibilité, le syndicalisme doit relever les défis qui lui sont lancés ». En Norvège, les « contrats permanent sans garantie salariale » ont fait leur apparition, témoignera un syndicalisme du bâtiment. Quelle stratégie pour demain ? « Quelles forces les confédérations nationales mettront-elles au service de ce combat pour avancer », demande plutôt Jean-Marie Pernot. « La CES n’est qu’une confédération de confédérations », rappelle-t-il. « Elle n’a de force que celle que les organisations de chaque pays veulent bien lui apporter ».
Au terme de quatre jours de débats, le 13ème congrès de la CES n’a rien tranché quant à l’avenir qu’elle veut se donner. Tout juste a-t-elle convenu qu’elle avait besoin d’un second souffle. Ses délégués se sont accordés à l’unanimité sur l’élection d’un nouveau secrétaire général : l’italien Luca Visentini, ancien dirigeant de l’UIL italienne. Ils lui ont fixé comme mandat de faire de la bataille pour l’investissement en Europe la première priorité de la Confédération européenne des syndicats (CES). Ils ont aussi voté un Manifeste réclamant « de meilleurs salaires », « des politiques pour des emplois verts » et « la fin de la spéculation financière » et se sont prononcés pour « l’implication de la CES dans l’élaboration des stratégies européennes en matière d’emploi, de politique économique et de politique sociale ».
Région, entreprises, ONG : de nouvelles coopérations possibles
Au-delà ? Pour Frédéric Imbrecht qui, avec la délégation CGT, a défendu lors de ce congrès un amendement pour « une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire », amendement déposé avec la CFTC française, la FGTB et la CSC belges, la CGT a à présent une priorité : faire vivre un syndicalisme européen proche des préoccupations et des revendications des salariés. « Elle doit pour cela s’y investir et donner vie à ces coopérations et ces solidarités qu’elle voudrait voir se construire dans l’Union ». Concrètement, explique-t-il, il ne s’agit pas seulement de mettre sur pied « une politique de cadres » pour alimenter les structures de la CES, il s’agit aussi de soutenir les coopérations transnationales qui s’organisent dans les fédérations, les régions ou les entreprises. Dans le Vaucluse, Emmanuel Wietzel, membre du collectif « international » de l’UGICT CGT, travaille avec le DGB de la région de Francfort autour de la lutte contre l’extrême-droite. Des coopérations nouvelles comme il pourrait s’en développer à l’avenir ? Des coopérations syndicales nationales et européennes avec les ONG et la société civile pour s’ouvrir, espère Joël Decaillon, à des champs revendicatifs nouveaux comme la lutte contre le réchauffement climatique ou les migrants… Demain, le syndicalisme européen ?
Martine Hassoun
SOLIDARITE REFUGIES : Une motion d’urgence
Adresse à la Commission et appel à la mobilisation syndicale : écho d’un échange avant le vote d’une motion sur la crise des réfugiés.
Comme le symbole de la concurrence de tous entre tous, la crise des réfugiés s’est tout naturellement imposée dans les débats du congrès. Et sans doute est-ce Oumar Diakhaby, jeune ingénieur électronicien, réfugié politique guinéen resté dix ans clandestin en Belgique, qui en a le mieux résumé les enjeux. Alors que les délégués s’apprêtaient à se prononcer sur une motion d’urgence consacrée au sujet (1), le militant syndical, aujourd’hui responsable du comité des sans-papiers de la CSC, a rappelé le 30 au matin cette évidence : sans politique ambitieuse des Etats, les réfugiés d’aujourd’hui risquent bien, demain, d’être les sans-papiers de demain. « Aussi grande soit la responsabilité des Etats à les intégrer, nous devons nous aussi endosser les nôtres, a-t-il lancé. Soit nous fermons les yeux, et admettons que, pour survivre, ils acceptent tout : des conditions de travail et d’emploi en dehors du droit ; l’exploitation et la discrimination. Soit nous militons pour changer leur situation et évitons qu’ils soient utilisés comme outils de dégradation continue des garanties collectives ».
D’autres militants s’exprimeront en ce sens. Ainsi, Reiner Hoffmann, président du DGB allemand, pour appeler le mouvement syndical européen à n’accepter « aucune dérogation d’exception à la revendication « à travail égal, salaire égal », condition sine qua non, dira-t-il, pour éviter « la confrontation entre les réfugiés et les demandeurs d’emploi ou les travailleurs pauvres ». Une déléguée suédoise témoigne d’un accord signé entre la Fédération européenne des syndicats de l’Alimentation et le patronat de son pays pour la création de 500 emplois pour les migrants en cours d’arrivée. De cinq cents emplois de qualité, respectueux du droit et des garanties collectives. Dans la motion votée au terme de cette session, le congrès reprendra autrement les préoccupations exprimées : en appelant la Commission européenne à faire respecter le droit de tout être humain à la protection. En soulignant la nécessité de services publics de qualité pour assurer un accueil décent.
M.H.
(1) voir sur https://www.etuc.org/fr/documents/motion