Cet article de Patrick Le Tréhondat, des éditions Syllepse, décrit le mouvement syndical d’Ukraine, dont des représentant-es ont récemment participé à un meeting de soutien à Paris (lire ici : https://wp.me/p6Uf5o-5Bw). Il donne aussi des éléments sur la législation et les atteintes au droit du travail, sur les associations, notamment féministes, les organisations de jeunes, et aussi le mouvement politique progressiste (« Sotsialniy Rukh » : « Mouvement social« ). Dans le contexte de la guerre, il explique pourquoi il faut lutter « sur deux fronts« . Il se termine par « la question russe » avec des éléments historiques, vus d’Ukraine.
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Ukraine : lutter sur deux fronts[1]
Patrick Le Tréhondat
Depuis le 24 février 2022, le peuple a engagé une héroïque résistance pour sa survie contre l’agression impérialiste russe. La société s’est auto-organisée pour faire face à cette tâche historique. Cependant, ce faisant elle s’est heurtée à la politique néo-libérale du gouvernement Zelensky qui , par sa politique au service des intérêts des oligarchies en place , affaiblit considérablement sa capacité de résistance, s’oppose à ses aspirations d’émancipation. Pour gagner, les travailleurs, les jeunes et le mouvement des femmes doivent lutter sur deux fronts : contre l’impérialisme russe et contre la politique anti-sociale du gouvernement. Gagner sur ces deux fronts est lié. C’est là l’enjeu majeur qui se joue en Ukraine.
Selon le ministère du Travail de janvier à février 2023, 7 643 entreprises ont connu des conflits sociaux impliquant plus de 1,6 million de travailleurs. (45 % concernant le non-respect des exigences du droit du travail ; 32% concernant la mise en œuvre d’une convention collective, d’un accord ou de leurs dispositions particulières) Dans les litiges concernant les arriérés de salaire, un montant de 56,7 millions d’UAH (1,40 million d’euros) sur un montant total de 717 millions d’UAH (18 millions d’euros) a été payé.
Source : KVPU
« Il serait logique que l’infirmière ait le droit de vérifier le travail du directeur général et d’évaluer la pertinence des paiements qui lui sont versés »
Une infirmière répondant à une autre qui se plaignait d’être chronométrée par un comptable d’un hôpital (salon de discussion du syndicat des infirmières Sois comme Nina, mai 2023)
« La société civile a été contrainte de remplir le rôle de l’État et, au lieu d’attendre une assistance plus spécifique, d’assumer presque toutes ses fonctions sociales. ». « la guerre a conduit à de nouvelles formes d’auto-organisation et de politique populaire. La guerre a radicalement changé la vie sociale et politique en Ukraine, et nous ne devons pas permettre la destruction de ces nouvelles formes d’organisation sociale, mais les développer ».
Extrait de la résolution du « Premier bilan de l’année 2022 » du Sotsialnyi Rukh (Mouvement social)
1/ La force de travail ukrainienne (2022)
Le secteur agricole 10,6 % du PIB et employait 14 % de la population active (France 2,5%). Le secteur secondaire emploie 25% de la population active et représente 23,5% du PIB (France 18 %). Le secteur des services emploie 61% de la population active et contribue à 51,8% du PIB (France 79%)
Depuis le début de la guerre, 5 millions emplois perdus sur 18 millions emplois salariés.
Ces quelques chiffres ne dispensent pas d’une analyse plus fine de la formation sociale ukrainienne. Par ailleurs, la guerre a évidemment déstructuré pour partie le salariat (et ses organisations)
2/ Les deux confédérations syndicales
FPU
La Fédération des syndicats d’Ukraine (FPU) première et principale organisation syndicale du pays, héritière Conseil central des syndicats soviétiques. La FPU, cinq millions adhérents avant 24 février. Elle est le principal instrument de défense quotidien des salariés. Elle dispose d’un parc immobilier important (sanatoriums, colonies de vacances…) que la FPU a mis à disposition des réfugiés. Dans le cadre de la loi de « décommunisation » le gouvernement veut lui reprendre mais à ce jour, n’a pas abouti à ses fins.
KVPU
La Confédération des Syndicats Indépendants d’Ukraine (KVPU) 268 000 adhérents et est la 2e confédération syndicale en Ukraine. La Fédération des mineurs est la plus importante en son sein avec plus de 50 000 adhérents. On peut considérer que cette confédération est plus « militante » que la FPU.
Ces deux confédérations sont présentes dans les conflits sociaux. Elles apportent un soutien matériel permanent aux soldats sur le front (apport de nourriture, gilet pare-balles, véhicules de transport…). Nombre de leurs adhérents sont engagés sur le front et y meurent ce qui affaiblit considérablement le mouvement syndical. Dans certains endroits, les syndicats exigent que les travailleurs engagés dans les forces armées continuent de toucher leur salaire ce que les patrons ukrainiens passés les premiers mois de guerre se sont empressés d’arrêter de faire. Selon Yuri Samoilov, président du syndicat indépendant des mineurs et du secteur régional Kryvyi Rih de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU), il existe également au sein de l’armée de nombreux problèmes quant à la répartition de primes. Son syndicat a créé un collectif d’avocats pour défendre les soldats et leurs familles. Une manifestation de ces familles a eu lieu à Kryvyi Rih ces dernières semaines.
Syndicats de base
Insatisfaits des pratiques syndicales des 2 confédérations, il existe également des syndicats indépendants de base comme Sois comme Nina, le syndicat des infirmières.
Politique anti-ouvrière du gouvernement
La première tentative de réforme ultralibérale du Code du Travail a été lancée à la fin de l’année 2019. Depuis le 24 février, le gouvernement s’attaque sans relâche aux droits sociaux des travailleurs. La liste de ces attaques permanentes est interminable.
2022 : nouvelle réforme du code du travail (résumé succinct)
La loi accorde aux employeurs le droit unilatéral de suspendre les conventions collectives.
Les salariés de petites et de moyennes entreprises – jusqu’à 250 employés – ne sont plus couverts par la législation du travail en vigueur et mais couverts par des contrats individuels, négociés avec leur employeur. Il s’agit de plus de 70 % de la main-d’œuvre en Ukraine.
Une réforme des retraites est en cours en faveur de la capitalisation
Début mai 2023, le ministère des finances a annoncé vouloir lancer une vérification des retraites versées ; des informations personnelles (notamment la façon dont les noms sont enregistrés) de chaque retraité et du calcul du montant de sa pension seront analysés. La révocation de la retraite est possible au terme de la vérification.
Autres exemples récents
Début mai, le Parlement a adopté le projet de loi n° 8313 « portant modification de certains actes législatifs de l’Ukraine concernant le droit de prendre un congé ». La Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU) dénonce cette loi, car elle élargit la liste des motifs de refus de congé annuel à un employé. Le projet de loi donne à l’employeur le droit de refuser tout type de congé à un employé en temps de guerre (à l’exception du congé dû à la grossesse et à l’accouchement et du congé pour s’occuper d’un enfant jusqu’à ce que celui-ci atteigne l’âge de trois ans), s’il est impliqué dans les infrastructures critiques.
Le 19 mai 2023, l’Union syndicale régionale de Dnipropetrovsk (FPU) déclarait :
« Au nom des 300 000 membres des syndicats de la région, nous exprimons notre grande inquiétude face aux initiatives de l’Union ukrainienne des industriels et des entrepreneurs concernant l’annulation de la retraite préférentielle et des SPYSK n° 1 et n° 2. Par conséquent, dans ces collectifs de travail, les propositions de l’organisation patronale ont provoqué un grave mécontentement parmi les gens, ce qui pourrait conduire à une explosion sociale » (souligné par nous).
Dans les entreprises, les patrons ne sont pas en reste.
Exemples :
Lors des alertes aériennes, dans certaines entreprises, lorsque les travailleurs se rendent aux abris, le temps passé dans les abris est décompté de leur salaire.
Les arriérés de salaires non payés sont innombrables ainsi que les licenciements abusifs.
Face à ces attaques anti-sociales, il est difficile, en fait impossible, pour le mouvement syndical d’organiser une riposte centralisée (manifestations…), ce qui affaiblit considérablement la capacité du camp de travailleurs à faire entendre sa voix.
Mouvements sociaux
Outre le mouvement féministe, il y a un mouvement écologiste comme le mouvement Svydovets ou Friday Future for Ukraine. Signalons également le mouvement LGBT. À Kharkiv celui-ci a organisé une Kharkiv Pride en juin 2022… dans le métro puisque les rassemblements sur la voie publique sont interdits mais aussi pour des raisons de sécurité. Signalons également que quelques semaines avant le 24 février, le centre LGBT de Kharkiv organisait une conférence sur… Rosa Luxemburg. La communauté LGBT est engagée elle aussi dans la défense de l’Ukraine et notamment dans les forces armées. Ainsi il existe en son sein Військові ЛГБТ : le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme qui défend l’égalité des droits et combat l’homophobie.
Mouvements féministes
Le mouvement féministe est divers : parmi les nombreuses associations, citons l’Atelier féministe, la Sphère des femmes, la Loge féministe.
Le groupe féministe Bilkis
Le groupe est originaire de Kharkiv. Certaines de ses membres se sont réfugiées à Lviv. D’autres se sont engagées dans les forces armées. À Lviv, le groupe reconstitué a été occupé dans les premiers mois d’après 24 février dans une intense activité d’aide humanitaire notamment par l’envoi de colis vers des femmes à l’est de l’Ukraine. Comme l’ensemble du mouvement social, Bilkis a dû assumer ces tâches pour lesquelles ses membres n’avaient aucune expérience. Cette capacité d’auto-organisation de la société ukrainienne pour assurer sa survie est un des traits les plus marquants des premiers mois de guerre. Comme nous l’a dit une des membres de Bilkis « l’auto-organisation ne disparaîtra pas sans laisser de traces ». Début août 2022, Bilkis a ouvert un « espace des choses » « anticapitaliste » et « antipatriarcal ». Il s’agit d’un lieu de dépôt de vêtements, jouets, livres … où l’on peut les déposer pour les mettre à la disposition de celles qui en ont besoin. L’« espace des choses » est toujours en activité. Devant le succès de cette initiative, Bilkis a dû organiser des jours consacrés aux dépôts et des jours consacrés aux prises d’objets. En décembre 2022, dans le cadre des 16 jours d’activisme contre la violence faite aux femmes, Bilkis a organisé une campagne contre la marque de liqueur Cerise ivre qui affiche des femmes dénudées sur ses bouteilles. Trois samedis de suite, elles se sont postées devant le magasin à Lviv avec des pancartes dénonçant la marque sexiste et en distribuant des tracts. Le troisième samedi les fascistes du groupe Catharsis sont venus les harceler avec des panneaux sexistes. La présence de la police ne leur a pas permis d’aller plus loin, mais les membres de Bilkis ont remarqué une attitude équivoque de certains policiers. Le lundi suivant, un conseiller municipal du parti Voix, proche du parti de Zelensky , les dénonçait comme des « héritières de Staline et Mao » et prenait contact avec le SBU (service de sécurité) pour demander leur dissolution. Nullement intimidées les féministes organisaient le lundi même un collage d’affiches dans les rues de Lviv sur le consentement sexuel et le lendemain une distribution de tracts devant l’Opera sur les violences faites aux femmes. Bilkis organise également des conférences sur divers sujets comme par exemple la représentation de la femme dans la littérature et des projections de films comme par exemple Persepolis avec ensuite un débat sur la lutte des femmes iraniennes. Le film à cette occasion a été sous-titré en ukrainien par leurs soins. Le groupe organise, depuis le début de l’année 2023, des distributions de repas chauds sur un parking. 100 repas ont été préparés pour la première distribution ce qui s’est avéré insuffisant face à la demande et le groupe a dû passer à 150 repas les fois suivantes. Ce fait est un indice du niveau de pauvreté du pays. Selon la Banque mondiale, 25% de la population du pays est aujourd’hui pauvre, comparé aux 2 % prétendus d’avant février 2022, tout le monde s’accorde pour dire que ces chiffres sont sous-estimés. Le groupe a édité également un journal (72 pages) notamment fait d’interviews de militantes féministes. Un second numéro est en préparation.
À remarquer qu’à partir de juin 2022, le mouvement social, passées les tâches les plus urgentes d’aide humanitaires et de réorganisation (la guerre a dispersé les groupes et les mouvements, sans parler par exemple des profondes dépressions qui ont pu toucher certaines personnes) a retrouvé une respiration. L’occupation de l’espace public par Bilkis en décembre 2022 lors de sa campagne anti-sexiste en est un exemple.
Pryama diya (Action directe )
Pryama diya (Action directe) est un syndicat étudiant fondé en 1990 qui disparait puis réapparait en 2008. La première action du syndicat a été de soutenir les étudiants de Rivne, qui s’opposaient à l’augmentation des paiements des frais de scolarité. Des rassemblements ont été organisés devant le ministère de l’éducation. Le syndicat, avec un certain nombre d’autres organisations, a mené nombre d’actions contre la nouvelle version de la loi « Sur l’enseignement supérieur ». À la suite de ces mobilisations le ministère de l’éducation a retiré les clauses contestées de la loi. Avec d’autres organisations, Pryama diya a été à l’initiative de la campagne contre le nouveau Code du travail, qui restreignait considérablement les droits des travailleurs salariés. La campagne a commencé par l’ouverture de la grande banderole « NON au nouveau Code du travail » lors du match de football Arsenal-Shachtar !! À la fin des années 2010, Pryama diya avait pratiquement cessé ses activités en raison de la répression de l’État contre les mobilisations étudiantes. Maksym Butkevych a été un membre actif du syndicat dans sa 2e version.
En août 2022, dans une interview, Katya et Maxim, étudiants ukrainiens, déclaraient « ll nous faut reconstruire en Ukraine un syndicat étudiant de gauche». Ils précisaient dans cet entretien que l’organisation syndicale étudiante la plus importante, Étudiants ukrainiens pour la liberté, était de droite. Katya Gritseva a suivi un parcours difficile depuis le 24 février. Au moment de l’éclatement de la guerre elle est étudiante à l’université des Beaux-arts de Kharkiv. Elle y a été élue déléguée des étudiants. Lorsque la guerre éclate (Khakiv est une trentaine de kilomètres de la frontière russe), l’administration universitaire abandonne les étudiants à leur sort qui s’organisent eux-mêmes pour assurer leur nourriture et la nuit dorment entassés dans les sous-sols de l’université. Des brigades d’auto-défense sont formées, la troupe russe n’est pas loin. Katya appellera ce moment « l’amicale Commune étudiante de Kharkiv ». Ensuite avec une centaine d’étudiants, en mars 2022, elle trouve refuge à Lviv à l’Académie des Beaux-arts. Les étudiants sont logés dans les dortoirs universitaires dont ils seront expulsés en septembre 2022 au prétexte que ceux-ci sont réservés aux étudiants de Lviv, ville qui connaît alors une nouvelle catégorie sociale l’EDF, l’étudiant sans domicile fixe.
Deux mobilisations étudiantes vont permettre la renaissance du syndicat Action directe. En novembre 2022, les étudiants de l’Académie d’imprimerie de Lviv se mobilisent contre la fermeture de leur école. Les futurs membres d’Action directe y prennent une part active. Là encore, notons que malgré la loi martiale, le mouvement social occupe l’espace public, un rassemblement des étudiants est organisé.
La seconde mobilisation mène à la création du mouvement Students.uu.
Depuis le début de la guerre et la loi martiale, les étudiants qui font leurs études dans les universités étrangères ne peuvent plus retourner en Ukraine car ils risquent ne pas pouvoir sortir du pays pour reprendre leurs études. D’autres qui étudiaient ne peuvent plus sortir d’Ukraine pour se rendre dans leur université à l’étranger. Le mouvement Students UA a été fondé pour protester contre cette situation. Des rassemblements sont organisés en Pologne par des étudiants ukrainiens ou aux postes frontières ukrainiens. Là encore les futurs militants d’Action directe sont présents. Ces deux expériences permettent la refondation du syndicat en février 2023. Depuis le syndicat s’est exprimé sur nombre de sujets touchants la jeunesse : la question des attributions de crédits aux université (le ministre de l’éducation a récemment démissionné soupçonné de corruption dans ce domaine), le droit aux rassemblements, la réduction des soldes des cadets des écoles militaires. Le syndicat a en outre organisé le « sauvetage » d’une de ses membres menacés d’expulsion vers la Turquie alors qu’elle tentait de rejoindre l’Ukraine (venant du Donbass) et qu’elle se trouvait en Moldavie. Le syndicat, à l’occasion du 8 mai, a organisé une semaine antifasciste.
Sotsialniy Rukh (Mouvement social)
Cette organisation a été fondée en 2015. En 2013-2014 sur le Madian, des militants de gauche ont tenté de se faire entendre. Le groupe Opposition de gauche distribuait un programme de « dix points » qui défendait des revendications sociales, accusait le capitalisme oligarchique, et concluait la nécessité d’une force politique démocratique de gauche. En 2013, l’Opposition de gauche avait traduit en ukrainien les principaux textes de Trotsky sur l’Ukraine et qui seront édités à Odessa. Ce livre est toujours en téléchargement gratuit sur le site de Commons. Peu à peu, un regroupement dépassant les rangs de la sensibilité trotskyste s’est opéré, notamment avec des militants de sensibilité libertaire ou venant du syndicat Action directe, aboutissant à la fondation du Mouvement social en 2015. Cependant les étiquettes politiques (trotskyste, libertaires…) utilisées ici obscurcissent plus qu’elles n’éclairent la politique menée par ces camarades, même si différentes sensibilités peuvent exister. Il ne faut donc pas s’y arrêter. Depuis le 24 février, le Mouvement social s’est attelé aux tâches les plus urgentes comme il l’indique dans son bilan pour l’année 2022 : « Les militant·es du Sotsialnyi Rukh ont réussi à collecter des fonds, à trouver et à livrer du matériel militaire pour les soldats, des générateurs pour le personnel médical, à collecter des fonds avec succès pour bénéficier des liaisons sur internet Starlink et bien plus encore. Les voyages dans les régions de l’Ukraine avec toute l’aide nécessaire sont devenus réguliers. En particulier, Sotsialnyi Rukh a aidé de nombreuses familles à avoir accès à une source stable d’eau et d’électricité à Mykolaïev… La guerre a déterminé les grandes orientations des activités de l’organisation. La priorité absolue était d’aider les victimes de l’agression russe, ainsi que ceux et celles qui défendaient leur patrie» L’organisation s’est opposé à la politique néo-libérale du gouvernement : « Malgré la guerre, les autorités ont décidé de poursuivre le cours de la néolibéralisation de l’économie, ce qui a naturellement conduit à la détérioration de la condition des citoyens ukrainiens. Sotsialnyi Rukh a mené de puissantes campagnes contre l’adoption de lois anti-travail et pour le limogeage de leur principal lobbyiste à la Verkhovna Rada, la députée Halyna Tretyakova. La Liste noire des employeurs qui abusaient de la position vulnérable des travailleur·euses en raison de la guerre a été établie. » Un de ses responsables, Vitaliy Dudin, avocat du droit du travail, a obtenu devant les tribunaux l’annulation de plusieurs licenciements abusifs. Toujours dans son bilan de l’année 2022, le Mouvement social indique « Sotsialnyi Rukh a activement coopéré avec les membres des confédérations syndicales KVPU, FPU, etc. et les syndicats pour fournir une aide humanitaire, un soutien juridique et politique. En ce moment, nous participons à la défense des revendications des chauffeurs de trolleybus de Kyiv et de Kharkiv, ainsi que des infirmières du KNP Hôpital clinique 15 district Podilsky de Kyiv. » L’organisation a également lancé une campagne pour l’annulation de la dette ukrainienne.
Ecosocialiste, le Sotsialnyi Rukh est également internationaliste. En juin dernier, dans des conditions très difficiles, elle a commémoré le massacre de Tian’anmen commis par la bureaucratie chinoise, elle a salué et s’est déclarée solidaires des grèves des travailleurs britanniques. Elle a apporté, en dépit de ses ressources limitées, un soutien financier à des organisations humanitaires turques lors du tremblement de terre. Enfin elle s’est déclaré solidaire du mouvement social en France contre la réforme des retraites et déclarait « Le 18 mars 1871, les ouvriers français se soulèvent contre les envahisseurs étrangers et les dirigeants hostiles, formant la Commune de Paris… 152 ans plus tard, la France est à l’aube d’une nouvelle mutation. Après que le président Macron a signé un projet de loi visant à relever l’âge de la retraite de manière antidémocratique, les protestations contre la réforme ont pris un nouvel élan… L’exemple de la Commune et les manifestations actuelles en France nous inspirent et nous donnent de la force pour la lutte future – à la fois contre l’impérialisme et pour un avenir meilleur. Vive la Commune ! [en français) ». Ajoutons que quelques-uns de ses militants se sont rassemblés à Lviv le 26 mars dernier devant le consulat de France en soutien au mouvement en France contre la réforme des retraites avec des pancartes écrites en français.
La question russe
Avec la restauration du capitalisme et la sortie « à droite » du stalinisme, nous avons pu penser que la « question russe » était réglée. Les débats, divergences et ruptures provoquées par les débats sur caractérisation de l’État soviétique étaient derrière nous. Cependant, dès les premiers jours de la guerre, des camarades nous ont alertés (dont Karine Clément) : l’État de la Fédération de Russie est un État fasciste. Ce jugement n’est pas anodin. Si c’est le cas, comment peut-on faire la paix avec un État fasciste ? Quelles sont les perspectives des oppositions russes dans ce cadre (et les nôtres) ? Nous avons négligé cette discussion.
Pour ma part j’ai surtout des interrogations. La thérapie de choc des années 1990 infligée à la Russie peut-elle s’apparenter à un « traité de Versailles » contre l’ancien ennemi organisé par la direction américaine et ses économistes néo-libéraux à la manœuvre à Moscou ?
Comment expliquer qu’en 2000 Poutine ait demandé e l’adhésion à l’Otan à Clinton qui lui répond d’un ton badin « n’y voir aucun inconvénient » ? Que s’est-il passé entre 2000 et 2022 ? Dans cette période, n’a-t-on pas assisté à un refus définitif de la direction américaine d’intégrer pleinement la Russie dans la division internationale du travail lui permettant de dépasser son statut de fournisseur de matières premières et acquérir sa place sur un pied d’égalité dans la marche du monde ?
Le terme d’oligarchie est utilisé pour décrire les couches dirigeantes (on ne parle plus de bourgeoisie…). Cette ou ces oligarchies ont connu un mode d’accumulation primitive particulier par la captation de biens étatiques sur un mode maffieux et criminel, soutenue par les services de sécurité. Pour autant elles sont sans pouvoir politique qui est exercé par Poutine et sa bande. En somme une bourgeoisie sans pouvoir politique (peut-on y voir une ressemblance avec la Chine où le PCC tient le gouvernail politique et la bourgeoisie chinoise est sous sa férule ? Voir par exemple les mésaventures du PDG d’Ali Baba).
Il me semble que l’un des mots d’ordre pour la Russie doit être « A bas Poutine ! Élections libres et démocratiques ! »
Perspectives
Lors du vernissage en juin 2022 de l’exposition des dessins de l’artiste révolutionnaire ukrainienne Katya Gritseva à Paris, organisé par les éditions Syllepse, je déclarais :
« La clé de la révolution européenne est en Ukraine. Une défaite de l’Ukraine, outre ses conséquences pour le peuple ukrainien lui-même, les peuples russes et bélarusses notamment, entraverait considérablement les possibilités de transformations sociales en Europe. Ici même, en France, une défaite ukrainienne pèserait lourdement sur nos épaules, quelle que soit la majorité parlementaire. Elle conduirait au renforcement des blocs militaires, à un réarmement généralisé, à une période d’affrontements qui ne serait pas favorable aux partisan·es de l’émancipation. »
À l’inverse une victoire de l’Ukraine déclencherait un « Printemps de peuples » dans la région. Il est vrai que nous ne pouvons prédire aujourd’hui quelle serait l’alternative politique qui surgirait suite à l’effondrement probable du régime poutinien. Cependant, outre les développements politiques « progressistes » que pourraient connaître l’Ukraine et la région, la situation serait alors plus favorable pour les forces de transformation sociale occidentales.
Il m’a semblé que pendant longtemps la politique des puissances impérialistes occidentales dans leur soutien à l’Ukraine s’est résumée ainsi « Tout pour vous aider à vous défendre, mais pas à vous libérer » libération entendue comme la restauration des frontières d’avant 2014 et qui provoquerait l’effondrement du régime Poutine et un éclatement de la Fédération de Russie. Politique que le général français Richou, qui, à la tête de ses blindés, a attendu à Berlin les Soviétiques pendant 30 ans, a résumé ainsi « Prenons garde à l’éclatement de la Fédération du Russie, voyez ce à quoi a conduit l’éclatement de l’Empire des Habsbourg » (pensait-il à la révolution hongroise de 1918 ?) .
Mais sous la pression des évènements militaires, cette posture évolue (dans le cadre de cette présentation je n’ai pas pu traiter de la question de l’armée ukrainienne qui est bien loin pour ne pas dire aux antipodes des « standards OTAN »)
Pour conclure l’une de nos perspectives doit être la transcroissance de la lutte de libération nationale en lutte de libération sociale. C’est aussi, outre la défense du peuple, des intérêts historiques de la classe des exploités et dominés ukrainiens, la raison pour laquelle notre soutien doit être orienté prioritairement vers les organisations syndicales, le mouvement social dans toutes ses composantes et vers le Sotsialniy Rukh (Mouvement social) organisation socialiste révolutionnaire internationaliste.
Nous devons écouter ce qui se dit en Ukraine. L’expérience que sont en train de vivre tous ces acteurs sociaux et politiques a beaucoup à nous apprendre.
[1] Résumé de la présentation lors de la réunion du 20 mai 2023 organisée par le Réseau Bastille