L’Humanité a interrogé les responsables de l’intersyndicale. Objectif : dresser les perspectives de la mobilisation contre la réforme des retraites. Le 1er juin, Marylise Léon, future secrétaire générale de la CFDT. C’est l’interview N° 7.
Marylise Léon, de la CFDT : « Sur les retraites, nous sommes face à un mur »
Publié le Jeudi 1 juin 2023 Naïm Sakhi – L’Humanité
Marylise Léon, secrétaire adjointe depuis 2018, succédera à Laurent Berger, le 21 juin, à la tête de la CFDT. Marylise Léon, qui représente la centrale réformiste dans l’intersyndicale, envisage les mobilisations de mardi 6 juin contre la réforme des retraites et pose ses lignes rouges concernant le futur agenda social de l’exécutif. L’actuelle secrétaire générale adjointe cédétiste déplore l’absence de perspectives dans les rencontres menées par Matignon avec les partenaires sociaux.
Mercredi, les députés macronistes sont parvenus à supprimer l’article 1 er de la proposition de loi du groupe Liot visant à abroger la réforme. L’usage de l’article 40 n’est pas exclu, lors du débat dans l’Hémicycle, le 8 juin. Regrettez-vous que les députés ne se soient toujours pas prononcés sur cette réforme ?
C’est un grand regret. Contrairement à ce que répète l’exécutif, il n’y a pas eu de vote des députés sur cette réforme. Le vote de la motion de censure portait sur la confiance au gouvernement et non sur le projet de loi.
J’espère que les députés pourront se prononcer le 8 juin. L’adoption de cette proposition de loi Liot serait la concrétisation du rejet du report de l’âge. Les oppositions sont fortes, dans le pays, sur cette réforme. La page n’est pas tournée.
La Macronie a déployé une série d’articles de la Constitution pour passer en force au Parlement. La démocratie, valeur cardinale de la CFDT, est-elle mise à bas par cette séquence ?
L’exercice de la démocratie a été particulier dans cette période. La CFDT est soucieuse du respect du droit. Le gouvernement a utilisé des outils législatifs qui sont à sa disposition. Le Conseil constitutionnel s’est d’ailleurs prononcé. La CFDT ne conteste pas la légalité de cette réforme.
Mais la démarche politique, consistant à imposer un texte massivement rejeté par le monde du travail, au moyen notamment de l’article 49.3, est regrettable. Dès la fin 2022, nous avons compris que l’exécutif ne recherchait pas un compromis social, mais un accord politique avec les députés LR. C’est un regret.
Initialement, le gouvernement voulait faire passer cette réforme via un amendement dans le budget 2023 de la Sécurité sociale. Nous avons obtenu l’ouverture d’une concertation. Des sujets comme l’emploi des seniors et la pénibilité ont été évoqués. Mais la question du financement n’a jamais pu être abordée, alors que la CFDT avait des propositions.
Vous appelez, avec l’intersyndicale, à une 14 e journée de mobilisation interprofessionnelle, le 6 juin. Les organisations syndicales entendent élargir leurs revendications, notamment sur l’augmentation des salaires et l’égalité femmes-hommes. Est-ce le début d’une plateforme revendicative ?
C’est avant tout une volonté partagée, par l’intersyndicale, de tirer le fil de ce que nous avons construit. Nous travaillons ensemble depuis un an. La première expression commune portait déjà sur le pouvoir d’achat. L’intersyndicale est restée unie et a duré dans le temps, parce que le message était simple : non aux 64 ans.
Désormais, nous voulons construire des propositions communes sur quelques thèmes. Ces revendications, si nous y parvenons, seront un point d’appui, mais chaque organisation continuera d’avoir son propre cahier revendicatif. Nous ne sommes pas d’accord sur tout.
La démarche politique, consistant à imposer un texte massivement rejeté par le monde du travail, au moyen notamment de l’article 49.3, est regrettable. Dès la fin 2022, nous avons compris que l’exécutif ne recherchait pas un compromis social, mais un accord politique avec les députés LR. »
La CFDT appellera-t-elle à une 15 e journée de mobilisation ?
Pour l’heure, je ne peux pas répondre à cette question. L’intersyndicale a tenu grâce à un respect mutuel et en étant lucides sur le fait que nous n’étions pas devenus une seule organisation. Ce dossier a connu de nombreux rebondissements. La suite dépendra de ce qu’il se passe à l’Assemblée nationale et de la mobilisation du 6 juin, que nous espérons massive.
Les rencontres avec la première ministre ont-elles changé la nature de la relation que l’exécutif souhaite avoir avec les syndicats ?
C’est trop tôt pour le dire. Comme à son habitude, la CFDT est venue avec ses propositions. Mais aussi des questions, pour lesquelles nous n’avons pas eu de réponses.
Je pense à nos interrogations sur le changement de méthode dans le dialogue social. Nous ne savons pas les thématiques sur lesquelles l’exécutif est prêt à ouvrir la porte. C’était une première rencontre sans plus d’enseignements. Nous n’avons, depuis, pas de nouvelles.
Dans l’optique du nouvel agenda social du gouvernement, quelles sont les lignes rouges de la CFDT ?
Encore faudrait-il savoir quel est l’agenda social du gouvernement ! Nous avons découvert dans la presse que le ministre du Travail avait huit chantiers prioritaires.
Dans l’immédiat, la CFDT est très attentive à la réforme du RSA. Sa conditionnalité, telle qu’elle peut être aujourd’hui présentée avec les 15 à 20 heures de travail, est une ligne rouge. Nous sommes en total désaccord avec tout discours stigmatisant des plus précaires. La suspension des droits au RSA serait une entrave à la solidarité nationale.
L’exécutif doit changer de méthode. Ce n’est plus possible d’avoir des concertations où les ministres font semblant de nous écouter, sans être certains que nos propositions soient même lues, et de découvrir le contenu des réformes dans la presse. »
En 2017, l’exécutif a laissé aux entreprises, à travers les ordonnances travail, le soin de négocier le plus pour la représentation des salariés. Les employeurs n’ont pas été au rendez-vous. Au contraire, les moyens alloués au dialogue social ont globalement été diminués. Nous nous adressons au gouvernement pour revoir ces ordonnances Macron, dans le cadre d’une concertation, et non d’une négociation.
Concernant l’assurance-chômage, le discours sur les chômeurs « profiteurs » nous alerte. L’exécutif veut avoir plus de place dans la gestion du régime. La gouvernance du système est un point à clarifier, d’autant que les critères d’accès aux droits doivent être revus d’ici à la fin de l’année. Il n’est pas question de nous laisser enfermer dans une lettre de cadrage.
Le 21 juin, vous succéderez à Laurent Berger à la tête de la CFDT. Vous en êtes la secrétaire adjointe depuis 2018. Quelle est votre vision du syndicalisme et de l’action syndicale ?
Le syndicalisme est très moderne et répond à une attente, nous l’avons prouvé. Il n’a jamais été aussi important de défendre les intérêts des travailleurs du privé, autant que les agents de la fonction publique et les indépendants. Il y aura toujours besoin du syndicalisme. Notre force de frappe est la force du nombre.
La CFDT doit être au rendez-vous de la syndicalisation. Sa structuration doit évoluer autour des missions territoriales et professionnelles de nos structures de base que sont les syndicats. Un point d’étape sera fait le 21 juin, sur le cycle d’échanges avec les exécutifs de nos syndicats depuis septembre.
La question du décloisonnement interne est centrale. Nous devons raisonner non plus en silo, mais en réseaux, pour mettre, par exemple, en relation des adhérents qui ne sont pas du même champ professionnel ou de la même région, afin de partager les expériences de négociations ou de pratiques électorales.
Le syndicalisme dit « réformiste » demeure-t-il une réponse adéquate face à la brutalité sociale d’Emmanuel Macron ?
Pour la CFDT, je parle de syndicalisme de transformation sociale. Un syndicalisme utile pour les travailleurs. C’est notre principal objectif. L’exécutif doit changer de méthode. Ce n’est plus possible d’avoir des concertations où les ministres font semblant de nous écouter, sans être certains que nos propositions soient même lues, et de découvrir le contenu des réformes dans la presse.
Au bout de six années de présidence d’Emmanuel Macron, la CFDT s’est retrouvée dans une intersyndicale, à combattre, dans la rue, une réforme des retraites. Est-ce le résultat de l’échec de votre confédération à bâtir des compromis avec un pouvoir qui méprise les syndicats ?
Collectivement, les Français ont vécu des périodes compliquées, de la crise des gilets jaunes en passant par celle du Covid. Durant la crise sanitaire, heureusement que les syndicats étaient là pour remonter les infos du terrain.
Nous avons obtenu des avancées concrètes, comme la prorogation des droits pour les demandeurs d’emploi, ou la mise en place de l’activité partielle de longue durée. Mais, sur cette réforme des retraites, nous nous sommes retrouvés face à un mur. Quand une réforme est injuste, la CFDT est capable de se mobiliser en utilisant toute la palette des actions syndicales, dont la manifestation.